Grand débat

Impact investing - L’industrie financière à la recherche d’une vision commune

Publié le 25 mars 2022 à 11h20

Sandra Sebag

Les travaux se multiplient sur la Place de Paris autour de la définition de l’impact investing, avec l’objectif final de permettre un changement d’échelle de ce type d’investissement. Tous s’inspirent de l’approche adoptée il y a une dizaine d’années par les spécialistes du capital investissement et tentent de l’adapter à l’ensemble des classes d’actifs. La réglementation pousse aussi à une certaine standardisation. En parallèle, de nouveaux instruments se créent et se développent à une vitesse accélérée. C’est notamment le cas dans l’univers obligataire où après les obligations vertes, sociales et durables, des instruments de niche émergent, comme ceux dédiés à la préservation des océans. Une façon là encore de dynamiser le marché de l’impact investing.

La notion d’impact investing fait l’objet d’une définition depuis de longues années dans le non-coté, comment celle-ci a-t-elle inspiré l’ensemble de l’industrie financière ?

Mathieu Cornieti, président d’Impact Partners et de la commission impact de France Invest : L’impact investing est un marché en très forte croissance et en pleine évolution. Sa force depuis ses débuts réside dans sa diversité en termes de stratégies et d’expertises, mais cette diversité est aussi sa faiblesse car nous ne sommes pas face à une classe d’actifs homogène. Le panel du Grand Débat reflète bien cette diversité avec des spécialistes du capital investissement et de l’obligataire. Dans cette perspective, il est assez logique que la vision et les approches de ce marché évoluent avec le temps et cela devrait continuer à l’avenir. Pour autant, les piliers que nous avons définis il y a déjà plus de 10 ans chez France Invest sont toujours là. Un fonds et/ou une stratégie à impact reposent sur une intention, à savoir la mission que se donne le gérant ; celle-ci est partagée avec le souscripteur et constitue le pivot d’une stratégie. De plus, cette intention doit être mesurée et mesurable. Au sein de la commission Impact de France Invest, cette mesurabilité se traduit par un alignement de l’intérêt de toutes les parties prenantes. Si l’on vend à un souscripteur une performance financière et un impact, les intérêts financiers des gérants doivent être alignés sur ces sujets. Cette approche nous différencie d’une approche ESG (environnement, social et gouvernance) qui est devenue un standard dans le monde du capital investissement dans lequel la performance financière est totalement corrélée à l’intérêt des gérants.

«Il est évident pour le capital investissement qu’un fonds à impact doit respecter les critères ESG ; d’ailleurs les souscripteurs attendent de notre part que nous les utilisions dans nos process de sélection. »

Mathieu Cornieti Président ,  Impact Partners

Parcours

Outre Impact Partners, Mathieu Cornieti préside aussi la commission impact chez France Invest et siège au sein du mission board « Climate change adaptation » de la Commission européenne.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise : 45
  • Encours sous gestion dans l’expertise et en % des encours globaux : 350 millions d’euros, 100 % de l’activité se situe dans l’impact investing
  • Historique de performance dans l’un des fonds phares : multiplication par deux du capital patient soit entre 10 et 12 % de TRI net
  • La philosophie d’investissement en quelques mots : une double performance, financière et sociale.

Isabelle Combarel, directrice générale adjointe en charge de l’ESG et du développement chez SWEN Capital Partners : Nous avons participé aux travaux servant à l’élaboration d’un guide porté par France Invest et le FIR (Forum pour l’investissement responsable) dont l’objectif était d’essayer de faire converger l’univers des actifs cotés et celui des actifs non cotés sur des pratiques communes. Ces travaux qui remontent à déjà plus de deux ans ont été repris plus récemment par Finance for Tomorrow. En tant qu’acteur engagé du non-coté, nous nous appuyons sur plusieurs dimensions, à savoir l’intégration ESG et l’impact, à travers différentes stratégies d’investissement en private equity ou en infrastructure, via des prises de participation au capital d’entreprises, du financement d’infrastructures ou des investissements dans des fonds. Pour adapter à nos activités l’ensemble des travaux réalisés en matière d’impact au niveau de la Place, nous avons réalisé en interne une analyse qualitative de toutes ces approches afin d’identifier les points communs et les différences. Si les écarts ne sont pas majeurs entre les définitions retenues par France Invest, le FIR et Finance for Tomorrow, nous avons fait le choix de nous aligner à chaque fois sur celle qui était la plus exigeante en termes d’impact. Nous sommes en train de mettre à jour l’ensemble de ce travail à la fois dans notre doctrine d’impact, dans nos méthodologies d’investissement et dans notre process d’investissement. Et à la fin de ces travaux, qui arrivera très rapidement, nous aurons pour ambition de signer le « pledge » de la finance à impact de Finance for Tomorrow. Parmi les éléments qui nous semblent importants, et sur lesquels la vision de France Invest et de Finance for Tomorrow est différente, figure l’alignement des intérêts de toutes les parties prenantes. En ce qui nous concerne, nous rejoignons ce qui a été souligné précédemment par Mathieu Cornieti à savoir la nécessité de cet alignement. Chez SWEN Capital Partners, pour nos gestions à impact, nous nous engageons systématiquement à aligner les intérêts de toutes les parties prenantes et conditionnons le « carried interest » à l’atteinte d’objectifs d’impact, le tout reposant sur une gouvernance transparente. Pour conclure sur ce sujet, malgré l’existence d’une base commune de travail, il existe certes des différences à la marge entre les définitions et approches proposées, mais elles ont l’avantage d’ouvrir le champ des propositions et de permettre à chaque acteur de se positionner.

Philippe Taffin, co-pilote de la task force sur l’impact de Finance for Tomorrow : Le point de départ des travaux de la « task force impact » abritée par Finance for Tomorrow est la lettre de mission de la ministre Olivia Grégoire qui vise à faire émerger d’une part une définition de Place sur la finance à impact en consolidant les différents travaux déjà engagés par les différentes associations professionnelles, et d’autre part des méthodologies de mesure de l’impact permettant aux parties prenantes d’utiliser un langage commun. Ce consensus a évidemment vocation à mobiliser davantage de capitaux et ainsi de permettre un changement d’échelle de la finance à impact. Les travaux de la task force en 2021 ont permis de faire émerger une définition partagée reposant sur les trois piliers bien connus maintenant : intentionnalité, additionnalité et mesurabilité. L’investissement à impact vise en effet à transformer les modèles économiques afin de les rendre plus vertueux sur un plan social ou environnemental. L’un des points importants de ces stratégies réside dans la démonstration de l’impact. Les bénéfices de l’investissement en matière de social ou d’environnement doivent être réels et évaluables. La performance sociale et la performance écologique ou environnementale sont recherchées au même titre que la performance économique et financière. L’atteinte de ces objectifs sociaux et environnementaux doit s’inscrire dans un des cadres de référence reconnus comme par exemple les Objectifs de développement durable (ODD). Enfin, le financeur doit démontrer que sa stratégie s’appuie sur une méthodologie, un processus d’analyse de la causalité ainsi que des outils de mesure rigoureux. Cette première définition – même si elle est susceptible d’évoluer dans le temps – marque une étape importante car elle a permis d’aligner de nombreux acteurs de la Place qui ont signé le mémorandum de soutien à cette définition. Elle permet déjà d’avancer sur des sujets plus compliqués et tout aussi essentiels comme les indicateurs de mesure et l’extension de la notion d’impact à l’ensemble des classes d’actifs. Enfin notons que cette définition a aussi un autre avantage : elle va permettre de dialoguer avec les autorités de tutelle sur la doctrine de la finance à impact notamment dans le processus d’agrément des fonds. Pour 2022, les différents groupes de travail de la task force abordent la question de la généralisation de la mesure d’impact à toutes les classes d’actifs.

Isabelle Combarel : La réglementation SFDR a pu être prise en compte au moment de l’élaboration de cette définition par Finance for Tomorrow, alors que les travaux précédents que nous avions menés avec le FIR/France Invest ne disposaient pas encore d’éléments suffisants pour les intégrer. La définition retenue par la task force s’inscrit bien dans l’article 9 du règlement SFDR et renforce la capacité des gérants à lutter contre l’impact washing.

Philippe Taffin : SFDR est une réglementation récente, exigeante, qui requiert encore des éléments de clarification, ce qui laisse parfois la place à l’interprétation des gérants et des investisseurs. Il est important que les gérants puissent s’en saisir et voir de quelle façon la confronter avec la réalité de leur gestion. Il s’agit de déterminer comment chaque type d’investissements responsables peut s’inscrire dans la réglementation et positionner chaque stratégie dans une catégorie. Il est important de mener un travail collectif sur ce sujet et non en ordre dispersé. De même, la réforme du label ISR à travers l’installation du nouveau comité du label est un moment important pour faire progresser les pratiques. Nous savons tous que le label ISR a très bien fonctionné pendant des années, en étant un vecteur d’accélération de la mise en place de critères ESG dans les gestions et un facteur d’engagement des investisseurs et des sociétés de gestion auprès des entreprises. Il a besoin d’être refondé à l’aune des progrès qui ont été réalisés ces dernières années et des quelques cas qui ont défrayé la chronique ces dernières semaines comme le scandale autour des maisons de retraite Orpéa. La finance à impact peut apporter à travers ses concepts, ses niveaux d’exigence, des dimensions qui peuvent enrichir le label ISR.

Fabien Collado, gérant ESG chez Insight Investment, filiale de BNY Mellon : Dans notre domaine d’activité à savoir les obligations publiques, l’approche est différente par rapport aux actions cotées et non cotées. Nous disposons d’instruments à impact à notre disposition à savoir des obligations vertes (green bonds), des obligations sociales (social bonds) et des obligations durables (sustainability bonds) avec des objectifs précis et qui peuvent être utilisés dans les fonds. Depuis le début de la crise de la Covid-19, le développement de ces instruments s’est accéléré, ils se sont également diversifiés. Initialement, ces obligations étaient surtout le fait de quelques secteurs comme les services aux collectivités locales ou encore le secteur financier, mais elles se sont développées dans de très nombreux secteurs d’activité depuis. Pour donner quelques chiffres, l’an dernier un quart des émissions du marché primaire européen de la dette publique a concerné des émissions durables au sens large contre moins de 10 % en 2020, ce marché est maintenant considérable et il est en pleine croissance car la demande aussi est là. Nous pouvons donc construire des solutions d’investissement à partir de ces instruments en visant un impact social ou environnemental. Pour reboucler avec la définition de l’impact, nous nous intéressons à la notion d’additionnalité. Lors de chaque émission d’obligations vertes ou d’obligations sociales, nous essayons d’obtenir des informations sur la part des capitaux qui sont apportés par ce biais ainsi que la répartition entre les nouveaux et les anciens financements. Il existe encore beaucoup trop d’opérations qui portent sur des refinancements de projet pour lesquels l’additionnalité est questionnable. Cette problématique peut avoir une incidence sur la réputation de ce marché et favoriser le « greenwashing » ou le « social washing ». Nous nous focalisons pour notre part plutôt sur des projets nouveaux. Nous menons de plus une analyse ESG de chaque émetteur afin de vérifier s’il existe un alignement entre les projets financés à travers un « green bond » ou un « social bond » et la stratégie globale de l’entreprise et sa politique RSE dans son ensemble. Il en va de même par exemple pour des projets de décarbonation, nous analysons l’ensemble de la stratégie carbone d’une entreprise avant de nous prononcer sur une émission. Plus généralement, la démocratisation de ce marché a permis d’instaurer des règles communes, par exemple en termes de reporting ou encore en matière d’indicateurs de performance. Ces derniers sont maintenant bien établis, on peut citer par exemple les émissions de carbone évitées en matière d’environnement, et dans le domaine social, nous disposons aussi maintenant de nombreux indicateurs qui sont bien renseignés comme la création d’emplois.

Les fonds à impact doivent-ils tous intégrer des critères ESG ?

Fabien Collado : L’intégration des critères ESG est primordiale dans les fonds à impact car elle permet de se prémunir contre le risque de « greenwashing » ou de « social washing » ; en effet, il ne suffit pas d’émettre une obligation verte ou sociale sur un projet en particulier pour pouvoir être éligible à notre processus de sélection. Une entreprise dans un secteur très polluant par exemple et qui ne fait pas d’effort particulier pour améliorer sa trajectoire climat et émet une obligation sociale ne peut être considérée comme la source d’un impact positif pour la société. Notre processus démarre par une analyse ESG poussée de chaque émetteur en fonction d’une batterie de critères divers. Cette première étape de sélection nous permet de réduire le risque et d’éviter d’investir dans les entreprises les moins bien notées en matière d’ESG, ces entreprises pouvant être un facteur d’externalités négatives. Une fois cet outil de scoring appliqué, nous analysons sur un univers plus restreint les émissions de « green bond », de « social bond » et de « sustainability bond » et sélectionnons les émetteurs les plus pertinents du point de vue de l’impact et financier. Cette deuxième étape peut être considérée comme positive, nous cherchons les meilleures opportunités. Ce process est très exigeant : en 2021, sur l’intégralité des transactions regardées soit 200 transactions, 25 % n’ont pas été en mesure de passer nos filtres.

«En 2021, un quart des émissions du marché primaire européen de la dette publique a concerné des émissions durables au sens large contre moins de 10 % en 2020, ce marché est en pleine croissance et répond à une forte demande.»

Fabien Collado Gérant ESG ,  Insight Investment (BNY Mellon IM)

Parcours

Fabien Collado a rejoint Insight en août 2021 comme gérant de portefeuille ESG. Auparavant il a exercé différentes responsabilités chez AXA Investment Managers, assumant dans un premier temps les fonctions d’ingénieur de portefeuille, puis de gérant obligataire spécialisé dans les stratégies de crédit euro. Plus tard, il est devenu gérant de stratégies « buy and maintain », axées sur les critères ESG. Fabien est titulaire d’un master en finance de l’IESEG School of Management. Il est également titulaire du CFA.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise : L’équipe investissement responsable d’Insight Investment, appartenant au groupe BNY Mellon Investment Management, comprend 8 personnes dédiées, qui sont épaulées notamment par une vingtaine d’analystes crédit dont la responsabilité inclut l’analyse des risques ESG et la politique d’engagement avec les émetteurs.
  • Encours sous gestion dans l’expertise : au 31/12/2021, Insight Investment gérait plus de 18 milliards d’euros en stratégies ESG.
  • La philosophie d’investissement en quelques mots : Insight Investment compte parmi les premiers signataires des Principes pour l’investissement responsable (PRI) des Nations unies, adoptés en 2006, la principale initiative mondiale en matière d’investissement responsable. Pour Insight Investment, investir de manière responsable consiste à gérer les risques : les risques du marché au sens large, ainsi que les risques sous-jacents spécifiques qui déterminent si un investissement est à sa juste valeur. Insight cherche à prendre systématiquement en compte les enjeux ESG dans ses processus de recherche.

Mathieu Corneti : Il est évident pour le capital investissement qu’un fonds à impact doit respecter les critères ESG ; d’ailleurs les souscripteurs attendent de notre part que nous les utilisions dans nos process de sélection. Il convient tout de même de noter que l’approche ESG est homogénéisante car elle exclut des secteurs ; ces exclusions peuvent alors se télescoper avec des sujets sociaux. Nous pouvons prendre l’exemple de l’alcool qui est évidemment une drogue et doit donc être sorti de la sélection dans le cadre de fonds ESG ou du moins réduit fortement. Mais ce secteur correspond aussi à un grand nombre d’emplois dans les régions rurales. En outre-mer par exemple, la production de rhum équivaut à un grand nombre d’emplois dans des territoires qui sont particulièrement vulnérables, mais ils ne peuvent relever de notre périmètre d’investissement. Autre exemple dans l’univers des entreprises cotées, en matière d’automobile, je doute que Tesla, compte tenu du coût unitaire de chaque véhicule qui est d’au moins 50 000 euros, puisse résoudre à lui seul le problème des émissions de carbone liées à la mobilité durable pour tous.

Isabelle Combarel : Sur le sujet de l’impact aujourd’hui, cela a été clairement dit par Finance for Tomorrow, il n’est pas possible de se passer de l’utilisation des critères ESG. L’impact va plus loin et prolonge l’ESG. Le tout premier niveau d’analyse peut concerner l’exclusion, mais l’ESG est aujourd’hui bien plus qu’une simple exclusion, elle doit être considérée dans sa dimension stratégique et holistique. L’approche ESG correspond à une approche par les risques qui permet aussi d’identifier les opportunités stratégiques à développer dans chaque entreprise considérée. Aujourd’hui, nous utilisons de plus en plus la notion de double matérialité, introduite par les dernières réglementations, avec l’intégration des risques extra-financiers issus de l’activité de l’entreprise elle-même, mais aussi ceux de l’extérieur pesant sur celle-ci. Nous nous devons d’avoir une vision holistique en matière d’ESG car il est vrai que parfois, certaines dimensions peuvent s’opposer, l’environnement versus le social par exemple. L’entreprise ne peut plus privilégier un seul axe, mais doit prendre en compte les préjudices qu’elle peut infliger à son environnement au sens large, comme le rappellent les dernières réglementations SFDR ou Taxonomie.

Philippe Taffin : Les stratégies d’impact font clairement partie des stratégies de finance responsable. Elles en constituent la partie la plus avancée dans la mesure où elles se définissent au travers d’un objectif de transformation durable et doivent vérifier qu’elles ne suscitent pas des externalités négatives qui viendraient réduire l’impact positif généré par la stratégie. Le processus d’implémentation doit aussi faire l’objet d’un suivi dans le temps : si sur certains axes suivis, une déviation a été constatée par rapport à l’objectif initial, il convient d’y remédier. Il s’agit donc de stratégies extrêmement exigeantes. On retrouve d’ailleurs ces principes de la finance à impact dans la façon dont la taxonomie verte a été construite ou même au sein du règlement SFDR : ces textes contiennent des objectifs, l’analyse des externalités et des critères minimaux en matière d’éthique ou de droits humains par exemple, qui doivent être intégrés et vérifiés. De même, le dernier rapport qui vient d’être rendu public sur la taxonomie sociale reprend ces mêmes principes mais adaptés au champ du social. L’harmonisation des principes est importante pour permettre aux financeurs et aux entreprises de se comprendre.

Isabelle Combarel : Nous le voyons aussi dans le cadre des attentes des investisseurs institutionnels qui associent maintenant les fonds article 9 du règlement SFDR aux fonds à impact. Demain, les fonds devront être au minimum article 8. MiFID 2, Solvabilité 2, toutes les réglementations vont intégrer des dimensions extra-financières. L’ESG est un prérequis.

Philippe Taffin : Concernant la réglementation des institutionnels aujourd’hui et en particulier celles des compagnies d’assurances, il devient nécessaire d’intégrer les notions de durabilité dans la gestion de leurs actifs financiers. Il faut dans ce cadre évaluer l’ensemble des risques extra-financiers avec évidemment un focus fort sur l’aspect climat comme cela est demandé aujourd’hui avec l’article 29 de loi Energie et climat et demain avec l’application de la réglementation CSRD. Cela va même au-delà puisque le projet de révision de la directive Solvabilité 2 va amener les assureurs à intégrer le risque de durabilité à tous les niveaux de leurs activités, et à réaliser des tests de résistance au risque climatique sur leurs activités et leurs placements. Il est également envisagé qu’ils doivent aussi analyser le risque lié à la biodiversité. La réalité est que les assureurs, au-delà des contraintes liées à la réglementation, ont déjà largement intégré les dimensions ESG notamment dans leurs investissements, et focalisent la majeure partie de leurs investissements vers des placements compatibles avec leurs engagements en matière de développement durable et avec les Accords de Paris. Leur attente est de disposer d’un cadre de reporting suffisamment harmonisé pour agréger l’ensemble de leurs placements.

Comment évaluez-vous les incidences négatives de l’entreprise ?

Isabelle Combarel : Les incidences négatives (ou PAI) sont définies dans le règlement SFDR. Le problème principal que nous rencontrons réside dans le manque d’accès aux données. En matière de capital investissement, les données ne sont pas publiques, les fournisseurs de données ne sont donc pas en mesure de nous les fournir. Pour ce faire, nous menons chez SWEN Capital Partners une campagne annuelle de collecte de données qui est actuellement en cours pour la dixième année consécutive et qui va nous permettre de récupérer, entre autres données ESG, ces fameux 14 PAI obligatoires et 2 PAI optionnels. Du moins nous l’espérons ! Et nous verrons, à la fin de la campagne attendue pour avril, les taux de réponse... Nous sommes aussi en train de renforcer nos due diligences afin de pouvoir nous assurer d’obtenir ces informations dès l’entrée en relation avec les entreprises et avant même de réaliser une opération d’investissement. Nous essayons de récupérer un grand nombre de données directement auprès des entreprises sur des indicateurs clés (qualitatifs et quantitatifs). Il est en revanche plus complexe de les évaluer quand nous sommes des investisseurs indirects (dans le cadre de fonds de fonds par exemple). Le marché n’est pas suffisamment mature à date, il est trop disparate, y compris dans le cadre des fonds répondant aux réglementations SFDR et à la taxonomie. Dans les investissements indirects, nous nous appuyons sur des engagements contractuels, mais clairement cet aspect constitue un frein.

«Les investisseurs institutionnels associent maintenant les fonds article 9 du règlement SFDR aux fonds à impact. »

Isabelle Combarel Directrice générale adjointe, en charge du développement et de l’ESG ,  SWEN Capital Partners

Parcours

Isabelle Combarel a débuté sa carrière en 2001 au sein de la direction des investissements et des placements de la MAIF, où elle y a passé 10 ans en tant que gestionnaire pour comptes propres. En 2012, elle rejoint l’activité « non-coté » du groupe OFI (qui deviendra SWEN Capital Partners en 2015) en tant que directrice d’investissement en private equity et infrastructure. En 2017, elle intègre le comité exécutif de SWEN et prend en charge la direction du développement et de l’ESG. En 2019, elle devient directrice générale adjointe et continue de piloter les enjeux ESG & impact.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise : équipe dédiée ESG & impact de 20 personnes.
  • Encours sous gestion dans l’expertise et en % des encours globaux : 6,8 milliards d’euros au total à fin février 2022, dont 3,8 milliards d’euros dans des fonds, 419 millions d’euros en fonds « article 9 » et 2,941 milliards d’euros en mandat.
  • Historique de performance dans l’un des fonds phares : les fonds d’impact catégorisés en article 9 sont trop récents pour avoir un historique de performance. Le fonds SIMS 4 lancé en 2020 (article 8) est dédié aux infrastructures avec l’ambition d’accompagner la transition vers une économie bas carbone en Europe. Il vise 500 millions d’euros d’encours, le TRI net à date est de 10,14 % et vise plus de 10 %.
  • La philosophie d’investissement en quelques mots : l’ambition de devenir un acteur de référence de l’investissement responsable dans le non-coté en Europe en développant des stratégies d’investissement exigeantes en matière de durabilité et d’impact.

Fabien Collado : Le challenge est tout aussi important dans l’univers des actifs cotés, même si, contrairement au capital investissement, nous avons à notre disposition un grand nombre d’informations publiques. Nous récupérons les données sur les entreprises auprès de différents fournisseurs de données externes, qui sont ensuite retravaillées en interne dans un modèle propriétaire « prime ». Les entreprises doivent dans ce cadre respecter les engagements internationaux a minima comme le Global Compact des Nations Unies… Nous excluons les entreprises qui ne les respectent pas ainsi que les moins bien notées de chaque industrie. Il est vrai que toutes les données ne sont pas disponibles. Dans ce cas, nous allons directement les chercher à la source. Nous envoyons des questionnaires détaillés aux entreprises afin de déterminer une note ESG, là encore selon notre modèle interne. Finalement, cette démarche est assez semblable à celle menée dans le cadre du capital investissement.

Quels indicateurs sont utilisés ? Y a-t-il un consensus dans ce domaine ?

Isabelle Combarel : Concernant les indicateurs de performance à impact, nous sommes encore loin d’une harmonisation et je ne suis pas certaine qu’il soit nécessaire d’avoir des indicateurs normalisés. L’impact relève d’approches très spécifiques à chaque entreprise. Il faut garder une certaine souplesse et matérialité. Par contre, pour les indicateurs plus standards qui relèvent de l’ESG, une standardisation a été initiée, il y a quelques années, dans le cadre du non-coté. France Invest a travaillé avec des investisseurs institutionnels comme la BPI, Eurazeo/Idinvest, ou encore la Caisse des Dépôts et Consignations. Nous avons mis en place un questionnaire harmonisé d’indicateurs à utiliser par les sociétés de gestion et par les entreprises sous-jacentes de leur portefeuille afin de faciliter la constitution de bases de données extra-financières. L’harmonisation est en train de se faire et elle accélère à cause des réglementations. Nous considérons chez SWEN Capital Partners que ces réglementations constituent une opportunité. Nous travaillons avec des investisseurs institutionnels qui pilotent plusieurs classes d’actifs, il est important qu’ils puissent être en capacité d’harmoniser l’ensemble de leurs investissements. Ce travail est en train d’être fait. Il est poussé par la réglementation SFDR, par les initiatives de Place comme les PRI et leur évaluation annuelle (principes pour l’investissment responsable de l’ONU), par France Invest ou encore par la plateforme européenne unique de collecte de données du capital investissement « European Data Cooperative » (EDC) qui est en train de développer un « module » ayant pour objectif de collecter des données extra-financières auprès de l’ensemble de l’industrie du non-coté. Cette dernière recommande une dizaine d’indicateurs communs. Nous disposons d’un leadership en Europe et je dirais même un leadership en France sur l’ESG et l’impact dont nous pouvons être fiers et qu’il faut continuer à promouvoir. Ce leadership doit être renforcé face à des initiatives anglo-saxonnes qui se montent aussi très vite et pourraient renverser la donne.

Philippe Taffin : Concernant le leadership de la France, nous avons la chance d’avoir un écosystème ancien et important qui s’est développé autour de l’économie sociale et solidaire sur laquelle la finance à impact s’est construite. Nous sommes aussi bien avancés en matière de finance verte avec la Place de Paris. La France est l’un des principaux émetteurs de « green bonds ». Pour autant, au-delà de ce dynamisme, il existe une véritable compétition autour des normes, des standards. Le principe de double matérialité développé dans le cadre des réglementations européennes constitue un vrai atout par rapport aux normes internationales et permet d’enrichir l’analyse extra-financière des entreprises et la façon dont celles-ci sont impactées par leur environnement au sens large. Cette vision doit être renforcée et s’imposer comme une norme internationale. Ce travail est compliqué. L’Efrag s’y est attelé. Il faut que les praticiens participent à ces travaux. C’est une bataille qui reste à gagner et nous devons tous collectivement, les gérants, les investisseurs, les experts, les pouvoirs publics, les entreprises, y participer. La finance ne peut pas tout faire à elle toute seule, les entreprises doivent aussi se sentir concernées. C’est le moment de vérité : il faut bâtir une réglementation solide, qui réponde aux besoins des entreprises et des financeurs. Sur la question des indicateurs à impact, idéalement il faudrait être capable de mesurer, pour un euro investi, la contribution nette en numéraire du gain social ou environnemental généré par la stratégie. C’est ce qui est réalisé par exemple dans le cadre de la structuration d’un contrat à impact et qui justifie la contribution financière de l’Etat ou d’une collectivité locale. Mais il s’agit en général de travaux lourds, fastidieux, et souvent difficiles, ce qui constitue un frein au développement de stratégies d’investissement qui au contraire doivent être réactives et s’inscrire dans la recherche d’opportunités. Aujourd’hui, des indicateurs simples sont utilisés comme les tonnes de CO2 évitées, les populations fragiles bénéficiaires par le programme financé par le fonds, etc. Ces indicateurs, même s’il ne s’agit pas d’indicateurs purs d’impact, peuvent être utilisés dans un processus structuré et permettre de s’assurer que la stratégie d’investissement remplisse bien son objectif de transformation durable et d’impact. Sur la base du constat qu’il était aujourd’hui difficile de mesurer l’impact, les groupes de travail de la task force ont concentré leurs efforts pour bâtir une grille d’évaluation visant à mesurer la contribution potentielle à la transformation durable. Cette grille déclinée sur différents types d’actifs est construite à partir de questions qui passent en revue l’ensemble des dimensions à impact et les indicateurs observables de façon pratique. Ce questionnaire va permettre de s’assurer de l’intentionnalité, de l’additionnalité et de l’opérationnalité de la démarche. Cette approche se veut très pragmatique et permet de positionner les stratégies dans une grille d’évaluation qui mesure l’intensité de la transformation. Le résultat de cette analyse pourrait également constituer un élément d’informations utile aux investisseurs particuliers ou institutionnels au même titre que les informations relatives aux risques financiers dans les reportings des fonds. Cette grille est d’ailleurs en train d’être testée auprès d’un panel de gestionnaires d’actifs afin d’en juger de la qualité et la robustesse.

«Pour 2022, les différents groupes de travail de la task force abordent la question de la généralisation de la mesure d’impact à toutes les classes d’actifs. »

Philippe Taffin Copilote de la Task Force sur l’Impact ,  Finance for Tomorrow

Parcours 

Philippe Taffin débute sa carrière en 1987 en qualité de gestionnaire de taux chez BTP Investissements, puis rejoint la Barep en tant que responsable du desk obligataire. En 1993, il intègre HSBC Assurances au poste de directeur des investissements et ALM. En 1998, il rejoint AXA IM où il occupe différentes positions dont celle de responsable de l’ingénierie financière et actuarielle. En 2005, il intègre l’équipe de gestion taux euro crédit chez Amundi. Il rejoint en 2010 Aviva Investors France avant de devenir directeur des investissements d’Aviva France en mai 2012. Il copilote depuis mars 2021 la task force de Place au sein de Finance For Tomorrow. Depuis janvier 2022, il est directeur « finance & investissements » chez France Assureurs. Philippe est diplômé de HEC, titulaire du DEA « Economie du financement » à Paris Dauphine et actuaire diplômé IAF.  Finance for Tomorrow est la branche de Paris Europlace lancée en juin 2017 avec l’objectif de faire de la finance verte et durable un élément moteur du développement de la Place de Paris, pour la positionner en centre financier de référence sur ces enjeux. Les 100+ membres de Finance for Tomorrow s’engagent dans une charte commune à contribuer à réorienter les flux financiers vers une économie bas carbone et inclusive, en cohérence avec l’Accord de Paris et les Objectifs du développement durable (ODD) de l’ONU. Sous l’impulsion de la secrétaire d’Etat à l’ESS, Olivia Grégoire, Finance for Tomorrow a initié en mars 2021 le groupe de Place « impact » rassemblant tous les acteurs financiers intéressés par la notion d’impact. Son objectif est de faire émerger et de développer la finance à impact afin de transformer l’économie réelle pour répondre aux urgences environnementales, sociétales et sociales : l’idée est bien ici d’embarquer l’ensemble des classes d’actifs cotés et non cotés.

Mathieu Cornetti : Il n’y a pas de volonté d’avoir des indicateurs communs, au contraire, il faut préserver la diversité des approches. Le consensus est qu’il n’y a pas de consensus et qu’il n’est pas souhaitable qu’il y en ait un. Les indicateurs doivent être la traduction de l’intention d’un fonds. Sur le seul thème de l’emploi, il est possible d’avoir des indicateurs très différents : ils peuvent porter sur la formation, sur l’inclusion. Les sujets sont très nombreux, si on se réfère aux objectifs du développement durable, il y en a déjà 17. La diversité des indicateurs existe et sera toujours là y compris sur les sujets sociaux.

Fabien Collado : Dans l’univers des obligations vertes ou sociales, nous avons maintenant accès à des indicateurs plus transparents que ce qui existe dans l’univers des obligations classiques. Les entreprises qui émettent ce type d’instruments établissent des reportings sur des indicateurs qui sont maintenant devenus des standards comme dans le domaine de l’environnement : les émissions de carbone évitées, la quantité d’énergie générée ou encore les économies d’énergie ; dans l’univers social, le nombre de bénéficiaires est généralement indiqué. A titre d’exemple, une banque peut s’engager à financer des PME et nous avons alors le nombre d’entités concernées, il peut aussi s’agir de programmes sociaux, éducatifs. Il existe aussi plus à la marge des indicateurs de niche. Dans tous les cas de figure, ces indicateurs sont disponibles dans les rapports publiés par les entreprises. Mais il faut encore aller les chercher. Cela demande une expertise spécifique. Nous disposons d’une équipe en interne spécialisée dans la recherche de ce type d’informations et qui est en capacité de les traiter et de les agréger au niveau des portefeuilles dans leur ensemble. Il s’agit d’une réelle expertise et elle est très pointue. Elle peut permettre de faire la différence.

La notion d’impact est-elle plus pertinente pour certaines classes d’actifs comme les actions et moins pour d’autres ?

Mathieu Corneti : Il est clair que l’enjeu de l’additionnalité est lié à la classe d’actifs et à la relation que nous pouvons avoir avec l’entreprise. Les investissements dans le cadre du capital investissement permettent d’avoir un accès direct au management et donc à l’information. Les relations sont différentes dans le cadre des marchés boursiers ou d’un investissement à travers de la dette. Les enjeux sont différents selon les classes d’actifs. Il existe un vrai challenge à aller travailler l’additionnalité dans le domaine obligataire.

Philippe Taffin : Nous devons travailler sur des approches qui soient adaptées à chaque classe d’actifs. Il faut partir de la définition standard et ensuite développer des outils d’évaluation spécifiques par classe d’actifs. C’est tout l’objet des groupes de travail de Finance for Tomorrow. Nous sommes en train actuellement de développer des grilles d’évaluation pour les actifs réels et les financements. Nous voulons à terme balayer l’ensemble des classes d’actifs au regard des stratégies à impact.

Fabien Collado : Les émissions à impact dans le domaine obligataire se sont beaucoup développées ces dernières années. Nous assistons à des lancements très novateurs, comme des « blue bonds » qui concernent des projets pour préserver les océans. Le marché croît donc fortement et se diversifie. D’un point de vue géographique aussi, le nombre d’émetteurs augmente. Si l’Europe est très bien positionnée en termes d’émissions mais aussi de réglementation et encourage le développement de ces produits, il y a maintenant aussi un momentum favorable aux Etats-Unis où la croissance de ces actifs est très forte. La taille globale de ce marché atteint maintenant 1 400 milliards de dollars et cela devrait encore progresser ! 

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