Dans le cadre du plan d’action BEPS de l’OCDE et du G20, l’OCDE a mis à la disposition des Etats un panel d’instruments visant à mettre fin aux pratiques fiscales réputées abusives. Les mesures proposées entraîneront une modification des règles existantes qui nécessitent l’adoption de règles nationales mais aussi la modification des conventions fiscales applicables. Leur mise en œuvre effective suppose dès lors d’amender l’ensemble du réseau conventionnel existant, soit à ce jour plus de 3 000 conventions fiscales bilatérales.
Par Renaud Jouffroy, avocat associé, PwC Société d’Avocats
L’OCDE s’est donc penchée sur l’élaboration d’un instrument multilatéral, dans l’objectif d’accélérer la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales développées dans le cadre du projet tout en mettant en place un cadre cohérent et homogène. Son rapport publié fin 2014 a conclu que la mise en place d’un tel instrument était souhaitable et possible. Un groupe de travail ad hoc a alors été rapidement constitué, avec pour objectif de conclure les travaux et d’ouvrir l’instrument à la signature fin 2016. C’est désormais chose faite ! Les 99 pays participants ont abouti à un consensus : la «convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir le BEPS» a été publiée le 24 novembre 2016.
Le choix d’une approche multilatérale s’explique aisément : on évite par ce biais aux pays de devoir engager un processus fastidieux et contraignant de renégociation de chacune des conventions bilatérales en vigueur. La réponse de l’OCDE semble ainsi conduire à un gain de temps, de ressources et d’efficacité. De même l’approche multilatérale permet d’introduire les nouvelles mesures de manière cohérente de façon à garantir une certaine sécurité juridique.
Le recours à un instrument multilatéral n’est pas nouveau : on peut penser à la Convention nordique, à la Convention d’assistance administrative mutuelle ou encore à l’accord multilatéral portant sur l’échange des déclarations pays par pays. Cependant, c’est la première fois qu’une convention fiscale multilatérale non seulement met en place des règles procédurales mais aussi modifie des règles de répartition et de calcul du revenu taxable dans des situations réputées abusives.
Quelles sont alors les mesures transposées par ce biais ? En fait, le rôle du groupe de travail ad hoc n’a pas été de concevoir de nouvelles règles de fond mais seulement d’élaborer un instrument destiné à mettre en œuvre les mesures conventionnelles déjà publiées dans les rapports BEPS d’octobre 2015 et à adopter une disposition relative à l’arbitrage obligatoire et contraignant dans le cadre de la procédure amiable.
La convention multilatérale incorpore en pratique trois grands types de dispositifs.
D’une part, sont visées comme attendu, les normes a minima ou standards minimums que les pays se sont engagés à mettre en place sous le contrôle de leurs pairs. A ce titre, les Etats devront intégrer dans leurs conventions bilatérales les mesures relatives à l’utilisation abusive des conventions fiscales. Outre l’insertion d’une mention relative à l’intention commune des parties à la convention fiscale d’éliminer les situations de double non-imposition ou d’imposition réduite, les Etats doivent opérer un choix à l’égard d’une mesure relative au chalandage fiscal (treaty shopping) : insérer une clause anti-abus générale fondée sur le critère des objectifs principaux de l’opération (principal purpose test) et/ou une règle anti-abus spécifique inspirée du modèle américain, telle qu’une clause de limitation des avantages conventionnels (limitation of benefits ou LoB) qui subordonne le bénéfice des conventions au respect de certaines conditions définies précisément.
L’instrument permet également de généraliser, cette fois au profit des contribuables, la procédure d’accord amiable de règlement des différends.
D’autre part, il est permis aux Etats de renforcer leurs conventions bilatérales en y introduisant les autres recommandations élaborées dans le cadre du projet BEPS. Nous pouvons citer à ce titre les dispositions relatives à la neutralisation des montages hybrides (entités transparentes, entités ayant une double résidence), les mesures relatives à l’utilisation abusive des conventions fiscales allant au-delà des normes a minima (transactions relatives au transfert de dividendes, gains en capital tirés de l’aliénation d’actions ou de participations provenant de biens immobiliers, etc.) ou encore celles relatives aux mesures visant à éviter le statut d’établissement stable.
Sans doute pour répondre aux attentes des contribuables en matière de sécurité juridique et fiscale et aux engagements d’un certain nombre (limité) d’Etats, une dernière partie est consacrée à l’arbitrage obligatoire.
La convention multilatérale se veut aussi flexible. En effet, elle n’établit pas une série de règles d’application universelle pour les Etats signataires. Il s’agit en réalité d’un outil à géométrie variable relative qui se doit d’être compatible avec les politiques fiscales des différents Etats. L’instrument offre alors un nombre significatif de choix aux Etats qui souhaitent le signer.
Tout d’abord, les Etats signataires peuvent faire le choix de soumettre l’intégralité de leurs conventions bilatérales à l’instrument multilatéral ou d’en exclure certaines, qui peuvent par exemple être trop anciennes pour être sujettes à l’instrument ou trop récentes et allant déjà au-delà des standards adoptés dans le cadre du projet BEPS de l’OCDE et du G20. Les Etats signataires devront identifier les conventions bilatérales qu’ils souhaitent voir affectées par l’instrument et les notifier au Secrétariat de l’OCDE, qui joue le rôle de dépositaire.
Outre les options ouvertes aux signataires, telle que celle relative à la lutte contre le treaty shopping, est prévue la possibilité d’émettre des réserves. Cependant, pour assurer une certaine homogénéité, contrairement aux autres instruments internationaux, les réserves sont précisément définies et listées au sein de la convention pour chaque article : aucun pays ne pourra librement formuler des réserves non prévues à l’exception de certaines réserves pouvant être émises aux fins de l’application de la partie de la convention relative à l’arbitrage. Un Etat peut ainsi exclure l’application d’une disposition pour toutes ses conventions, voire en faire une application sélective à ses conventions, sur la base de caractéristiques prédéfinies.
L’avènement de cet instrument marque un tournant de la fiscalité internationale. Reste à voir quels Etats procéderont à sa signature et à sa ratification, sous quels délais et avec quelles réserves, sachant que 99 d’entre eux ont participé à son élaboration. Les Etats sont tenus de notifier leurs positions et réserves au moment de la signature de la convention multilatérale ou, au plus tard, lors du dépôt de l’instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation. Ce n’est qu’après ratification par cinq Etats au moins que la convention multilatérale entrera en vigueur.
La cérémonie de signature est prévue en juin 2017. Les Etats vont devoir procéder à une analyse détaillée de leur réseau complet de conventions fiscales au regard de cet instrument multilatéral dans un délai d’à peine sept mois à compter de sa publication. Pour donner une visibilité aux changements attendus pour chaque Etat, tous les signataires devront donner au moins pour cette date une liste provisoire des réserves et c’est l’OCDE, en sa qualité de dépositaire, qui permettra de suivre les évolutions de ce processus.
Même si les Etats n’ont pas de délai prédéterminé pour approuver ou ratifier cette convention (sous réserve du contrôle par les pairs pour les normes a minima), les entreprises du monde entier auront donc, dès juin 2017, une assez bonne vision des changements à attendre de l’adoption de cette convention multilatérale.