Finance

Comment le confinement a bouleversé les processus de recrutement

Publié le 5 juin 2020 à 15h07    Mis à jour le 8 juin 2020 à 11h14

Alexandra Milleret

Malgré le confinement, certaines entreprises ont décidé de poursuivre leur processus de recrutement. Si elles ont privilégié les profils financiers, elles ont toutefois dû revoir leurs procédures habituelles d’embauche, notamment lors de la sélection des candidats.

Durant le confinement, plus de 12 millions de salariés se sont retrouvés placés en chômage partiel. Du jamais vu ! Alors même que de nombreuses entreprises se voyaient ainsi contraintes d’alléger temporairement leur masse salariale face à l’arrêt total ou partiel de leur activité, d’autres, à l’inverse, cherchaient… à recruter. C’est le cas, tout particulièrement, dans les métiers de la finance. «Nous avions prévu, dès le mois de janvier, un planning annuel de recrutement d’une vingtaine de personnes, témoigne Karl Toussaint du Wast, cofondateur de Netinvestissement, société de conseil en gestion du patrimoine. Nous connaissons une forte croissance et nous avons donc besoin d’embaucher pour gérer le flux du business entrant. C’est pourquoi malgré le confinement, nous avons décidé de maintenir nos recherches de recrutement.»

Des profils financiers

Si les quinze premiers jours de confinement ont obligé les entreprises à s’organiser en mettant en place le télétravail, certaines d’entre elles ont rapidement envisagé de poursuivre leur processus d’embauche décidé avant la crise. «Après un coup de frein fin mars, nous avons constaté un mouvement assez régulier des grosses structures dans la banque et l’assurance qui se sont remises en position de continuer à recruter, observe Yann Pelvet, directeur général du cabinet de recrutement Fab Group. Certaines entreprises ayant déjà connu de fortes crises de par leur activité, comme celles intervenant sur les activités de marché et la gestion d’actifs, ont même lancé de nouveaux mandats pendant cette période particulière. Les banques 100 % digitales ont également connu une hausse de leurs activités commerciales, qui se traduit a minima par une poursuite de leurs plans de recrutements déjà ambitieux.» Pour ces sociétés, ce sont surtout des profils informatiques, des chargés d’affaires, ou des spécialistes des questions de réglementation et de conformité qui étaient recherchés.

Mais les institutions financières ne sont pas les seules à avoir engagé de telles démarches. Ainsi, plusieurs «corporates» soucieux de passer le cap de la crise se sont mis en quête d’un directeur financier. «L’histoire des crises a montré que certains directeurs administratifs et financiers ont largement contribué à la sauvegarde de leur entreprise, notamment grâce à leurs capacités à gérer des opérations complexes de refinancement, souligne Julien Badiola, senior client partner chez Korn Ferry. Dans celle que nous traversons, beaucoup n’ont donc pas attendu le déconfinement pour lancer les grandes manœuvres afin d’assurer la bonne continuité de l’activité et la pérennité de leur entreprise.»

Des entretiens en visioconférence

Mais confinement oblige, les entreprises ont dû revoir leurs procédures de recrutement habituelles, notamment lors de l’étape de sélection des candidats. «L’entretien physique est toujours important car il crée du lien, rappelle Yann Pelvet. Mais ce n’était déjà plus pour nous, depuis un moment, le facteur unique d’évaluation. Nous sommes très attachés, lors de notre sélection, à porter une attention toute particulière à des éléments très factuels sur le parcours professionnel des candidats. C’est pourquoi nous leur demandons toujours d’étayer l’entretien avec des documents qui peuvent mettre en avant leur réussite tels que des comptes rendus d’entretiens annuels, des notations, des recommandations…»

Ensuite, afin de présenter à leurs clients des profils aussi fiables que possible, les cabinets de recrutement n’ont pas hésité à faire appel à de nouveaux outils numériques proposant l’évaluation des compétences, tels que des questionnaires de personnalité... Comme il n’a plus été question de rencontrer physiquement les candidats, les entreprises ont procédé, une fois la présélection effectuée, à des entretiens via visioconférence. «Beaucoup de chefs d’entreprise restent attachés au lien émotionnel d’une rencontre physique, explique Julien Badiola. Mais le confinement rompt aussi le côté formel de l’entretien professionnel, et le contexte de crise sanitaire oblige chaque interlocuteur à plus d’humanité dans ses échanges. La visioconférence permet finalement de découvrir l’univers personnel des candidats, en apercevant parfois un peu de leur environnement, ce qui peut dans une certaine mesure compenser la barrière de l’écran.» Un mode opératoire qui peut toutefois être perturbant pour certains recruteurs. «Un conseiller en gestion de patrimoine fera son arrivée dans l’entreprise le 4 septembre prochain, indique Karl Toussaint du Wast. Mais je ne l’ai jamais rencontré physiquement. Après une première prise de contact, nous avions fixé une date d’entretien sans savoir que le confinement allait nous empêcher de nous rencontrer. Nous avons donc échangé via visioconférence au mois d’avril. C’est la première fois que je recrute une personne à distance.» D’autres ont opté pour un stratagème particulier malgré le confinement. «Nous avons réussi à organiser quelques rencontres physiques, en particulier pour des candidats finalistes, dans le respect des attestations de déplacement en vigueur», s’amuse Julien Badiola.

Une intégration à distance

Par ailleurs, si certains recrutements ont été effectués pendant le confinement, les nouvelles recrues ont aussi parfois connu leur premier jour de travail loin de leur entreprise. «Une nouvelle collaboratrice sur les fonctions réglementaires et conformité a intégré nos effectifs le 14 avril dernier, relate Karl Toussaint du Wast. Elle a fait ses premiers pas à distance, via l’application Zoom. Nous lui avons donné un accès à notre serveur sécurisé et elle a suivi sa formation à distance avec sa responsable.» Si la prise de fonction s’est bien déroulée dans ce cas précis, elle peut toutefois se révéler délicate, notamment lorsque le collaborateur recruté est un manager. «En temps de crise, prendre des fonctions de directeur administratif et financier à distance n’est pas une chose aisée, confirme Julien Badiola. Le nouveau DAF se voit confier une équipe qui ne le connaît pas, dont une partie des effectifs peut être en chômage partiel. Il doit s’approprier les dossiers, comprendre la situation financière de l’entreprise et l’impact de la crise. Il rentre “dans le dur” immédiatement.» 

Dans ce contexte, pour mettre à l’aise leur nouveau salarié, certaines entreprises ont eu l’idée de tourner, par exemple, des vidéos des bureaux afin que celui-ci puisse se projeter dans son futur environnement de travail. D’autres recrues ont pu bénéficier d’une formation d’une semaine dans les locaux de l’entreprise avant de repartir en télétravail. «C’est une pratique dans la banque d’investissement, par exemple, pour se familiariser avec les dossiers à traiter», explique Yann Pelvet.

Enfin, si dans la plupart des entreprises l’intégration a été reportée au mois de juin, certaines n’ont pas hésité à organiser des moments de convivialité malgré la distance afin d’accueillir les nouveaux arrivants. «L’intégration d’un collaborateur est essentielle pour créer un lien de confiance, explique Karl Toussaint du Wast. Pour maintenir la motivation de nos équipes, nous avons créé un groupe whatsapp avec nos équipes et organisé une réunion hebdomadaire avec l’ensemble des équipes ainsi que deux apéritifs via webcam auxquels étaient notamment conviés les nouveaux collaborateurs pour faciliter leur intégration.» Alors que le déconfinement est enclenché, la pandémie du Covid-19 pourrait bien, de l’aveu de certains experts, avoir cassé les codes du recrutement. 

Les profils expérimentés plébiscités

Alors que beaucoup d’entreprises vont devoir se pencher, ces prochaines semaines, sur des problématiques de refinancement et de restructuration à cause de la crise économique provoquée par la pandémie du Covid-19, certaines d’entre elles vont chercher à recruter des directeurs financiers expérimentés, informe les chasseurs de têtes. «Avant la crise, compte tenu du contexte de croissance, nos clients se permettaient plus de risques dans leurs recrutements, en ayant notamment une attention toute particulière au potentiel et à la diversité des profils, observe Julien Badiola, senior client partner chez Korn Ferry. En raison de la contraction de l’économie, nous allons certainement revenir à des usages de recrutement plus conventionnels et pragmatiques, centrés sur l’expérience des candidats. S’agissant en particulier des directeurs administratifs et financiers, les entreprises rechercheront en priorité des dirigeants qui ont déjà traversé des crises brutales et piloté des projets de transformation et des opérations de refinancement complexes.»

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