L’Administration vient de publier ses premiers commentaires sur le nouveau régime d’imposition des plus-values de cession de titres et apporte des précisions souvent bienvenues, parfois discutables.
Par Philippe Gosset, avocat spécialisé en fiscalité, intervenant en matière de fiscalité des entreprises et de groupes de sociétés, notamment dans le cadre d’opérations d’acquisition et de restructuration. Il est chargé d’enseignement dans le master 2 finance d’entreprise de l’Université Paris-Dauphine. (philippe.gosset@cms-bfl.com) et Jean-Charles Benois, avocat, spécialisé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. (jean-charles.benois@cms-bfl.com).
Conformément à un engagement d’alignement du régime d’imposition des revenus du capital sur celui applicable aux revenus du travail pris par le président de la République dans le cadre de la dernière campagne présidentielle, le Parlement a profondément réformé le régime d’imposition des plus-values mobilières fin 2012, puis l’a remanié fin 2013 à la suite du mouvement des «Pigeons» et des Assises de l’entrepreneuriat.
Désormais, les plus-values sont, comme des revenus ordinaires, imposables au barème progressif de l’impôt sur le revenu, avec néanmoins l’application d’abattements dont les taux varient selon la durée pendant laquelle les titres cédés ont été détenus.
Compte tenu de l’ampleur du champ de cette réforme, les commentaires de l’Administration étaient très attendus, et leur récente publication – sous forme de consultation publique pour commentaires – permet de faire l’analyse (non limitative) de quelques points saillants.
Les ABSA
L’Administration exclut expressément du bénéfice de l’abattement pour durée de détention les «gains nets de cession de bons de souscription d’actions (BSA) et de droits de souscription ou d’attribution détachés des actions».
Bien que la rédaction puisse gagner en clarté, il nous semble qu’il faille lire dans cette exclusion la confirmation implicite que les gains nets de cession d’ABSA sont, eux, éligibles à l’abattement pour durée de détention.
Cette confirmation, qui s’inscrirait dans le droit fil des travaux parlementaires intervenus sur le projet de première loi de finances rectificative (PLFR) pour 2014, serait bienvenue car elle confirmerait en tant que de besoin que les cessions d’ABSA réalisées avec BSA attaché intervenues depuis 2013 seraient éligibles à l’abattement pour durée de détention.
Tout juste pourra-t-on regretter qu’elle soit limitée aux cas dans lesquels le BSA est resté attaché à l’action. En effet, dès lors que l’éligibilité des ABSA à l’abattement pour durée de détention est fondée sur le postulat que la valeur du BSA attaché évolue de manière corrélée celle de l’action1, le même raisonnement doit pouvoir être étendu aux BSA détachés, puisque la valeur du BSA même détaché reste corrélée à celle du sous-jacent action.
Les clauses d’earn-out (ou complément de prix)
L’Administration rappelle que les compléments de prix afférents à une cession de titres sont éligibles à l’abattement pour durée de détention appliqué sur le gain réalisé lors de cette cession.
Cependant, elle ne traite pas du cas dans lequel la cession initiale a été réalisée avant 2013, et donc soumise à l’impôt sur le revenu au taux proportionnel, par hypothèse sans abattement de détention.
Faut-il en déduire que le complément de prix ne doit bénéficier d’aucun abattement de détention ? Cette lecture nous paraît incompatible avec le principe, confirmé par le législateur et le Conseil constitutionnel, selon lequel les abattements pour durée de détention constituent la contrepartie de l’imposition des gains nets sur valeurs mobilières au barème progressif.
Dans un tel cas de figure, il nous paraîtrait juridiquement fondé (et économiquement équitable) de réduire le complément de prix taxable de l’abattement qui aurait été applicable à la cession intervenue pré-2013 si le nouveau régime avait été en vigueur à cette date.
Les moins-values et la notion de «gains nets»
Comme on pouvait s’y attendre, l’Administration considère que les abattements pour durée de détention s’appliquent non seulement aux plus-values mais également aux moins-values de cession de titres.
Cette position est toutefois loin d’être évidente puisque la loi prévoit que les abattements pour durée de détention s’appliquent aux «gains nets», et l’on conçoit difficilement qu’une moins-value, qui présente la nature d’une «perte» en capital, puisse être visée par la notion de «gains nets».
Le législateur ne laisse d’ailleurs pas entendre que les abattements s’appliquent aux moins-values. Bien au contraire, il ressort tant de la communication gouvernementale que des travaux parlementaires ayant entouré l’élaboration du régime d’abattements que ce dispositif a été mis en place pour encourager l’investissement à long terme. Et c’est cette raison qui explique que le taux d’abattement croît avec la durée de détention des titres.
On espère donc que l’Administration modifiera sa position dans ses commentaires définitifs. A défaut, les contribuables détenteurs de titres porteurs de moins-values seront incités à ne pas les conserver sur une longue période afin de minimiser le niveau d’abattement applicable aux pertes.
L’effet de l’abattement sur les prélèvements sociaux en cas de moins-values reportables
Le régime d’abattements réserve également quelques surprises en cas d’imputation de moins-values reportables.
Dans cette situation, il convient en principe de calculer la plus-value totale de l’année, nette des abattements pour durée de détention, puis d’imputer sur cette plus-value nette les éventuelles moins-values en report. Cette solution est a priori avantageuse pour les contribuables puisqu’elle permet de réduire la plus-value imposable de l’année par les abattements applicables, avant de puiser dans le stock des moins-values reportables.
Cet ordre d’imputation a néanmoins des incidences défavorables en matière de prélèvements sociaux puisque les prélèvements sont calculés après imputation des moins-values reportables, mais sans tenir compte des abattements pour durée de détention.
Prenons l’exemple d’un contribuable qui dispose d’un stock de moins-values reportables de 1 000 et qui réalise une plus-value de 800, réduite à 280 après application de l’abattement pour durée de détention de 65 %. La plus-value nette après abattement sera intégralement effacée par les moins-values en report (à hauteur de 280) et le contribuable ne sera donc pas imposé à l’impôt sur le revenu. Mais il devrait en principe être assujetti aux prélèvements sociaux à hauteur du montant de l’abattement appliqué sur la plus-value (soit 520), alors même qu’il dispose d’un stock de moins-values reportables suffisant pour absorber la totalité de la plus-value de l’année.
Les contribuables pourraient donc être tentés de ne pas faire application du mécanisme d’abattement et d’utiliser à plein leurs moins-values en report. Mais la validité d’un tel choix fait débat dans la mesure où le mécanisme d’abattement n’est pas construit comme un dispositif optionnel… Un confort de l’Administration sur ce sujet serait particulièrement souhaitable.
Dirigeants de PME partant à la retraite
Exit l’ancien régime d’abattements qui permettait aux dirigeants de PME partant à la retraite de bénéficier d’une exonération totale d’impôt sur le revenu au bout de huit ans. Ces derniers sont, à compter du 1er janvier 2014, soumis à un nouveau régime d’abattements qui permet, en fonction du délai de détention, de réduire la plus-value imposable jusqu’à 85 % de son montant, après application d’un abattement forfaitaire de 500 000 euros.
Le champ et les conditions d’application du nouveau dispositif sont toutefois parfaitement identiques à celui qui s’appliquait jusqu’au 31 décembre 2013 et l’on pouvait s’attendre à ce que l’Administration reprenne ses anciens commentaires, qui étendaient par voie de tolérance le régime d’abattements aux cessions réalisées par les membres du groupe familial du dirigeant (conjoint compris) et par les co‑fondateurs.
On constate toutefois avec regret qu’à ce stade ces tolérances n’ont pas été reprises dans les projets de commentaires du nouveau dispositif. S’il est confirmé qu’elles sont définitivement rapportées, il serait néanmoins souhaitable que l’Administration en admette l’application une dernière fois aux cessions de l’année 2014, afin de ne pas adopter une mesure rétroactive à l’encontre de ceux qui pensaient, légitimement, pouvoir encore s’en prévaloir.