Quand une direction financière met en place un centre de services partagés, elle doit réfléchir dès le début à la manière dont cette structure échangera avec le siège et les contrôleurs de gestion et financiers sur le terrain. Veiller à bien communiquer est en effet la clef du maintien de la qualité de production des chiffres et d’une solide cohésion entre les équipes financières.
«Certes un centre de services partagé est difficile à mettre en place, en raison notamment des questions humaines de conduite du changement. Mais le vrai danger intervient ensuite, si l’on relâche ses efforts et si l’on cesse de communiquer efficacement.» Pour Xavier Lancksweirt, directeur du CSP monde de Solvay, ou la plupart de ses homologues, le constat est le même : un centre de services partagés (CSP) nécessite une attention de tous les instants, sous peine d’aboutir à des désagréments notables. «Il arrive que le lancement d’un CSP réussisse mais que le service se dégrade dans la foulée, explique un conseil. Dans ce scénario, le directeur de CSP, voire le directeur financier lui-même, peuvent voir leur poste remis en cause.» Ce risque est d’autant plus significatif que les grands groupes et les ETI sont de plus en plus nombreux à créer des CSP afin de permettre à la direction financière de gagner en efficacité, via le traitement de façon industrielle de flux redondants comme les factures, le paiement des fournisseurs ou encore les paies des salariés.
Compte tenu du mode de fonctionnement d’un CSP, cette tâche de suivi permanent n’est toutefois pas aisée. En effet, cette structure s’apparente à une filiale, qui répond à la direction financière, voire dans certains cas directement à la direction générale. Les financiers et les opérationnels qui ont besoin de ses services sont alors considérés comme de véritables clients internes. Dans ce contexte, la direction financière centrale doit donc s’assurer que les membres du CSP communiquent efficacement avec leurs interlocuteurs, qu’il s’agisse des financiers du siège ou des contrôleurs de gestion sur le terrain.«Une stratégie de communication, en fonction des besoins internes, est indispensable à la réussite du CSP ! insiste Xavier Lancksweirt. La nôtre s’appuie sur une organisation similaire à celle d’une banque, avec des spécialistes en front-office capables de répondre aux interrogations des financiers et des opérateurs en back-office pour traiter les flux.»
Structurer les canaux de communication entre ce fournisseur de services interne et la direction financière du siège et sur le terrain est d’autant plus essentiel que le CSP est parfois très conséquent. «Pour une société de 30 000 personnes, nous avons 2 000 salariés au sein du CSP monde», illustre Xavier Lancksweirt. Quand la structure est mondiale et regroupe différents métiers, la complexité est encore accrue. Ainsi, le CSP de Solvay s’organise en plusieurs branches, qui s’occupent de processus globaux. Par exemple, celui de «procurement-to-pay» correspond à la comptabilité fournisseur et aux achats. Celui dénommé «order-to-cash» comprend la comptabilité, mais aussi la gestion du crédit client, du recouvrement et des frais de douane. Enfin, la branche «hire-to-retire» gère l’ensemble des ressources humaines, de la paie à la gestion de la mobilité des salariés. Face à une telle structure, la difficulté pour les financiers et les opérationnels sur le terrain est alors de comprendre cette organisation à la fois lointaine et complètement nouvelle.
Partir sur de bonnes bases dès la création du CSP
Dans ce cadre, les premiers mois suivant le déploiement du CSP sont particulièrement critiques. Une situation qui s’explique notamment par la réticence que des collaborateurs peuvent manifester face à ce changement structurel. Les financiers locaux et opérationnels deviennent plus exigeants par rapport au CSP car ils perdent la main sur certaines prérogatives qui étaient les leurs.
«Il faut donc leur démontrer que la nouvelle organisation apporte une valeur ajoutée, indique Jean-Michel Demaison, associé conseil CFO services chez Deloitte. Cela passe par la mesure de l’évolution, avec des indicateurs comme le temps entre la réception, la saisie et le paiement d’une facture afin d’offrir un suivi rationnel.»
Outre ces indicateurs, la mise en place d’un comité de pilotage peut permettre d’encadrer cette transition de manière collégiale. Ce dernier est généralement composé des directeurs en charge de la comptabilité, de la consolidation, du contrôle de gestion et de la trésorerie, mais aussi des responsables du CSP et des représentants des autres directions clientes. Le plus souvent, le directeur financier groupe ou région encadre ce comité. «Cela permet de lancer un processus d’amélioration continue, en associant toutes les parties prenantes, précise Laurent Guibert, associé spécialisé CSP chez PwC. Au début, il faut un comité de pilotage toutes les semaines. Puis, le CSP gagnant en autonomie, les rendez-vous s’espacent jusqu’à atteindre un rythme semestriel.»
Veiller à ce que chacun tienne son rôle
Au-delà de ces moments cadrés d’échange, chaque partie doit avoir conscience de ses responsabilités. A ce titre, la direction financière centrale a une part à prendre dans la réussite du CSP, notamment en encourageant les contrôleurs de gestion présents dans les filiales à communiquer les prévisions budgétaires ou en formalisant correctement les remontées d’informations dans le système d’information du groupe. Pour ce faire, il convient de rédiger un contrat de services, signé par chaque collaborateur. «Lors de la rédaction du contrat de services, il faut préciser quels seront les engagements réciproques, explique Laurent Guibert. Par exemple, le CSP s’engage à traiter une facture dans des délais très courts si le bon de commande et celui de réception ont été effectués correctement.» Dans le cas contraire, le CSP peut facturer le temps de travail supplémentaire à la business unit contrevenante.
De leur côté, les membres du CSP doivent être opérationnels le plus rapidement possible afin de gagner l’adhésion des équipes financières. Une condition qui implique pour eux d’effectuer le plus souvent leurs premières semaines de travail… au sein de la direction financière groupe. Ils viennent ainsi au siège pour observer puis prendre en charge les processus qui seront ensuite regroupés dans le CSP. Le tout sous la tutelle du directeur financier groupe. «Cette pratique, dite de “workshadowing”, permet à la fois de maintenir la qualité de production des chiffres lors du lancement du CSP et de dédramatiser la situation auprès des équipes financières, qui apprennent à connaître leurs nouveaux collègues, souligne Jean-Michel Demaison. La majorité des entreprises utilisent désormais cette méthode.» Cette prise de contact permet de démontrer que ces nouveaux collaborateurs sont efficaces et d’établir un premier lien qui facilitera la communication a posteriori.
Nommer des personnes dédiées à la communication
Si ces premiers jalons permettent de partir sur de bonnes bases, l’éloignement et le temps peuvent ensuite détériorer le lien entre le CSP et la direction financière groupe. Pour éviter cela, de plus en plus de groupes nomment des personnes dédiées, ayant pour tâche de favoriser la communication au quotidien. Il s’agit souvent d’un responsable de processus au sein du CSP, souvent recruté en interne, qui est identifié comme l’interlocuteur auprès d’une ou plusieurs business units. Son rôle est de centraliser les demandes des contrôleurs de gestion et de les relayer à qui de droit au sein du CSP. «Schneider Electric souhaite améliorer la communication et la collaboration avec ses clients internes, explique Stéphane Haesaert, directeur programmes et stratégie des CSP finances de Schneider Electric, qui a cinq CSP régionaux pour les Amériques, l’Europe, l’Inde, la Chine, l’Asie du Sud-Est et l’Océanie. Après une première phase axée sur le traitement des transactions, le groupe entre dans une démarche d’amélioration du service et crée des postes permettant d’offrir un point de contact unique pour chacune des business units.» La société prévoit ainsi de recruter en interne des contrôleurs ou responsables financiers et de les former à ce nouveau rôle d’intermédiaire.
Quand le CSP est basé en France ou en Europe, l’idéal consiste à ce que les «points de contact uniques» de chaque business unit du CSP se déplacent sur le terrain au moment de la clôture. Cela permet d’éviter, surtout en période de pression, que la relation ne soit trop déshumanisée.«Avoir un contact proche permet de désamorcer rapidement les problèmes les plus simples et d’éviter de générer de la frustration grâce à cette réactivité», apprécie Stéphane Haesaert.
Enfin, certains groupes ont décidé d’implanter ces représentants du CSP directement dans les business units et dans les pays concernés. «Nous avons créé un poste de “business relationship manager” dans chacune de nos 18 business units afin de proposer un interlocuteur identifié auprès des salariés de cette entité», ajoute Xavier Lancksweirt. Ces professionnels dédiés tentent dans un premier temps de répondre à leurs questions et, si le problème perdure, centralisent et relaient leur demande auprès du CSP. Le groupe a également mis en place des postes de management intermédiaire représentant le CSP dans les pays les plus conséquents. «Par exemple, le patron de CSP au Brésil gère les interactions avec l’équipe financière du pays, précise Xavier Lancksweirt. En favorisant la communication locale, nous arrivons à régler un éventuel problème le plus rapidement possible.» Si le souci ne peut pas être résolu, il monte alors à l’échelon hiérarchique supérieur.
Une fois ces canaux officiels mis en place, il est important de maintenir un contact régulier. «Au quotidien, j’entretiens la culture du service en rappelant en permanence l’importance du contact client, témoigne Xavier Lancksweirt. Peu de nos clients internes contestent les compétences de leurs collègues en CSP, mais le point clé du succès est de demeurer accessible.»L’autre moyen de maintenir une cohésion consiste à mener des projets d’amélioration pilotés conjointement. «Le groupe met aussi en place des outils de dématérialisation de factures et de lecture automatique de document, témoigne Stéphane Haesaert. Ces projets sont menés conjointement entre les CSP et les business units, ce qui permet de maintenir motivé l’ensemble des acteurs de l’organisation autour d’objectifs communs.» Un effet vertueux qui permet au final à la fonction finance de gagner un peu plus en efficacité.
Des enquêtes de satisfaction effectuées
- Si un membre du CSP ne peut pas répondre à une question, il doit s’efforcer de trouver très rapidement le bon interlocuteur. Les collaborateurs du CSP sont évalués sur cette capacité à répondre aux besoins du client interne, avec, dans certains groupes, des enquêtes de satisfaction réalisées régulièrement, souvent à un rythme trimestriel ou semestriel.
- Les résultats de ces sondages ont un impact direct sur la rémunération des membres du CSP. En effet, ceux-ci constituent un critère permettant de calculer la rémunération variable. Cette dernière est conséquente en CSP car elle peut atteindre jusqu’à 15 % de la rémunération globale pour un comptable.
Moduler le mode de communication en fonction du besoin interne
Le centre de services partagés doit gérer plusieurs clients internes, allant des patrons d’usines aux commerciaux, en passant par les salariés, clients et fournisseurs de l’entreprise. Pour répondre aux besoins de chacun, tout en tenant ses coûts, le CSP doit moduler son niveau de communication :
- la plupart des contacts avec les opérationnels se font de façon informatique et automatisée, souvent par des extensions de l’ERP qui permettent de valider une commande. Par exemple, les achats et la validation de livraison se font le plus souvent par une plateforme intranet dédiée. Le CSP reçoit ainsi directement les informations de façon homogène et immédiate ;
- pour des problématiques concernant un nombre significatif de collaborateurs, comme le paiement des fournisseurs ou la paie des salariés, les grands groupes privilégient la création de call centers. Ces centres d’appels fonctionnent traditionnellement avec la création de tickets, créés à l’occasion d’un appel, auxquels doivent répondre les opérateurs du CSP dans un délai réduit ;
- c’est avec la direction financière centrale que le lien est le plus étroit, même quand le CSP est complètement tenu par un prestataire externe. «Nous avons externalisé notre CSP auprès d’Infosys une société indienne, explique Jean-Marc Trupiano, en charge du projet CSP chez Azko Nobel Distribution. Au sein de la direction financière, nous allons donc créer huit postes en charge principalement de gérer la comptabilité statutaire et de manager la relation avec notre prestataire pour nous assurer de garder la main sur la production comptable.»