Contrairement à la chute pérenne attendue et espérée ou vantée au cours d’une année riche en enjeux électoraux, les dernières statistiques disponibles démontrent que le niveau des défaillances d’entreprises demeure élevé en France. L’autre enseignement majeur des dernières données réside dans la confirmation que le recours au traitement amiable des difficultés des entreprises se généralise.
Par Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring-Insolvency. Il intervient sur l’ensemble des problématiques liées à la prévention ou au traitement des difficultés des entreprises, tant en conseil qu’en contentieux. alexandre.bastos@cms-fl.com et Clémentine Quintard, avocat, membre de l’équipe Restructuring-Insolvency. Elle intervient en matière de prévention et de traitement amiable et judiciaire des difficultés des entreprises. clementine.quintard@cms-fl.com
Ainsi, l’étude «L’entreprise en difficulté en France en 20171», si elle illustre l’image tant vantée de la diminution du nombre de défaillances d’entreprises au cours de l’année 2017, confirme toutefois, après comparaison des chiffres au niveau national obtenus par l’Observatoire économique du CNAJMJ2, une hausse du recours aux procédures amiables.
De manière peu surprenante, cette étude relève également une présence marquée des acteurs publics : notamment le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) dont le taux de succès des interventions est supérieur à 90 %3, le délégué interministériel aux restructurations d‘entreprises, la médiation nationale du crédit et les commissaires au redressement productif déployés en région, qui se sont énormément investis afin de conforter la restauration d’un tissu économique et industriel français ayant tant souffert depuis la crise financière et économique internationale de 2008.
Le nombre de défaillances des entreprises françaises a baissé de 4,6 % (55 175 procédures collectives ouvertes en 2017). Cette statistique globale doit être détaillée pour en mesurer pleinement la portée. En effet, la baisse significative d’ouverture des procédures de sauvegarde enregistrée (– 8 %) doit être rapportée à la diminution deux fois moins importante des ouvertures de redressement (– 5 %) et liquidation judiciaires (– 4 %) qui, rappelons-le, constituent plus des deux tiers des procédures collectives ouvertes en France.
Il est à craindre que cette belle image, si elle n’est d’Epinal, demeure un trompe-l’œil.
D’une part, il faut probablement voir dans l’ampleur de la diminution des sauvegardes la conjugaison tout à la fois de l’amélioration de la conjoncture économique et, surtout, du fait que les acteurs économiques favorisent le recours au traitement préventif amiable. Le traitement préventif des difficultés semble, en effet, particulièrement rétif à s’accommoder de la publicité et du caractère collectif attaché à ce qu’est une véritable procédure collective4.
D’autre part, ces chiffres doivent être relativisés à l’aune des premières données de 20185. En effet, si le début de l’année 2018 confirmait la tendance baissière, celle-ci s’est trouvée fortement ralentie au deuxième trimestre, notamment en région Ile-de-France qui est repassée dans le rouge. Ainsi, au cours de ce dernier, la défaillance de 12 750 entreprises a été constatée, portant l’amélioration a seulement 1,4 %6.
Observée et anticipée par les praticiens du retournement, une autre tendance, cette fois avérée et certainement durable, est mise en lumière par l’étude des dernières statistiques : les procédures de mandat ad hoc et de conciliation connaissent une réelle démocratisation.
L’année 2017 a été marquée par une importante progression du recours aux procédures amiables. Si ces procédures ont rapidement été utilisées par les grandes juridictions dans les dossiers de très grande ampleur, toutes les juridictions y recourent désormais pour des dossiers aux profils variés (3 536 procédures amiables, dont 72 % de mandats ad hoc, ont été ouvertes en 2017, soit une hausse de 43 % par rapport à l’année 20161). Ce changement de paradigme dans le traitement des difficultés des entreprises doit être salué : le droit français présente aujourd’hui des outils adaptés, patinés par plus d’une décennie de pratique, permettant un véritable travail de prévention et de restructuration des entreprises loin de la proclamation en place publique des difficultés et de la mise au banc inévitablement attachées à l’ouverture d’une procédure collective, fût-elle «préventive».
1. Etude Deloitte Altarès, mai 2018.
2. Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires.
3. Rapport d’activité 2017 du CIRI et, pour un éclairage sur les actions menées par le CIRI, interview de son secrétaire général, Louis Margueritte, Mayday, 6 septembre 2018.
4. A l’appui de cette analyse, il doit être relevé la très faible part de sauvegardes (2 %) parmi l’ensemble des procédures collectives ouvertes contre 30 % de redressements judiciaires et 68 % de liquidations judiciaires.
5. OCED-Bulletin de santé des entreprises en France et Ile-de-France, établi au 1er août 2018.
6. Palmarès Altarès des défaillances d’entreprises au 2e trimestre 2018.