Dans le cadre de l’action 2 du projet BEPS, l’OCDE a publié le 5 octobre 2015 un rapport sur la neutralisation des effets des dispositifs hybrides qui exploitent les différences de qualification juridique d’instruments financiers ou d’entités dans le cadre de situations transfrontalières.
Par Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Rima Jirari, PwC Société d’Avocats
Ce rapport formule des recommandations aux Etats en vue de l’adoption des règles nationales ciblant les asymétries fiscales sans pour autant contenir des mesures relatives aux dispositifs hybrides impliquant une succursale. Il en va de même pour l’instrument multilatéral de l’OCDE publié le 24 novembre 2016, qui vise à modifier efficacement le réseau des conventions fiscales bilatérales existantes en y incorporant certaines dispositions du plan d’action BEPS.
En réalité, de tels dispositifs ne sont pas couverts par le rapport de 2015 car ils ne sont pas « hybrides » à proprement parler. En effet, les asymétries fiscales engendrées par les dispositifs impliquant des succursales ne sont pas dues à une différence de qualification juridique d’un instrument ou d’une entité entre deux Etats. Ils en sont toutefois très proches dans la mesure où ils résultent des disparités de traitement fiscal entre l’Etat de résidence d’une société et celui de sa succursale étrangère au titre de paiements effectués par ou pour la succursale ou le siège.
Néanmoins, au vu de la similarité de leur structure et de leurs conséquences fiscales, le Groupe de travail qui s’était penché sur les hybrides a étudié l’opportunité d’établir des règles relatives aux dispositifs hybrides impliquant une succursale, qui harmoniseraient leur traitement avec les recommandations formulées dans le rapport de 2015. Le fruit de ce travail a été rendu public le 22 août 2016 dans un projet de rapport soumis à consultation publique.
Quelles sont les asymétries mettant en cause des dispositifs hybrides impliquant une succursale, et quelles sont les recommandations formulées pour les neutraliser ?
De telles asymétries surviennent en pratique lorsque les règles comptables et fiscales ordinaires qui régissent la répartition des produits et des charges entre la succursale et le siège social ont pour effet qu’une fraction du bénéfice net du contribuable échappe à l’impôt à la fois dans la juridiction de la succursale et dans celle de la résidence, donc du siège.
En substance, ce rapport distingue cinq sortes de dispositifs asymétriques impliquant une succursale et, comme dans le rapport de 2015, identifie l’origine et les conséquences des asymétries avant de préconiser pour chacune d’entre elles, une règle principale et une règle défensive.
Sont d’abord visées les situations dans lesquelles la succursale n’est pas prise en compte et ne donne lieu à aucune présence imposable dans la juridiction où elle est implantée. A l’inverse, la juridiction du siège reconnait la succursale et exclut donc les revenus présumés imputables à une succursale étrangère de l’assiette imposable. De fait, le revenu échappe à l’impôt. Une telle asymétrie découle de la qualification de la succursale et génère ainsi des résultats fiscaux similaires à ceux d’une entité hybride inversée.
Le deuxième dispositif ciblé par le Groupe de travail concerne les paiements effectués à une succursale mais non attribués à cette succursale. Dans cette situation, l’asymétrie est due non pas à un conflit relatif à la reconnaissance de la succursale, mais plutôt à une disparité des règles d’attribution des revenus à la succursale entre l’Etat du siège et l’Etat de la succursale. Cette divergence aboutit à faire échapper le paiement à tout impôt. En effet, la juridiction de la succursale reconnait l’existence de cette dernière mais considère que le paiement doit être attribué au siège alors que la juridiction de résidence, à l’inverse, exonère ce paiement au motif qu’il a été effectué au profit de la succursale.
Afin de lutter contre ces deux premières formes d’asymétries, l’OCDE préconise à titre principal de limiter le champ de l’exonération dont bénéficie la succursale. Les paiements exonérés ou exemptés d’impôt en vertu des lois de la juridiction de la succursale devraient ainsi être traités comme s’ils avaient été perçus directement par le siège social. A défaut d’adoption de la règle principale par le siège, une règle défensive consisterait à refuser, dans l’Etat du payeur, la déduction pour tout paiement à une succursale non prise en compte ou non attribué à cette succursale. Il convient toutefois de noter qu’une telle règle ne devrait s’appliquer qu’aux paiements réalisés dans le cadre d’un dispositif structuré ou entre membres d’un même groupe fiscal.
Une troisième asymétrie vise les situations dans lesquelles des paiements sont réputés effectués par une succursale au profit de son siège et ont pour effet une déduction fiscale dans la juridiction de la succursale sans inclusion dans la base taxable du siège. Il est alors recommandé, à titre principal, à la juridiction de la succursale de refuser la déduction pour le paiement dans la mesure où il est supérieur au revenu soumis à une double inclusion. A titre de règle défensive, si la juridiction de la succursale ne se dote pas de la règle principale, la juridiction du siège doit inclure le paiement présumé dans son revenu ordinaire à concurrence du montant nécessaire pour éliminer l’asymétrie.
En quatrième lieu, sont également ciblés les dispositifs dans lesquels les paiements d’une succursale donnent lieu à double déduction en vertu des règles propres à chaque pays. Le rapport préconise, à titre principal, de refuser la déduction dans la juridiction du siège et, à titre de mesure défensive, de refuser la déduction dans la juridiction de la succursale.
Enfin, le rapport vise une cinquième forme d’asymétrie : il s’agit des asymétries importées impliquant une succursale qui se produisent lorsqu’une personne peut se prévaloir d’une déduction qu’elle impute sur un paiement imposable provenant d’un tiers. A défaut de règle dans les Etats de la succursale et du siège, la solution proposée consiste alors à rejeter la déductibilité de la charge au niveau du payeur tiers dans la mesure où elle aboutit à une asymétrie des résultats fiscaux. Cette règle ne s’appliquerait, encore une fois, qu’aux paiements réalisés dans le cadre d’un dispositif structuré ou entre membres d’un même groupe fiscal.
Il est important de souligner que les recommandations contenues dans le projet de rapport ne reflètent pas une position de consensus au sein du Comité des affaires fiscales ou du Groupe de travail quant au traitement approprié des asymétries impliquant des succursales. Il faudra dès lors attendre la publication de la prochaine version du rapport, prenant éventuellement en compte les réflexions transmises à l’OCDE, avant de connaitre les recommandations finales retenues.
A l’échelle européenne, il n’existe pas encore de dispositions contraignantes visant les dispositifs hybrides impliquant une succursale. La directive anti-évasion fiscale, dite « ATAD », ne leur consacre que l’un des articles de son préambule. Seuls deux rapports du groupe du code de conduite de 2015 et 2016 visent ces dispositifs et proposent des règles de remédiation proches des recommandations de l ’OCDE.
La complexité des structures impliquant des hybrides ainsi que la diversité des systèmes fiscaux étatiques laissent aujourd’hui à penser que la mise en œuvre de ces recommandations sera une entreprise de taille au cours des années à venir.