L’intermédiation financière par les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) a toujours connu un succès auprès des investisseurs grand public en France. L’Autorité des marchés financiers (AMF), dans son édition 2024 des chiffres clés de la gestion d’actifs, mentionnait que les OPCVM déposés en France représentaient 841 milliards d’euros d’actifs pour 3 156 OPCVM en 2022. Forte dispersion des risques, haut niveau de protection, diversification des classes d’actifs et liquidité élevée pour faire face aux rachats des parts constituent quelques-uns des avantages bien compris par les investisseurs.
Le haut niveau de protection des investisseurs dans les OPCVM est notamment la résultante d’un cadre financier européen strict, dans lequel on trouve la directive sur l’éligibilité des actifs (UCITS EAD ou EAD). Cette directive, datée de 2007, a fait l’objet en mai 2024 d’une demande par la Commission européenne de conseils techniques par l’ESMA, Autorité européenne des marchés financiers. Cette dernière a sollicité à son tour l’avis des parties prenantes du marché européen à travers un ensemble de questions. Cette révision à venir de l’EAD est l’occasion de mettre en exergue quelques problématiques actuelles et orientations possibles développées dans les réponses données par les parties prenantes.
Comment l’éligibilité des actifs fonctionne-t-elle actuellement en France pour les OPCVM ?
Dans cet article et afin de simplifier la lecture des exigences réglementaires, on se concentrera uniquement sur l’EAD pour les OPCVM. On laissera volontairement de côté l’éligibilité des actifs résultant du programme d’activité des sociétés de gestion (position recommandation AMF 2012-19) et des restrictions supplémentaires inscrites dans les documents constitutifs propres à chaque OPCVM. C’est en effet ce triptyque réglementaire qui régit en pratique l’éligibilité des actifs d’un OPCVM.
Actuellement portée par la directive OPCVM, reprenant l’EAD et transcrite en droit français aux articles R. 214-9 et suivants dans le Code monétaire et financier, l’éligibilité des actifs est principalement portée par une exigence de liquidité, d’évaluation fiable et de négociabilité. Par ces règles strictes portant sur l’éligibilité des actifs, il est ainsi impossible d’avoir à l’actif d’un OPCVM des cryptoactifs (réservés à certains OPC à une clientèle professionnelle), de l’immobilier (à l’instar d’une SCPI), des actifs non cotés (relevant des Fonds d’Investissement Alternatif (FIA) de marché privé), des créances (relevant des véhicules de titrisation) ou encore des fonds répliquant le cours de l’or.
Le corpus réglementaire en place rend difficile la prise en compte des nouvelles innovations financières et amène à des divergences d’interprétations constatées d’un pays à l’autre de l’Union européenne (mettant à mal l’exigence de conditions équitables de concurrence, le fameux « same level playing field »). Ces deux points sont notamment repris par l’ESMA afin d’adresser un ensemble de questions aux parties prenantes.
Quelle orientation possible pour la révision de la directive sur l’EAD ?
La consultation de l’ESMA sur la révision de l’EAD a suscité de multiples réponses de la part des parties prenantes en Europe. Nous allons ici nous intéresser plus particulièrement à deux points : le devenir de la norme OPCVM et l’ouverture potentielle des actifs éligibles au sein d’un OPCVM.
La majorité des répondants est en faveur de la conservation de la norme « OPCVM », norme connue auprès d’investisseurs particuliers et dont le succès s’explique notamment par la liquidité des actifs, des règles strictes d’éligibilité et de dispersion des risques. Soulignons cependant que l’ESMA a mentionné, dans une position du 22 mai 2024, une recommandation auprès de la Commission européenne afin de dissocier en deux gammes les OPCVM (les « basiques » et le reste). La France a, quant à elle, introduit une voie médiane. En effet, les FIVG (Fonds d’Investissement à Vocation générale), FIA français destinés au grand public, autorisent une liste d’actifs éligibles plus ouverte avec notamment la possibilité d’inclure de façon limitée des créances et des OPC investissant sur du non-coté. Avec l’arrivée récente de la norme révisée Eltif 2, verrons-nous l’arrivée d’une nouvelle norme européenne d’OPC à l’instar de cette solution française, se positionnant entre les OPC Eltif et les OPCVM et pouvant être une forme de « FIVG européen », afin de porter certaines classes d’actifs ou de risques spécifiques auprès du grand public ?
Un autre point également mentionné dans les réponses des parties prenantes à la consultation porte sur l’élargissement des classes d’actifs possibles à l’actif d’un OPCVM. L’AMF cite dans sa lettre de l’Observatoire de l’épargne en France une intention d’investissement pour les 12 prochains mois des Français à hauteur de 40 % vers les placements garantis et seulement 7 %, par exemple, sur les cryptoactifs. L’ouverture pourrait être envisagée, comme le mentionne France Invest, à l’éligibilité des OPC Eltif ou plus largement aux OPC Evergreen1. Quant aux autres classes d’actifs, il conviendrait de rester sur des risques traditionnels, facilement compréhensibles et appréhendables par le grand public, comme le justifie notamment France Post Marché.
Finalement, tout est question de protection de l’investisseur : est-ce que le régulateur européen voudra introduire à l’actif des OPCVM davantage de produits risqués ou non traditionnels auprès du grand public ?
Il appartiendra ainsi aux acteurs de la finance de surveiller l’orientation souhaitée par l’ESMA auprès de la Commission européenne dans son objectif d’unir le marché des capitaux. L’ESMA doit produire un avis technique courant 2025 pour donner suite aux réponses à sa consultation. A suivre donc !
1. OPC evergreen : OPC de private market sans durée de vie et offrant une ouverture constante aux souscriptions/rachats.