Au cours de leur parcours professionnel, certains directeurs financiers peuvent évoluer d’un secteur à un autre. Si quelques employeurs restent frileux face à ces changements, d’autres se montrent désireux d’enrichir leurs équipes avec des profils différents.
Fonction transverse, la finance semble se prêter aisément aux changements de secteurs. Toutefois, les frontières sont plus ou moins perméables selon les activités. «Il est plus rare pour les directeurs financiers de passer du secteur financier (banque, assurance) à d’autres secteurs des services ou de l’industrie par exemple», observe Bruno Fadda, directeur associé chez Robert International France. Ce constat s’explique par les fondements mêmes de leur métier.«Lorsque les aspects techniques de comptabilité et de contrôle de gestion diffèrent trop, comme c’est le cas par exemple entre la banque et les services ou bien l’industrie, les passerelles restent très limitées», relève Olivier Brzakowski, associé chez Michael Page.
Une forte demande sectorielle
La frontière est d’autant plus étanche que les entreprises elles-mêmes plébiscitent souvent des compétences sectorielles. «La demande des employeurs est de plus en plus ciblée, estime Bruno Fadda. Deux tiers des entreprises qui nous consultent pour un poste de directeur financier recherchent ainsi un professionnel disposant d’une compétence dans leur secteur. Ces dernières estiment que le directeur financier, dont le rôle auprès de la direction générale tend à croître, apportera ainsi rapidement une vraie valeur ajoutée au pilotage de la performance.» Une longue expérience au sein d’un même secteur leur apparaît ainsi comme la garantie d’une bonne compréhension de tous les tenants et aboutissants propres au domaine d’activité, notamment en termes de risques à identifier et d’indicateurs à piloter. «Lorsque je suis contacté par des chasseurs de têtes, c’est le plus souvent pour des postes dans un des secteurs d’activité dans lesquels j’ai toujours exercé», confirme Benoît Jeannot, directeur financier de Mercer France.
Pourtant, certains professionnels se révèlent désireux d’en changer. «J’ai récemment rencontré un directeur financier du secteur des transports et de la logistique qui souhaitait intégrer une société industrielle produisant des biens tangibles», raconte Bruno Fadda. Pour ces profils, des passerelles sont possibles, mais elles sont plus nombreuses quand il s’agit de changer de secteur d’activité dans les services ou dans l’industrie.
Une perméabilité au sein d’une même activité
En effet, quel que soit le bien produit ou le service délivré, les méthodes de travail restent similaires.
«D’expérience, j’observe qu’il est facile d’évoluer d’une industrie à une autre, car le rôle de directeur financier reste le même, avec des méthodes de travail étroitement en lien avec la production (voir encadré)», constate François de Gantès, directeur financier de Naturex, qui est passé de l’industrie lourde au luxe, à la mécanique de précision, au packaging et enfin à l’agroalimentaire.
Un constat partagé par d’autres professionnels. «Certaines de mes fonctions différaient plus au sein même de Microsoft, où j’exerçais auparavant, qu’entre Microsoft et Mercer, explique Benoît Jeannot. En tant que directeur financier chez Mercer France, je retrouve une activité basée sur le conseil, comme lorsque j’étais contrôleur financier de l’activité service chez Microsoft pour la région Asie. Même si la prestation est différente, cette activité repose sur le temps de travail des consultants.»
Un temps d’adaptation
La présence de ces points de repère n’évite toutefois pas le besoin d’un temps d’adaptation. «La première année chez Mercer, j’étais immédiatement opérationnel pour boucler le budget car j’avais déjà supervisé ce type d’exercice une dizaine de fois, souligne Benoît Jeannot. Néanmoins, je ne disposais pas toujours du recul suffisant sur cette nouvelle activité pour accompagner les entités opérationnelles dans la prise de décisions budgétaires.» Plusieurs mois sont généralement nécessaires avant de gagner en autonomie.«En moyenne, trois mois permettent d’acquérir les principaux réflexes, et c’est seulement au bout d’une année qu’il est possible de bénéficier d’une bonne connaissance d’une nouvelle activité, estime François de Gantès. J’ai ainsi eu besoin d’un certain temps d’adaptation en arrivant chez Naturex, mais grâce à ma connaissance des contraintes de production, j’ai pu directement poser des questions pertinentes.» Un réflexe plus difficile à avoir pour les professionnels issus d’une activité radicalement différente. «Lorsque j’organisais des entretiens d’embauche en tant que directeur financier d’Alcoa puis de Tetra Pak, je n’étais pas réticent à recevoir des candidats issus du secteur des services, mais je constatais souvent qu’ils avaient une perception limitée du métier. Ces derniers n’étaient par exemple pas conscients que, dans le cadre d’une activité industrielle, les financiers sont amenés à se rendre régulièrement dans les usines», poursuit François de Gantès.
Un regard neuf
Ce décalage n’est pas systématiquement négatif pour l’entreprise, car il peut parfois être synonyme de regard neuf. «Fort de mon expérience chez Microsoft, j’ai contribué à accélérer le processus de digitalisation chez Mercer, notamment au travers de la dématérialisation des fiches récapitulatives envoyées chaque mois à nos clients, constitutives d’une importante source de coûts», indique Benoît Jeannot. Un exemple qui explique que les entreprises soient pour certaines prêtes à ouvrir leurs recrutements en dehors de leur secteur.«Dans un tiers des cas, les employeurs recherchent des candidats issus d’un secteur différent, observe Bruno Fadda. Par exemple, dans les services, ils peuvent apprécier les directeurs financiers issus de l’industrie pour leur logique d’analyse des coûts et des marges.» Ce genre d’avantage se retrouve même lorsque les activités sont radicalement différentes. «Des sociétés de services en ingénierie informatique recherchent régulièrement des professionnels de l’industrie lourde lorsqu’elles entreprennent des projets de long terme, car ces derniers sont habitués à mesurer la rentabilité sur longue période», note Olivier Brzakowski. D’autre part, certaines entreprises sont amenées à rechercher des professionnels ayant expérimenté une situation similaire à la leur, tel un plan de redressement ou d’accompagnement de la croissance. «Lorsque j’ai postulé pour rejoindre Mercer qui connaissait une importante phase de croissance, j’ai pu mettre à profit mon expérience acquise dans la structuration du développement de Microsoft, notamment en Chine», explique Benoît Jeannot. Au-delà de la connaissance d’un secteur, l’expérience constitue ainsi le principal atout d’un directeur financier.
Des missions différentes entre l’industrie et les services
• Les missions d’un directeur financier dans l’industrie sont souvent éloignées de celles d’un directeur financier dans les services. «Le rôle de la direction financière est notamment d’analyser les coûts de production d’un bien tangible dans l’industrie, ce qui nécessite une bonne compréhension de la chaîne de production, tandis que dans les services, sa mission consiste davantage à affecter les ressources par projet», estime Bruno Fadda, directeur associé chez Robert Half International France.
• Des différences qui expliquent que certains professionnels préfèrent évoluer au sein d’entreprises différentes mais dans un même domaine, caractérisé par une organisation similaire. «D’une industrie à une autre, je retrouve mes repères en termes de mesure du coût standard et du coût réel de production selon les heures machines, le coût de la main-d’œuvre et les prix des matières premières, ou encore de suivi des indicateurs tels que le taux d’utilisation des usines ou le taux de rebuts, détaille François de Gantès, directeur financier de Naturex. Des repères que je risquerais de ne pas retrouver dans les services.»