Sous l’effet notamment de la conjoncture dégradée, les directeurs financiers spécialisés dans des situations de retournement sont actuellement très sollicités par les fonds d’investissement. De quoi susciter des vocations, d’autant que la demande excède souvent l’offre sur ce segment de marché.
La conjoncture reste porteuse pour les spécialistes du retournement. Certes, sur le plan macroéconomique, l’horizon commence à s’éclaircir pour les entreprises françaises. Après «trois années très ternes» en termes de croissance (+ 0,4 % par an en moyenne), l’Insee vient d’indiquer anticiper une «nette accélération du PIB» en 2015 (+ 1,2 %), puis en 2016 (+ 1,6 %). Pour autant, la situation demeure très dégradée sur le plan microéconomique. Ainsi, au premier trimestre 2015, plus de 18 000 jugements d’ouverture de procédures de sauvegarde, de redressements judiciaires ou de liquidations judiciaires directes ont été prononcés, d’après Altares. Ce chiffre, en hausse de 7,6 % par rapport à la même période de 2014, constitue même un record depuis le début de la crise – 16 861 jugements au premier trimestre 2009.
Cet environnement profite pleinement aux directeurs financiers aguerris à ce type de situations. En effet, ceux-ci sont actuellement très sollicités par les fonds d’investissement, actionnaires traditionnels de ce type d’entreprises. «Nous sommes fréquemment consultés pour de telles requêtes, informe Olivier Brzakowski, associé chez Michael Page. En ce moment, nous avons par exemple un mandat pour un poste à pourvoir en province.» Une tendance confirmée sur le terrain. «Alors que je n’ai entamé aucune démarche pour changer d’entreprise, j’ai été contacté trois fois en deux mois par deux cabinets de recrutement et par un fonds, explique un directeur financier en poste dans une société en retournement. Bien qu’assez régulières, ces approches ont tendance à se multiplier depuis près d’un an.»
Un poste aussi opérationnel que financier
Au-delà de la conjoncture et du regain d’appétit des fonds pour prendre des participations dans des sociétés en difficulté, cette situation s’explique avant tout par le nombre restreint de candidats… jugés suffisamment compétents pour occuper cette fonction. «Il est extrêmement compliqué de dénicher un directeur financier capable de s’adapter à un contexte de crise, confie Jean-Louis Grevet, président-fondateur de la société de capital investissement Perceva. Compte tenu du caractère très exigeant du poste, cette démarche revient en quelque sorte à rechercher le “mouton à cinq pattes”.»
Logiquement, le collaborateur doit d’abord disposer de solides compétences financières, notamment en matière de gestion de trésorerie. «En raison des problèmes de cash de l’entreprise, il est impératif qu’il mette en place sans délai un système de prévisions de trésorerie permettant d’avoir une projection sur un et deux mois, poursuit Jean-Louis Grevet. En cas de décalage par rapport aux anticipations, lié par exemple à un retard de paiement d’un client, il doit savoir en identifier la cause afin de corriger rapidement la situation.» Une qualité qui amène de nombreux fonds à s’intéresser à des cadres issus de groupes sous LBO. «Cette catégorie de collaborateurs est très sensibilisée à la problématique de maîtrise du cash, signale Olivier Brzakowski. De ce fait, l’univers du LBO constitue un important vivier de recrutement.»
Pour autant, le périmètre de sélection ne se limite pas à ce secteur, car la tâche du directeur financier de retournement implique d’autres qualités que celles relevant de la technique financière pure. Celle-ci nécessite notamment une grande réactivité. «Il est primordial, dans un cas de retournement, de s’intégrer rapidement car il en va de la pérennité de la société, témoigne Eric Scoffier, directeur financier de transition ayant déjà exercé des missions dans des groupes en retournement. Nous ne bénéficions pas de période d’adaptation.» En outre, ce type de poste revêt une dimension opérationnelle importante, qui dépasse les prérogatives traditionnelles des directeurs financiers de nombreuses sociétés. «La réussite d’un retournement passe par un plan stratégique incluant notamment des baisses de coûts et une amélioration de la compétitivité hors coût des biens vendus, souligne Jean-Louis Grevet. Il est donc important que le directeur financier soit très impliqué dans la définition de ce plan, voire dans sa réalisation. Dans ce contexte, le directeur financier de retournement peut dans les faits quasiment avoir une casquette de directeur général.»
Un rajeunissement des profils
Un rôle central qui nécessite de savoir faire preuve de pédagogie… et d’autorité. «Retourner une entreprise implique par exemple de revoir les contrats commerciaux afin de déceler des dispositions problématiques, illustre Eric Scoffier. Or cet exercice n’est pas toujours évident à faire passer auprès des collaborateurs concernés.» Outre les salariés, le directeur financier de retournement doit aussi avoir une force de persuasion auprès des partenaires externes. «Face aux difficultés qu’a pu connaître la société, ses clients, fournisseurs, banquiers, assureurs crédit ont parfois perdu confiance», rappelle Jean-Louis Grevet. Dans ce contexte, le rôle du directeur financier consiste à leur redonner confiance. Ce paramètre est également déterminant vis-à-vis des autorités publiques, comme le fisc et l’Urssaf.
Dans la mesure où les intérêts des divers interlocuteurs sont parfois divergents, la tâche du directeur financier de retournement se révèle cependant particulièrement délicate. «Il faut trouver un équilibre entre les salariés, les clients et les actionnaires car, à défaut, le retournement échoue, résume Eric Scoffier. Pour y parvenir, il convient d’avoir les nerfs solides !» Autant de qualités recherchées qui conduisent la plupart des recruteurs à cibler en priorité des candidats disposant d’une riche expérience dans des sociétés en difficulté, marquée par le pilotage d’un, voire de plusieurs plans sociaux.
En conséquence, les directeurs financiers de retournement sont le plus souvent âgés d’au moins 45 ans. Cependant, la situation commence à évoluer. «Nous voyons en effet de plus en plus de collaborateurs de moins de 40 ans présents sur ce segment de marché», constate Olivier Brzakowski. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. «Sous l’effet de la crise, plusieurs directeurs financiers de sociétés qui n’étaient pas en retournement ont été amenés à devoir gérer des problématiques de gestion de cash afin de permettre au groupe de traverser un trou d’air, rappelle un associé d’un fonds d’investissement spécialisé. Ils ont ainsi été confrontés sur le terrain à une des facettes du métier de directeur financier de retournement, qui en a séduit certains.»
Il arrive également que la décision d’un fonds de se tourner vers un candidat plus jeune relève d’un choix «contraint». «Ce type de poste est extrêmement éprouvant en termes de volume horaire et sur le plan humain, reconnaît un autre associé de fonds de retournement. Après plusieurs années d’exercice, certains des collaborateurs avec lesquels nous avons souvent travaillé, devenus quinquagénaires, ont décidé de poursuivre leur carrière en dehors du milieu du retournement.» Des changements de trajectoire qui peuvent se traduire par un renouvellement des bases de contacts des fonds et des recruteurs, soutenant ainsi le regain de vocations.
Une rémunération incluant souvent un mécanisme d’«incentive»
Compte tenu des profils expérimentés recherchés par les fonds et de la difficulté inhérente du poste, les directeurs financiers de retournement bénéficient en règle générale d’un traitement salarial plus favorable qu’un directeur financier «classique». «En rejoignant une ETI en retournement de taille relativement équivalente à celle de mon ancien groupe, mon salaire fixe a été augmenté d’environ 10 %», témoigne l’un d’eux. Une situation qui semble courante. «Le directeur financier de retournement étant là pour redresser les performances d’une entreprise, il est logique qu’il soit mieux rémunéré, constate Olivier Brzakowski, associé chez Michael Page. S’agissant des postes pour lesquels nous sommes mandatés, le salaire annuel fixe proposé oscille globalement entre 120 000 et 180 000 euros, soit 10 à 20 % de plus qu’un directeur financier “classique”.»
En outre, un mécanisme de rémunération complémentaire est généralement inclus. «Comme dans le cadre d’un LBO classique, le directeur financier de retournement est associé au capital de la société via un plan d’octroi d’actions», précise Jean-Louis Grevet, président-fondateur de Perceva.