L’acquisition d’une société suppose de travailler à long terme avec ses principaux dirigeants, ce qui suppose de les fidéliser en leur offrant une rémunération de marché, mais aussi la possibilité de co‑investir aux côtés des investisseurs financiers.
Par Louis-Pascal Brabant, avocat directeur
Ainsi, les «management packages» reposent sur une pratique usuelle des fonds d’investissement, qui propose aux cadres clés des cibles acquises la possibilité de prendre un risque d’investisseur dans l’opération de reprise.
Conditionnés par l’atteinte d’objectifs financiers (couramment TRI et multiples), ils permettent, dans certains cas, aux cadres investisseurs de réaliser une plus-value, à terme, proportionnellement supérieure à celle des fonds.
L’administration fiscale a toujours considéré que les dirigeants et salariés doivent acquérir les actions des sociétés dans lesquels ils exercent leur activité, pour un prix de marché. Elle se réserve donc le droit de requalifier le gain réalisé par les dirigeants concernés et de l’imposer dans la catégorie correspondante telle que les traitements et salaires, les bénéfices non commerciaux ou les revenus de capitaux mobiliers en tant que revenus distribués.
Si diverses positions du Comité de l’abus de droit confirment qu’une prise de risque financier est un élément incontournable, deux décisions récentes viennent apporter des précisions sur l’analyse du juge.
Le Conseil d’Etat vient de statuer (CE 26 septembre 2014) sur la situation d’un dirigeant qui avait investi en capital à titre personnel dans le capital de la société cible ; il avait également bénéficié de promesses de vente consenties par les investisseurs financiers sur une fraction du capital de la société. Cette possibilité d’acquisition à terme avait donné lieu au paiement immédiat d’une indemnité.
Cinq ans plus tard, le dirigeant avait exercé ses promesses et avait revendu immédiatement ces actions en réalisant un gain. Celui-ci avait été déclaré comme plus-value en capital taxable, à l’époque des faits, au taux proportionnel de 16 %. L’administration avait requalifié cette plus-value en salaire.
Le Conseil d’Etat valide cette requalification sur la base d’un faisceau d’éléments ; d’une part, l’option d’achat était liée à la nomination en qualité de dirigeant du groupe ; la levée de cette option était subordonnée à l’exercice de fonctions de direction au sein du groupe pendant au moins cinq ans, le nombre d’actions pouvant être acheté dépendant en outre du taux de rendement de l’investissement.
Le Conseil d’Etat a en outre validé la qualification de «modeste» du montant de l’indemnité d’immobilisation acquitté par le dirigeant en comparant son montant à celui de la plus-value réalisée ; toutefois, il convient de noter que ni l’administration ni les juges n’ont remis en cause la pertinence de ce montant, alors qu’il est habituel que les outils optionnels donnent lieu à un effet de levier important, en contrepartie d’un risque de perte élevé.
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rendu (le 17 juillet 2014) une décision plus favorable au dirigeant co‑investisseur.
Cette décision a été rendue dans le contexte d’un dirigeant ayant réinvesti une quote-part des titres qu’il détenait dans une société, en les apportant à une holding de reprise, dans le cadre d’un LBO.
Il a signé, avec les fonds, un pacte aux termes duquel il s’est engagé à accompagner les investisseurs dans l’opération et à poursuivre ses fonctions de dirigeant. En contrepartie, les investisseurs ont accepté dans un second accord, de partager avec lui une partie de la plus-value qu’ils auraient réalisée.
L’administration a considéré qu’une quote-part du produit de cession perçu par le dirigeant était effectivement éligible au régime des plus-values, mais que le supplément de prix attribué par les actionnaires financiers était un salaire.
Le Tribunal a toutefois rejeté l’analyse de l’administration fiscale et a validé la qualification de plus-value réalisée par le contribuable, en se fondant sur les risques financiers pris par le dirigeant actionnaire : il a apporté des titres à la holding de reprise, et apporté sa garantie du prix des différentes transactions sur la société et au paiement d’une amende encourue par la société cédée. Son investissement était soumis à de nombreux aléas, et le risque de perte de valeur de la société était réel. En outre, les investisseurs devaient réaliser un taux de retour sur investissement d’au moins 25 %. Enfin, l’administration n’a pas démontré que le prix de cession était anormal ou qu’une liberté avait été consentie.
Ces décisions confirment à nouveau, si besoin était, qu’un dirigeant peut investir dans la société dans laquelle il exerce son activité, le cas échéant avec un instrument financier lui procurant un effet de levier, pourvu qu’une prise de risque financier significative puisse être démontrée.