Les directions financières dans la crise

Servair cherche à maintenir le cap

Publié le 9 octobre 2020 à 15h59

Alexandra Milleret

Géant de la restauration aérienne, le Groupe Servair traverse depuis le début de la crise économique une sérieuse zone de turbulences. Pâtissant des difficultés rencontrées par les secteurs du tourisme, des transports et de la restauration mis à l’arrêt par les mesures de confinement, le groupe s’est lancé dans un important programme de réduction de coûts, portant notamment sur une baisse drastique des frais généraux, une rénégociation des salaires et un plan de départs volontaires.

Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté votre activité ? 

Cette crise est d’une violence absolue pour notre groupe. Jamais nous n’avions vécu une situation d’une telle ampleur, pas même après la crise des subprimes de 2008, ou la crise aérienne après les attentats du 11-Septembre. Des épidémies comme celle du virus Ebola, par exemple, sont restées locales, dans des régions définies. La crise de la Covid-19 est mondiale. 

Or, en tant que prestataire de la restauration aérienne, nous sommes très dépendants du trafic aérien, et cela à plusieurs niveaux. 

D’abord, pour exercer notre activité, il faut que les avions décollent. Tous les vols ont cessé net dès le 17 mars, jour officiel du confinement. Notre activité s’est alors limitée aux seuls vols de rapatriement ou de fret d’urgence et à quelques avions sanitaires, qu’il fallait ravitailler. En conséquence, nous avons enregistré entre le mois d’avril et le mois de juin 5 % à 10 % seulement de notre activité normale. 

Mais même si les vols ont repris, encore faut-il qu’il y ait des passagers. Or ces derniers ont toujours peur de voyager. En conséquence, notre chiffre d’affaires au mois d’août n’a été que d’environ 35 % de notre activité, malgré la reprise des vols européens et domestiques. Par ailleurs, notre cœur de métier, la production de cuisine délivrée par plateaux, concerne majoritairement les vols long-courriers. Nous n’avons pas pu bénéficier non plus de ces vols, ceux-ci ayant été très peu autorisés à cause des fermetures de frontières. 

Enfin, les compagnies aériennes ayant elles aussi été très lourdement frappées par la crise, elles ont été obligées, pour sauvegarder leur trésorerie, de procéder à des ajustements et à des réductions de coûts. Elles ont donc logiquement décidé de limiter leurs demandes en prestations alimentaires. Ainsi, à la place des plateaux-repas chauds, elles ont commandé des sandwiches ou des snacks. 

Tout cela a eu des effets très néfastes sur notre chiffre d’affaires 2020, qui devrait chuter de 60 % par rapport à 2019. Au plus fort de la crise, nous perdions 91 % de notre chiffre d’affaires. Cette situation est du jamais vu pour notre groupe, et nous avons aujourd’hui peu de visibilité sur l’évolution de la situation sanitaire. 

La direction financière a-t-elle dû prendre des mesures particulières dans ce contexte exceptionnel ? 

Pour tenter de limiter cette baisse d’activité, nous avons immédiatement décidé de limiter nos coûts au maximum, d’abord en ne faisant plus appel à notre main-d’œuvre extérieure (CDD, intérimaires...). Nous n’avons conservé ouvert qu’un seul de nos sept centres de production en région parisienne (celui de Servair 1, dans l’aéroport de Roissy – Charles-de-Gaulle) tout en réduisant au strict minimum tous les frais généraux liés à ce centre. Nous sommes en discussion avec le groupe ADP, qui représente 90 % de nos baux. Dans ce cadre, nous nous sommes associés à d’autres compagnies exploitantes de la plateforme aéroportuaire pour saisir le gouvernement sur ce dossier. Un médiateur devrait prochainement être désigné par le ministère des Transports. 

Par ailleurs, nous cherchons à élargir nos financements. Pour cela, nous travaillons sur des dossiers d’affacturage pour ce qui concerne notre flotte de camions et le matériel informatique. Nous avons des actifs immobiliers qui peuvent servir de garanties dans le cadre de financements externes. 

Par chance, nous avons rencontré très peu de retards de paiement de la part de nos clients et aucune perte d’encaissement n’a été constatée. Nous avons néanmoins mis en place des réunions toutes les deux semaines avec notre directeur général et l’ensemble des services commerciaux afin de suivre au plus près notre trésorerie et d’essayer d’améliorer notre besoin en fonds de roulement (BFR) en facturant nos clients le plus rapidement possible. De la même manière, nous respectons les délais contractuels de paiement avec nos fournisseurs et renégocions avec eux pour les étendre. Nous tentons aussi de partager avec nos clients le surcoût engendré par les frais supplémentaires des mesures de sécurité (blouses, charlottes…) à mettre en place pour nos collaborateurs. 

Avez-vous eu recours à des dispositifs publics ? 

Nous avons obtenu un prêt garanti par l’Etat de 66 millions d’euros qui servira à traverser la crise et à financer notre plan de restructuration. Nous avons également fait appel au chômage partiel, dispositif dont nous allons pouvoir bénéficier en tant que secteur sinistré jusqu’à la fin de l’année. Dès le mois de mars, la totalité de notre effectif en CDI de 5 500 personnes a été placée en chômage partiel, soit à 80 %, soit à 100 %, à cause de la fermeture des centres de production. 

Par ailleurs, nous sommes en train de finaliser un dossier de demande d’exonération de charges disponibles du 1er février 2020 au 31 mai 2020 pour des entités de moins de 250 salariés. L’administration fiscale et les URSSAF nous ont d’ores et déjà accordé des reports de paiement pour nos charges sociales et fiscales.

Comment votre direction financière s’est-elle organisée ces dernières semaines et comment travaille-t-elle aujourd’hui ? 

A partir du mois d’avril, l’ensemble de la direction financière (50 personnes, dont 10 au contrôle de gestion, 3 au reporting financier et 40 à la comptabilité et à la facturation) a poursuivi ses activités grâce au télétravail, qui était recommandé jusqu’à la fin du mois de juin, ce que nous avons respecté. Aujourd’hui, notre équipe travaille en roulement, deux jours de télétravail et trois jours en présentiel. Notre groupe n’était d’ailleurs pas du tout préparé au télétravail à grande échelle. Nous avons donc dû équiper nos salariés, notamment ceux de la comptabilité, en ordinateurs portables, et scanner tous nos documents, factures, relevés bancaires, etc, afin que chacun puisse travailler depuis son domicile. 

Heureusement, nous disposions déjà d’outils numériques intégrés de gestion comptable, comme SAP, pour passer des écritures et lancer tous les règlements à distance. Concernant la facturation fournisseurs, nous sommes aujourd’hui à 70 % de taux de dématérialisation. De même, tous nos outils de reporting financier étaient déjà totalement digitalisés. 

Malgré le confinement, il était important pour nous de poursuivre le dialogue avec notre maison mère Gategroup à Zurich et nos 45 entités (18 en Afrique et 27 en France) pour leur communiquer nos chiffres et surtout les actions que nous étions en train de mettre en place pour garantir la survie de notre groupe. Pour cela, nous avons maintenu nos reportings mensuels aux dates prévues. Par ailleurs, deux conseils d’administration se sont tenus par visioconférence en mai et en juillet, le prochain étant prévu ce mois-ci (octobre). Bien sûr, avec l’évolution continuelle des programmes des compagnies, les prévisions doivent être réactualisées régulièrement, mais cette prochaine réunion sera l’occasion pour nous d’examiner les perspectives financières jusqu’à la fin de l’année. 

Des plans de soutien spécifiques aux secteurs des transports et du tourisme ont été mis en place, en juin dernier, par Bercy. Votre activité étant dépendante de ces secteurs, comment avez-vous fait valoir vos propres difficultés ? 

Nous avons effectivement eu peur d’être les grands oubliés de cette crise par les pouvoirs publics. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de créer, avec le groupe Newrest dirigé par Olivier Sadran, une association des métiers de la restauration aérienne, l’AMRAF (Alliance des métiers de la restauration aérienne et ferroviaire), qui nous permet d’être reconnus auprès du gouvernement et de participer aux discussions. L’objet de cette association est de montrer que nous sommes à la croisée de trois secteurs : la restauration, le transport et le tourisme. 

Quels chantiers comptez-vous mener dans les prochains mois ? 

Le groupe Servair ne peut malheureusement pas encore parler de relance aujourd’hui. La situation reste très incertaine. La rentrée est normalement synonyme de voyages d’affaires, ce qui est très peu le cas en ce moment. Le trafic est encore très irrégulier et les touristes étrangers ne voyagent pas. En temps normal, nous travaillons avec les compagnies aériennes grâce à un programme de vols pour la saison (deux saisons : hiver et été) avec des ajustements possibles à trois, deux, puis une semaine du vol. Ce type de contrat nous protège, car un vol annulé à la dernière minute nous permet quand même de facturer la prestation de restauration à la compagnie. Aujourd’hui, la situation est totalement différente. Nous vivons avec des modifications de planning à très courte échéance, ce qui est très perturbant. Les compagnies aériennes peuvent annuler leur vol jusqu’à J-1 à midi sans avoir à nous dédommager. 

Notre activité représente encore seulement en conséquence 30 % à 40 % de celle habituelle. Par ailleurs, seuls 25 % de notre effectif en moyenne (sur 5 500 salariés) ne sont plus en chômage partiel. Grâce à notre association, nous avons obtenu du gouvernement que notre activité puisse bénéficier jusqu’à la fin de l’année du dispositif dérogatoire de l’activité partielle. Nous étudions les mécanismes de plan d’activité partielle de longue durée (APLD), destinés à prendre le relais de la prise en charge du chômage partiel pour les entreprises enregistrant jusqu’à 40 % de réduction d’activité. 

Nous pensons d’ailleurs que cette activité réduite perdurera jusqu’au mois de mars prochain. Nous envisageons de retrouver entre 60 % et 70 % de notre activité au second semestre 2021. Dans le meilleur des cas, nous pourrions envisager de revenir à une situation normale en 2022. 

Dans ce contexte, notre objectif est d’être à l’équilibre l’année prochaine. Mais pour y parvenir, nous sommes contraints aujourd’hui de mettre en place un important plan de restructuration. En effet, trois de nos centres de production sur CDG sont placés en hibernation. Par ailleurs, notre direction des ressources humaines travaille actuellement sur la mise en œuvre d’un accord de rupture conventionnelle collective (RCC) signé en juillet dernier. Nous sommes en train de négocier le départ volontaire de 500 collaborateurs. Mais il se peut que cette décision ne soit malheureusement pas suffisante. Aussi, nous travaillons également sur un projet de renégociation collective des salaires et de mobilité interne afin que chacun fasse un effort temporaire le temps de retrouver une certaine stabilité de notre activité. 

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