Grand débat

Innovation ESG : gérants et investisseurs sur tous les fronts

Publié le 10 juin 2022 à 10h40

Sandra Sebag

L’utilisation des critères ESG dans la gestion d’actifs est devenue un prérequis indispensable ; pour autant, elle est de plus en plus challengée par les autorités de contrôle et de régulation et par les clients. Pour répondre à ce nouvel environnement, les gérants et les investisseurs multiplient les chantiers : travaux sur l’accès aux données, extension des process à de nouvelles classes d’actifs, engagement exigeant auprès des entreprises, utilisation de critères d’impact… Les spécialistes présents lors du grand débat d’Option Finance sont toutefois bien conscients des limites présentées par les notations axées sur les informations publiées par les entreprises. Ils insistent sur la nécessité de développer des outils propriétaires et de faire preuve d’une très grande transparence vis-à-vis des choix d’investissement réalisés.

Avec (de gauche à droite) :

  • David Gait, responsable de la gestion des fonds durables Stewart Investors (filiale de First Sentier Investors)
  • Florence Bihour-Frézal, directrice de la stratégie ISR, des opérations commerciales et de la communication, Agrica Epargne
  • Laureen Haygarth, responsable du service investissement au sein de la direction des gestions d’actifs, Caisse des Dépôts
  • Laure Villepelet, directrice ESG, Tikehau Capital

Comment utilisez-vous les critères ESG dans votre gestion ?

Laureen Haygarth, responsable du service investissement au sein de la direction des gestions d’actifs, Caisse des Dépôts : Nos encours sous gestion sont de l’ordre de 225 milliards d’euros et intègrent systématiquement des critères ESG. Les placements financiers de la Caisse des Dépôts sont gérés à 97 % par 60 gérants et analystes qui investissent en direct sur des titres, avec une optique financière et extra-financière ; et à cela s’ajoute une équipe dédiée de sept spécialistes ESG qui interviennent en soutien des gérants, y compris dans le cadre du dialogue actionnarial. 

Notre philosophie d’investissement s’inscrit dans le long terme et est responsable. Pour la mener à bien, nous avons mis en place de nombreux objectifs quantifiés en termes d’empreinte carbone, de biodiversité, d’objectifs de développement durable (ODD). Ces objectifs chiffrés s’accompagnent d’un engagement actionnarial soutenu et exigeant. Nous recherchons un équilibre entre notre politique d’exclusion, qui est assez ferme, et l’engagement actionnarial, c’est-à-dire le dialogue avec les entreprises. 

Du point de vue de l’accès à l’information, nous recourons à différents prestataires de données externes, selon les thématiques. Il n’en demeure pas moins que l’analyse extra-financière est réalisée en interne par l’équipe dédiée dont j’ai la direction en binôme avec les gérants. Notre rôle consiste notamment à analyser de façon très fine les controverses, les enjeux ESG des entreprises et les résolutions déposées lors des assemblées générales, tout ceci étant débattu avec les gérants et validé par notre hiérarchie. L’engagement se pratique toujours en bilatéral avec l’entreprise, l’engagement collaboratif au sein de coalitions n’étant que marginal et intervenant seulement sur des marchés auxquels nous n’avons pas accès en dehors de l’Europe. 

De même, pour le calcul de l’empreinte carbone, nous utilisons des fournisseurs externes et recalculons tout en interne ; de plus, nous demandons toujours au gérant un score de confiance par rapport aux engagements pris par les entreprises. Nous sommes donc amenés régulièrement à faire bouger les chiffres et les notes par rapport à ce qui nous est proposé par les fournisseurs.

Florence Bihour-Frezal, directrice de la stratégie ISR, des opérations commerciales et de la communication chez Agrica Epargne : Agrica Epargne est une société de gestion, filiale à 100 % des institutions du groupe de protection sociale complémentaire du monde agricole, Agrica. Notre stratégie d’investissement intègre depuis 2008 les enjeux ESG et climat, en ligne avec la charte ISR du Groupe, les nouvelles réglementations et les enjeux climatiques, sans pour autant, et cela nous paraît essentiel, négliger les facteurs sociaux. Agrica Epargne gère 2,5 milliards d’euros d’encours, mais nous assurons le suivi ESG et climat de 11 milliards d’euros d’encours notamment pour le compte du groupe Agrica. Nous déployons notre méthodologie propriétaire sur la gestion actions en direct et dans le suivi de la multigestion. Nous souhaitons en effet engager sur une même trajectoire l’ensemble des sociétés de gestion prestataires qui interviennent dans notre gestion ou celle du Groupe. 

En matière d’épargne salariale et retraite, de la même façon, notre objectif est d’amener nos épargnants à bénéficier de produits d’investissement qui correspondent à leurs valeurs. Par exemple, nos FCPE (fonds commun de placement d’entreprises) sont sous suivi ESG et à 100 % fonds de partage, la société de gestion reversant une partie de son chiffre d’affaires à des organisations visant un impact sociétal sur le territoire. Il est important de souligner que nous faisons correspondre nos engagements avec ceux de nos épargnants, sans leur en faire porter le coût. Pour mesurer leur intérêt pour ces produits, nous avons réalisé un sondage fin 2020, dans lequel plus de 80 % des répondants ont exprimé une préférence pour les fonds qui prennent en compte les enjeux du développement durable en matière d’environnement et de santé ainsi qu’en matière sociale, et ce en toute transparence. Nous possédons une approche ESG intégrée, nos équipes de gestion déploient directement l’approche ESG avec l’appui des spécialistes ESG et climat. Au total, l’équipe composée de 8 personnes, utilise notamment de la recherche interne et les données de fournisseurs externes spécialisés sur l’ESG. 

Enfin, dernière précision, nous nous appuyons sur une approche « best in class » et « normative » à la fois sur l’ESG et le climat, nous prenons en compte les trajectoires des entreprises avec une attention particulière sur les plus carbonées, car nous sommes conscients de la nécessité d’encourager la transformation des business models des entreprises. Nous ne nous limitons pas aux données brutes, mais analysons aussi les évolutions et les stratégies de transition. Nous sommes là pour accompagner l’économie.

Laure Villepelet, responsable ESG, Tikehau Capital : Laureen et Florence ont détaillé les approches ESG de la Caisse des Dépôts et d’Agrica Epargne sur les instruments cotés (actions notamment). Tikehau Capital investit à travers différentes lignes de métier dont les actifs illiquides avec des émetteurs de plus petite taille. Nous réalisons des partenariats avec des ETI et nous investissons principalement en capital-investissement, en dette privée, en immobilier et en infrastructure. Sur nos 35 milliards d’euros d’actifs sous gestion, les stratégies liquides représentent 5 milliards d’euros. 

En ce qui nous concerne, nous essayons d’innover sur les stratégies illiquides et de refléter aussi ces innovations sur les stratégies liquides. L’essentiel des actifs que nous couvrons ne sont pas notés ; par conséquent, nous avons choisi de développer nos propres analyses ESG sur les émetteurs. 

L’innovation chez Tikehau Capital depuis le lancement de notre premier fonds thématique en 2018 a consisté à nous doter d’un cadre « impact » avec intentionnalité (c’est-à-dire une mission) ainsi que de quatre autres briques (additionnalité, mesure d’impact, alignement d’intérêts et analyse par un tiers). Le lancement d’un premier fonds à impact dédié à la transition énergétique s’est accompagné d’un changement de perspective des gérants qui – pour certains produits – mettent maintenant au même niveau la performance financière et la performance ESG. A titre d’exemple, concernant notre ligne de métier dédiée à la dette privée, nous intégrons des critères extra-financiers depuis 2017 qui prennent la forme d’une liste de questions pour les analystes vis-à-vis des entreprises et depuis 2020, nous avons intégré des critères ESG dans les contrats de prêt. L’équipe d’investissement discute ainsi avec le management et le sponsor sur la façon de structurer un prêt sur une feuille de route ESG. Dans ce domaine, nous sommes pragmatiques, beaucoup d’entreprises ne disposent pas par exemple de données sur leurs émissions de carbone, nous exigerons ainsi la première année la réalisation d’un bilan carbone puis la définition d’une trajectoire. Plus fondamentalement, un de nos enjeux est de permettre aux équipes d’investissement d’être en capacité de mieux évaluer la performance de la société par rapport à un benchmark. Nous devons élaborer de bons outils, des benchmarks afin de progresser en matière d’analyse de l’impact à la fois sur les aspects positifs et sur les aspects négatifs.

David Gait, responsable de la gestion des fonds durables de Stewart Investors, filiale de First Sentier Investors : First Sentier Investors est l’un des plus gros gérants d’Australie avec 150 milliards d’euros d’encours sous gestion. L’équipe que je dirige gère environ 23 milliards d’euros. Le premier fonds durable lancé remonte à 2005, mais depuis la création de la société en 1988 les critères ESG sont utilisés. 

Nous n’investissons que dans des entreprises de grande qualité qui sont bien placées pour contribuer au développement durable et en bénéficier. Alors que le positionnement durable d’une entreprise concerne principalement les produits et services qu’elle fournit, les notations ESG se concentrent généralement davantage sur la communication des entreprises. Nous essayons d’approfondir la culture et l’éthique d’une entreprise car bien que les aspects opérationnels et d’information puissent fournir des indices sur la qualité, ils en disent très peu sur l’horizon temporel, l’intégrité ou la résilience de l’entreprise et de ses dirigeants. Nous examinons ainsi une série de facteurs qualitatifs et quantitatifs et nous essayons de comprendre ces domaines de façon plus subjective. L’entreprise est-elle détenue par une famille qui a une vision à long terme ? Perçoit-elle l’entreprise comme ayant une vocation sociale ? L’entreprise paie-t-elle un taux d’imposition raisonnable ? Que disent les délais de paiement sur la façon dont l’entreprise traite ses fournisseurs ? Le management est-il à l’origine d’incidents vis-à-vis d’actionnaires, d’employés ou d’autres parties prenantes ? Est-ce qu’il assume la responsabilité des problèmes lorsqu’ils surviennent ? Comment s’est-il comporté lors des crises passées ? Nous considérons ces questions comme les véritables indicateurs ESG car ils apportent une compréhension de la qualité qui ne peut être réduite à une notation.

David Gait

Responsable de la gestion des fonds durables de Stewart Investors, filiale de First Sentier Investors

« L’ISR est, selon nous, un ingrédient essentiel de toute stratégie d’investissement à long terme, quelle que soit la classe d’actifs. »

Parcours

David Gait est à la tête du Sustainable Funds Group, une équipe au sein de Stewart Investors. Son équipe gère 14,6 milliards de livres sterling (17,3 milliards d’euros), elle intègre systématiquement les critères ESG. Stewart Investors est détenue à 100 % par First Sentier Investors qui gère 156,5 milliards d’euros. David a rejoint Stewart Investors en 1997. Il est titulaire d’un master avec mention en économie de l’Université de Cambridge et d’un master ès sciences en analyse des investissements de l’Université de Stirling.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise : 13 gérants/analystes et 1 spécialiste produit.
  • Encours sous gestion : 20,6 milliards d’euros (17,4 milliards de livres sterling), 100 % ESG.
  • Historique de performance d’un des fonds phares : Stewart Investors Asia Pacific Sustainability Fund, performance sur 12 mois au 31 mars 2022 : 3,1 % contre – 5,8 % pour son indice de référence, le MSCI Asia Pacific ex-Japan et sur 12 mois au 31 mars 2021 : 50,5 % contre 48,1 % pour l’indice de référence. Sur cinq ans au 31 mars, la performance annualisée du fonds est de 9 % contre 6,1 % pour l’indice de référence.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : fondée en 1988, Stewart Investors gère des stratégies d’investissement en actions dans le monde, les marchés émergents, l’Asie-Pacifique, l’Europe et le sous-continent indien. Sa philosophie d’investissement s’articule autour du principe d’une gestion prudente, réfléchie et responsable du capital des clients avec la durabilité au cœur du processus.

L’analyse ESG est challengée ces derniers mois notamment par la multiplication des controverses, l’une des solutions se situe-t-elle dans un meilleur accès aux données ? Quelles innovations sont possibles dans ce domaine ?

David Gait : A l’heure actuelle, nous assistons à l’émergence d’une prolifération de nouveaux services de données pour répondre aux différentes demandes des investisseurs. Celles-ci vont de l’alignement des revenus sur la taxonomie de l’Union européenne (UE) ou des objectifs de développement durable (ODD) à l’élaboration d’analyses de scénarios des risques climatiques. La plupart s’appuient sur des modèles macroéconomiques et peuvent produire des résultats étranges. Les fournisseurs de données doivent et vont s’améliorer, mais nous pensons que pour bien comprendre une entreprise et la contribution qu’elle apporte au développement durable, les investisseurs doivent toujours effectuer une analyse bottom-up (partant de l’entreprise). 

Le danger vient aussi du fait que les investisseurs traitent ces nouvelles sources de données comme un évangile plutôt que comme un moyen de regarder les entreprises d’une manière différente. A contrario, nous avons constaté que l’utilisation de cadres tels que le « Project Drawdown », initié par une association à but non lucratif qui cherche à accélérer l’avènement du pic des émissions de gaz à effet de serre et donc le moment de leur réduction, ou encore l’indice de développement humain aident à justifier les contributions de nos entreprises, qui sont toujours démontrables, mais pas toujours mesurables.

Laureen Haygarth : L’accès aux données est en effet un vrai sujet, mais il ne faut pas non plus toujours se réfugier derrière cette problématique. Nous sommes aussi souvent face à un défaut d’analyse. Lorsque nous considérons les données publiées par les fournisseurs, il existe souvent des décalages entre eux et nos propres analyses. Cela est assez compréhensible compte tenu de la taille des univers couverts par les fournisseurs alors que nos gérants sont sectorisés. Ils connaissent parfaitement une quinzaine de valeurs. Notre connaissance des entreprises est beaucoup plus fine. 

Nous avons aussi remarqué des problèmes de fréquences de mises à jour ou encore d’identification des sources. Mais comme l’ESG est maintenant considérée comme stratégique, les informations sont présentes dans tous les documents publiés par les entreprises. Il faut être exhaustif et réactif et il devient pertinent d’utiliser aussi les benchmarks publics qui se développent ou encore des travaux d’ONG (organisations non gouvernementales).

Florence Bihour-Frezal : L’accès et la qualité des données constituent en effet un des enjeux fondamentaux. Nous nous appuyons sur la complémentarité de l’ensemble de l’écosystème : les travaux des brokers, des agences, les études menées par des ONG et l’expertise de nos gérants nous permettent de nous forger une opinion sur les entreprises. Nous travaillons sans cesse à l’amélioration de nos process, cela relève aussi de facteurs exogènes dont nous n’avons pas la maîtrise, mais que nous devons encourager notamment en investissant sur des capacités d’analyse. Nous devons pouvoir disposer d’une bonne qualité et traçabilité de ces données sur l’ensemble des activités de l’entreprise. En tant qu’investisseur de long terme, nous devons par le dialogue et le vote, inciter les entreprises à s’inscrire dans cette trajectoire. 

Nous espérons également des progrès en termes de périmètre. En Europe et en particulier en France, la réglementation est exigeante, mais cela n’est pas partout le cas dans le monde, induisant des biais dans la donnée et les pratiques des acteurs. Nous investissons dans d’autres zones géographiques hors de l’Europe. Il faudrait pouvoir réconcilier ces exigences pour que les entreprises non européennes qui viennent se financer auprès d’acteurs européens fournissent les mêmes informations que les entreprises européennes. Enfin, un autre enjeu est celui de la transparence et de la formation des distributeurs. Il ne faut pas se cacher derrière un langage d’expert. Les épargnants doivent pouvoir accéder à une offre d’investissement durable et avoir confiance dans les approches qui leur sont proposées.

Laure Villepelet : En complément, l’un des éléments clefs pour comprendre la performance de l’entreprise est le positionnement de la durabilité dans son modèle d’affaires. Dans les entreprises les moins matures, des initiatives éparses existent par exemple au sein des directions des ressources humaines sur la diversité homme/femme. Ensuite, certaines ont mis en place des politiques RSE. 

En ce qui nous concerne, nous voulons comprendre si au-delà des politiques, l’entreprise s’est fixé des objectifs quantitatifs. Et il s’agit de travailler non seulement au niveau des opérations et de la chaîne de valeur de l’entreprise, mais aussi et surtout au niveau de ses produits et de ses services. L’entreprise a-t-elle pour objectif de développer la part durable de son chiffre d’affaires ? En quoi la stratégie de développement durable affecte-t-elle sa raison d’être ? Nous apprécions des entreprises qui ont intégré la RSE au cœur de leur modèle d’affaires car elles s’inscrivent dans une recherche d’impact. En Europe, nous pouvons commencer à le mesurer grâce à la taxonomie européenne qui propose des standards robustes en matière d’externalités positives et négatives. Comme le mentionnait David, des taxonomies existent aussi sur les ODD (par exemple la plateforme Sustainable Development Investments). 

Nous accompagnons les entreprises pour monter en gamme sur ces sujets, notamment en capital-investissement. Dans le cadre du pacte d’actionnaires, nous pouvons intégrer la mise en place d’un plan de décarbonation en ligne avec les « Science-Based Targets » afin de faire accélérer les entreprises. Nous pouvons les inviter aussi à travailler sur des objectifs concrets chiffrés ou sur leur raison d’être. Au-delà de la performance ESG, nous essayons d’évaluer l’état d’esprit de l’équipe dirigeante qui est déterminant dans la stratégie des entreprises.

Florence Bihour-Frézal

Directrice de la stratégie ISR, des opérations commerciales et de la communication chez Agrica Epargne

« Les réglementations ont permis de soutenir et de crédibiliser l’investissement responsable, initié il y a plus de 20 ans et taxé de ”tendance marketing“. »

Parcours

Florence Bihour-Frézal bénéficie d’une expérience de plus de 15 ans dans le domaine de l’accompagnement des dirigeants et investisseurs dans la mise en place de stratégies en matière d’investissement responsable et de responsabilité sociale des entreprises. Elle a notamment exercé auprès de l’Agence internationale Vigeo Eiris (devenue Moody’s ESG) jusqu’en 2019 en tant que directrice du département commercial dédié aux investisseurs français et internationaux, puis a dirigé le cabinet Innovact Consulting, spécialisé dans le conseil et le déploiement de solutions RSE, ESG et climat. En 2021, elle rejoint Agrica Epargne en qualité de directrice de la stratégie ISR, des opérations commerciales et de la communication.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise : 12 salariés (dont 8 femmes et 4 hommes)
  • Encours sous gestion : 2,5 milliards d’euros, 100 % ESG
  • Historique de performance d’un des fonds phares : Agrica Epargne Euro Responsable. Perf. YTD au 30/05/2022 : Part I – 11,01 % et Part B – 11,23 %, indice – 9,27 %. Perf. un an (du 28/05/2021 au 30/05/2022) : Part I – 3,02 %, Part B – 3,21 %, indice – 3,44 %.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : une approche propriétaire, inclusive et pragmatique, fondée sur les meilleures pratiques sectorielles, et qui fait écho aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies.

L’innovation ESG peut aussi être tirée par la réglementation, comment la traduire concrètement en opportunité produits/investissements ?

David Gait : Les réglementations sur les différents marchés visent à protéger les investisseurs finaux contre les fausses déclarations (greenwashing) et à orienter davantage de capitaux vers le développement durable. Ces deux objectifs sont importants, mais risquent d’être sapés par la complexité. Pour nous, il existe trois tests simples que nous pouvons appliquer pour comprendre et évaluer ces deux objectifs. Premièrement, la contribution au développement durable a-t-elle un sens pour l’entreprise ? Deuxièmement, a-t-elle un impact démontrable sur la question de la durabilité ? Et enfin, le point de vue est-il équilibré, reconnaissant qu’il n’y a pas d’entreprise parfaite ? Nous avons pris la décision, il y a plus d’un an, de divulguer tous nos investissements ligne à ligne dans un outil interactif sur notre site web dans le but de décrire comment chaque entreprise répond à ces tests.

Laure Villepelet : La réglementation constitue un formidable accélérateur. Elle est très utile notamment en ce qui concerne la taxonomie ou encore la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui invite les entreprises à publier l’ensemble des émissions carbone, en incluant le scope 3 (lié à la chaîne de valeur amont et aval) ainsi que les émissions évitées ou séquestrées. Le régulateur propose de travailler sur des indicateurs qui ne sont pas encore stables, mais il nous invite à aller plus loin. La taxonomie nous donne un cadre pour définir ce qui est vert et ce qui ne l’est pas. Nous essayons d’être pragmatiques, nous utilisons la taxonomie, mais si nous estimons que des entreprises disposent d’un modèle qui à l’avenir sera éligible, nous pouvons y investir d’ores et déjà. Je pense par exemple à un investissement que nous avons réalisé récemment dans les pâtes à tartiner végétales qui est hors taxonomie, mais qui pour nous est durable, nous sommes parfaitement transparents sur ce type d’investissement vis-à-vis de nos clients. Nous pouvons en effet démontrer que par rapport à des pâtes à tartiner qui utilisent des produits laitiers, les pâtes à tartiner végétales permettent d’éviter des émissions de carbone et de méthane (liées aux vaches) et sont meilleures pour la santé.

Florence Bihour-Frezal : Les réglementations, qu’il s’agisse de SFDR, de taxonomie ou encore de la loi Energie-climat, ont permis de soutenir et crédibiliser l’investissement responsable, initié il y a plus de 20 ans et taxé de « tendance marketing ». Elles permettent d’accélérer les investissements soutenables pour un monde en dessous des 2° C, en encourageant les équipes à aller plus loin et en proposant aux investisseurs et épargnants des produits qui traduisent leurs valeurs et donnent du sens aux investissements. Depuis 2021, nous avons lancé de nouveaux fonds avec des stratégies engagées et une gamme d’épargne salariale 100 % fonds de partage, qui reversent des dons à des associations de terrain qui proposent des solutions sociétales, comme dans le domaine de la santé, par exemple à travers la lutte contre les maladies neurodégénératives, dont Parkinson, qui touchent particulièrement le monde agricole. Nous essayons de rendre notre démarche toujours plus concrète pour l’ensemble des acteurs, et mesurable. Nous travaillons par exemple aussi sur l’enjeu complexe de la biodiversité, portée par la France à travers la loi Energie-climat et nécessitant des investissements. Toutes les démarches liées à la réglementation qui permettent de rendre les produits plus transparents et plus comparables sont les bienvenues.

Laureen Haygarth : Nous ne commercialisons pas de fonds. En revanche, nous sommes impactés sur notre bilan par l’article 29 et la taxonomie. Ces réglementations nous poussent à aller plus vite. A titre d’exemple, huit mois avant la publication de l’article 29, nous avions pris l’engagement de mesurer l’empreinte biodiversité en nous appuyant notamment sur le Global Biodiversity Score (GBS) développé par notre filiale CDC Biodiversité, de nos portefeuilles actions et obligations d’ici 2024 car nous savons qu’il faut du temps pour asseoir la méthodologie, faire des tests. Nous allons continuer d’investir dans la recherche méthodologique pour éviter notamment les biais inhérents aux proxys sectoriels ou géographiques.

Laure Villepelet

Directrice ESG de Tikehau Capital

« Nous apprécions les entreprises qui ont intégré la RSE au cœur de leur modèle d’affaires car elles s’inscrivent dans une recherche d’impact. »

Parcours

Laure Villepelet a rejoint Tikehau Capital en 2017 pour accélérer l’intégration ESG à travers ses différentes classes d’actifs. Laure se concentre plus particulièrement sur la plateforme impact du groupe dédié au climat et à la biodiversité, à l’inclusion sociale et au développement économique, à l’innovation et à la santé. Précédemment, Laure a participé à des projets de recyclage, emballages propres et transports bas carbone au sein de l’équipe développement durable de L’Oréal France. Elle a commencé sa carrière chez PwC Valuations à New York et à Londres, et a travaillé comme analyste financier à Singapour.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise et % par rapport au total : une trentaine de spécialistes de l’investissement (analystes et gérants) déployés entre Paris, Londres, New York et Singapour.
  • Encours sous gestion dans l’expertise et en % des encours globaux : 4,9 milliards d’euros soit 14 % des encours globaux.
  • Historique de performance sur l’un des fonds phares : Fonds Tikehau Equity Selection (Part I) : perf. YTD – 12,81 %, perf. un an – 1,50 %, perf. trois ans 37,56 % (Tikehau Equity Selection I-Acc- EUR, données au 27/05/2022).
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : philosophie axée sur l’investissement long terme de conviction et sur une recherche fondamentale, à la fois sur des critères financiers et extra-financiers.

En termes de couverture de classes d’actifs, quelles sont les innovations à apporter et sur lesquelles travaillez-vous ?

David Gait : Nous sommes toujours mal à l’aise face au terme « innovation », en particulier lorsqu’il s’agit de finances. L’ISR est selon nous simplement un ingrédient essentiel de toute stratégie d’investissement à long terme, quelle que soit la classe d’actifs. Nous sommes persuadés après plus de 15 ans d’investissement dans le développement durable que posséder un horizon d’investissement à long terme et utiliser une approche d’investissement « bottom-up » reste le meilleur moyen de comprendre comment les entreprises contribuent au développement durable. Adopter une vision large de la durabilité nous a également permis de mieux comprendre le positionnement des entreprises dans lesquelles nous investissons, car toutes ces questions sont interdépendantes et concernent les entreprises de différentes manières. Enfin, l’intendance et le leadership éthique font partie des caractéristiques déterminantes des entreprises durables.

Laureen Haygarth : En ce qui la concerne, après avoir réalisé une baisse de – 45 % de l’intensité carbone de son portefeuille actions et de – 69 % de son portefeuille obligataire sur la période 2014-2020, la Caisse des Dépôts (gestion d’actifs) s’astreint sur 2020-2030 à une nouvelle baisse de – 55 % sur ces portefeuilles (actions et obligations) pour les aligner sur une neutralité carbone à 2050, conformément aux recommandations de la Net Zero Asset Owner Alliance. Nous souhaitons également parvenir à couvrir la dette souveraine en termes d’objectifs quantifiés de réduction d’émission de carbone ; nous réalisons déjà une notation ESG en interne sur la dette souveraine.

Florence Bihour-Frezal : De notre côté, nous avons renforcé nos approches sur la multigestion avec les due diligences intégrées, financières et ESG. En matière de gestion en direct, nos process sont avancés et sont directement ajustables, à la différence de la multigestion. Sans jamais négliger la performance financière, notre objectif est triple : influer sur les pratiques de marché, encourager l’intégration de ces enjeux et nous assurer que nos investissements sont alignés avec notre approche. 

La vérification ESG et climat porte sur trois volets : la stratégie de la société de gestion, la stratégie du fonds et l’analyse ligne à ligne des investissements. Elle couvre les enjeux ESG, climat, énergie fossile et la politique de vote à travers plus de 50 questions. Certaines sociétés de gestion peuvent avoir une politique ESG, mais les approches peuvent différer selon les produits. Nous souhaitons dans nos investissements avoir un maximum de transparence et vérifier que ce qui est annoncé correspond bien à la réalité et à nos valeurs. Ces audits sont réalisés au moment de l’investissement, mais aussi sur le stock.

Laure Villepelet : Pour compléter sur d’autres classes d’actifs, le lancement de fonds à impact a constitué pour Tikehau Capital une évolution importante de notre stratégie ESG. En effet, cette initiative a permis de modifier la façon dont nos gérants conçoivent l’investissement et analysent les business plans des entreprises dans toutes les lignes de métier. Dans le cadre d’un fonds sur la thématique transition énergétique par exemple, l’impact permet de démontrer que nos investissements induisent un évitement d’émissions de carbone. L’autre enjeu consiste à démontrer que les fonds reposent sur une intention et apportent également de l’additionnalité. Cela demande une mobilisation des équipes d’investissement et aussi parfois le recours à des experts externes. 

En matière d’immobilier par exemple, certains de nos gérants savent déjà très bien comment décrypter la taxonomie. Pour 2022, nous avons annoncé le lancement de quatre fonds à impact innovants, dont l’un dédié au financement de petits actifs décentralisés qui permettent de réduire l’empreinte carbone de leurs utilisateurs finaux, et l’autre dédié à l’agriculture régénérative. Il faut aller vite, d’après le dernier rapport du GIEC le pic des émissions carbone doit être atteint en 2025.

Laureen Haygarth

Responsable du service investissement au sein de la direction des gestions d’actifs de la Caisse des Dépôts

« Il est primordial de ne pas négliger les objectifs sociaux qui sont difficiles à matérialiser. En attendant la taxonomie sociale, il est de notre responsabilité d’aller plus loin sur ces sujets. »

Parcours

Laureen Haygarth est diplômée de Macquarie University en relations internationales. Elle débute sa carrière en 2007 au sein d’une agence de notation extra-financière, PIRC, à Londres, comme analyste vote et engagement. En 2010 elle rejoint Proxinvest pour s’occuper de la recherche européenne à Paris. Elle intègre le groupe Caisse des Dépôts en 2013, d’abord en tant qu’experte en gouvernance auprès des équipes de gestion de placements financiers, puis en 2017 comme analyste ESG senior ; en 2020, elle prend la responsabilité du nouveau service d’analyse investissement responsable au sein de de la direction des gestions d’actifs.

Chiffres clé

  • Effectifs dans l’expertise : 100 % des gérants de la CDC, soit 60 gérants analystes financiers et extra-financiers + 6 analystes ESG spécialisés en soutien des gérants.
  • Encours sous gestion dans l’expertise et en % des encours globaux : 225 milliards d’euros d’encours au 31/12/2021 et 100 % gérés ISR.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Investissement de long terme, 100 % responsable, avec une approche ISR marquée prioritairement par de l’engagement exigeant et réaliste.

Pour aller plus vite et innover, faut-il miser exclusivement sur les fonds à impact et thématiques ?

Laure Villepelet : Ils peuvent constituer une réponse à des problèmes concrets à travers des partenariats innovants. Comme évoqué précédemment, nous venons de lancer un fonds sur l’agriculture régénérative en partenariat avec Axa Climate et Unilever qui investissent à nos côtés pour financer des projets, de PME et d’ETI qui permettent d’accélérer la transition vers une agriculture régénérative. Lorsque nous avons lancé notre fonds sur la transition énergétique, nous l’avons fait en partenariat avec TotalEnergies avec la volonté de n’investir que dans des sociétés qui ont un impact positif sur l’efficacité énergétique, l’énergie bas carbone ou encore la mobilité durable. En 2018, notre filiale Tikehau Ace Capital a aussi lancé, avec le support de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), un fonds dédié à la cybersécurité (175 millions d’euros levés en octobre 2021). Nos fonds thématiques sont créés avec l’appui de partenaires afin d’être robustes.

Florence Bihour-Frezal : Un des aspects qui nous semble essentiel est de bien prendre en compte l’ensemble des critères ESG et en particulier le critère social. Il ne sert à rien d’investir dans des éoliennes si leur production n’est pas faite dans des conditions socialement responsables. 

Au-delà de l’impact, l’engagement doit être visible et être traduit dans les fonds. Lorsque nous avons lancé le fonds Agrica Epargne Euro Responsable, nous avons affiché une trajectoire sur la durabilité chiffrée : 50 % de nos investissements sont orientés vers des entreprises qui apportent des solutions innovantes au sens des ODD des Nations Unies et 50 % sont investis dans des entreprises qui favorisent les thèmes de la santé et de l’environnement, tout en étant vigilant sur le fait que la contribution à un objectif spécifique ne dédouane pas d’une politique ESG globale. Il faut avoir des objectifs chiffrés, en rendre compte et contribuer à des actions visibles sur le terrain comme avec nos fonds de partage. Ils accompagnent les malades et leurs familles à travers les actions de l’association Siel Bleu et du fonds de dotation Clinatec.

Laureen Haygarth : Nous travaillons actuellement sur les thèmes de la biodiversité, de l’usage du plastique et de la transition juste. Il est primordial de ne pas négliger les objectifs sociaux qui sont difficiles à matérialiser. Le régulateur nous pousse sur les thèmes du climat et de la biodiversité et parfois cela se fait presque au détriment du social. Depuis longtemps, nous entendons dire que le social est le parent pauvre de l’ESG, mais nous avons moins de ressources pour avancer sur ce sujet. En attendant la taxonomie sociale, il est de notre responsabilité d’aller plus loin sur le social, ce que nous intégrons dans notre gestion à la CDC. 

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