Stratégie

Une direction financière à la loupe... Euronext

Publié le 13 novembre 2015 à 16h33

Arnaud Lefebvre

Sous le double effet de sa scission avec NYSE et de sa cotation, Euronext a été amené à revoir complètement l’organisation de sa direction financière, tant sur le plan géographique que fonctionnel. Toujours en cours, cette évolution s’est jusqu’à présent traduite par un changement d’outils utilisés ainsi que par une refonte des reportings.

«C’est un véritable marathon auquel mes équipes et moi-même participons depuis près de deux ans. Et la course n’est pas finie !» Nommé directeur financier d’Euronext début 2014, Amaury Dauge vit, depuis lors, une période particulièrement chargée. Lors de son rachat de NYSE Euronext bouclé fin 2013, l’opérateur boursier américain Intercontinental Exchange (ICE) avait d’emblée annoncé son intention de se séparer de l’activité européenne du groupe. «Dans ce contexte, il a donc fallu “détourer” l’entité, c’est-à-dire reconstituer un nouveau périmètre pour Euronext, explique Amaury Dauge. Une fois les contours dessinés, nous avons ensuite dû retraiter les comptes de NYSE Euronext, afin de disposer des états financiers recréés du nouvel Euronext pour les trois exercices précédents. Cette tâche a été extrêmement complexe.» Cette condition était toutefois nécessaire pour préparer… l’introduction en bourse de la société, réalisée quelques mois plus tard, en juin 2014. «Peu de groupes ont été amenés à piloter deux dossiers de cette envergure de front, sur une période aussi courte», insiste Amaury Dauge.

Des départements financiers basés aux Etats-Unis

Après ce sprint, qui a mobilisé pleinement les équipes financières durant huit mois, ces dernières n’ont pas eu l’occasion de souffler. Il faut dire que la séparation des deux opérateurs boursiers impliquait de repenser en grande partie le fonctionnement de la fonction finance. D’abord, Euronext et NYSE partageaient notamment des solutions informatiques communes, à l’instar du système d’information. En conséquence, le déploiement de nouveaux outils s’imposait comme une priorité. Ensuite, en raison du changement de taille du groupe, certains dispositifs utilisés jusqu’alors étaient devenus peu adaptés. «Par exemple, NYSE Euronext s’appuyait sur un centre de services partagés (CSP) à Amsterdam, qui s’occupait de la facturation, rappelle Amaury Dauge. Or depuis son indépendance, Euronext affiche un chiffre d’affaires annuel avoisinant 500 millions d’euros – contre près de 3 milliards d’euros pour NYSE Euronext. Pour une société de cette dimension, le recours à un CSP n’est pas optimal d’un point de vue tant organisationnel que financier. Aussi avons-nous fait le choix de réaffecter les équipes localement.»

De plus, le «carve-out» affectait la répartition des départements financiers. Auparavant, une partie d’entre eux était en effet basée aux Etats-Unis, comme le contrôle de gestion et les relations investisseurs. Contraint de repenser l’organisation, Amaury Dauge en a ainsi profité pour opérer en parallèle une revue approfondie de l’ensemble des processus. «En devenant plus petits, nous devions rassurer les investisseurs en leur prouvant que nous pouvions gagner en réactivité ainsi qu’en transparence. Pour y parvenir, une optimisation de nos pratiques était nécessaire, ce qui impliquait au préalable un examen complet de la direction financière.»

Celle-ci a été repensée autour de cinq départements. S’imposant comme le plus important en termes d’effectifs, avec près de la moitié des collaborateurs financiers d’Euronext, la direction comptable fait presque figure d’exception, tant elle n’a connu qu’un nombre limité de changements. Certes, elle a été directement affectée par la disparition du CSP dédié aux facturations. «En dehors de cette évolution, ses attributions sont restées les mêmes, signale Amaury Dauge. Logiquement, elle est en charge d’établir la comptabilité statutaire de nos vingt entités, de consolider les données et de piloter le processus budgétaire.» Sur ce dernier aspect, des modifications pourraient toutefois intervenir prochainement. Alors que les prévisions budgétaires du groupe sont actualisées chaque trimestre, Euronext envisage d’accélérer ce rythme. «Dans un souci d’amélioration du pilotage financier, nous souhaitons à terme opter pour un système de prévisions glissantes, dit «rolling forecasts», qui nous permettra de mettre à jour nos prévisions budgétaires tous les mois, prévient Amaury Dauge. En raison des chantiers que nous avons dû conduire en priorité au cours des deux dernières années, ce projet a jusqu’à présent été différé. Mais nous espérons le mettre en œuvre rapidement.»

Des reportings simplifiés

De son côté, la direction consacrée au contrôle de gestion a enregistré plusieurs transformations. Celles-ci ont d’abord concerné son organisation. «Auparavant, chaque segment d’activité, voire sous-segment d’activité, était doté d’une équipe financière, précise Amaury Dauge. Or avec un tel mode de fonctionnement, le temps consacré aux interactions entre les différents managers était trop conséquent. Nous avons donc simplifié l’organisation, en rassemblant les responsables financiers par activité en une seule équipe.» En parallèle, une équipe de contrôleurs de gestion dédiée à l’informatique a été maintenue. «Ce domaine constitue un centre de coûts important car il représente près d’un tiers de nos dépenses, poursuit Amaury Dauge. Il est donc primordial d’assurer un suivi extrêmement fin dans le but notamment d’identifier toutes les synergies possibles.» L’ensemble de ces collaborateurs est désormais basé à Paris, Amsterdam et Belfast.

Des évolutions ont également concerné les reportings. Auparavant, ces derniers étaient très détaillés… ce qui nuisait finalement à leur lisibilité et limitait le cas échéant la capacité à prendre des mesures correctives rapidement. Par exemple, environ 350 centres de coût étaient suivis. «Une ventilation aussi poussée était manifestement disproportionnée, reconnaît Amaury Dauge. Alors que notre ancien actionnaire, ICE, affiche un niveau de revenus près de six fois plus élevés, il ne recensait qu’une trentaine de cost centers !» Euronext a ainsi décidé de limiter ces postes à 32. Outre les coûts, d’autres contenus des reportings ont été aménagés. «La fonction finance est là pour favoriser les orientations et les prises de décision, insiste Amaury Dauge. Dans ce contexte, il convient donc que les outils permettent facilement de comprendre l’évolution des performances. C’est pour cette raison que nous avons également réadapté les tableaux de bord et les outils, en nous focalisant sur les principaux indicateurs : volumes de transaction, commissions perçues, part de marché d’Euronext… En outre, le reporting a été simplifié et les coûts du groupe ne sont désormais plus ventilés par activité.» Un travail de synthèse qui a notamment permis de réduire le reporting présenté au conseil d’administration à une vingtaine de pages, contre près d’une cinquantaine auparavant.

D’importants efforts concentrés sur la communication financière

Dans sa démarche d’optimisation, la direction financière d’Euronext a également repensé la place de la trésorerie et de la fiscalité. Ces départements, qui étaient auparavant indépendants, ont ainsi été réunis. «En réfléchissant à l’organisation du groupe, notre objectif était de procéder à des consolidations de départements lorsque cela était possible et pertinent, indique Amaury Dauge. Ainsi, au sein de la fonction finance, j’ai fait par exemple le choix de rassembler la trésorerie et la fiscalité au sein d’une direction unique.» La tête de ce département a ainsi été confiée à l’ancien responsable de la fiscalité.

Ensuite, Euronext étant une société cotée, sa direction financière inclut également dans son périmètre un département dédié aux relations avec les investisseurs. Si une personne seulement est affectée à cette mission, Amaury Dauge y consacre une partie substantielle de son temps. «Il ne faut surtout pas être économe en la matière, surtout lorsqu’on vient de se coter. Pour cette première année de présence en bourse, j’ai clairement placé les relations investisseurs au cœur de mes priorités.» Un choix qui s’est traduit par la participation à de nombreuses réunions, visant notamment à rappeler l’histoire du groupe ainsi qu’à décrire précisément ses activités et la manière dont sont générés ses revenus. «Il faut sans cesse convaincre et s’assurer que le marché vous comprend, témoigne Amaury Dauge. Il convient au final d’instaurer une routine entre les investisseurs et la société.» Comptant des actionnaires de référence qui se partagent près d’un tiers de son capital – il s’agit principalement de banques, parmi lesquelles BNP Paribas, Société Générale et Bpifrance –, Euronext organise notamment pour ces derniers des réunions spécifiques afin de leur présenter ses résultats.

Une logique de management différente

Enfin, une «équipe projets» complète la fonction finance. Cette structure est récemment intervenue sur des thématiques stratégiques, comme par exemple le déploiement du nouvel ERP. «Depuis notre indépendance, nous continuions d’utiliser la même plateforme, le temps de sélectionner et de déployer un outil adapté à notre taille, précise Amaury Dauge. Ce chantier a été confié à l’équipe projets, qui a déployé le nouvel outil en moins de huit mois.» Les problématiques relatives au contrôle interne ont aussi mobilisé ce département. Une situation liée à la modification de périmètre du groupe, mais aussi à son changement de nationalité. «En tant que société américaine, nous étions soumis au respect de la loi Sarbanes-Oxley, qui impose des règles strictes en termes de contrôle interne, rappelle Amaury Dauge. En devenant un groupe néerlandais, nous abandonnions de facto ce cadre législatif. Toutefois, en tant que bourse européenne de référence, nous avons souhaité nous doter d’un corpus de règles rigoureux. A cette fin, les premières tâches de l’équipe contrôle interne ont été de déterminer les processus de contrôle à établir et de les déployer.»

Si la direction financière d’Euronext souhaite conserver en la matière une certaine inspiration anglo-saxonne, elle entend en revanche s’inscrire en rupture de cette dernière en termes de management. «Contrairement à ce que j’avais pu observer quand nous faisions partie d’un grand groupe américain, où l’organisation fonctionnait de façon cloisonnée, je tiens à ce que l’équipe finance au sein d’Euronext soit beaucoup plus unie, décloisonnée et force de proposition», explique Amaury Dauge. Une volonté qui le conduit à déléguer ainsi qu’à instaurer un dialogue régulier avec l’ensemble des collaborateurs financiers. En ce qui concerne les responsables de départements, des échanges téléphoniques ont lieu en moyenne tous les deux jours, tandis que des réunions sont organisées sur une base hebdomadaire. Quant au reste de l’effectif, il est notamment convié à une séance de présentation des résultats de la société à chaque trimestre. «Cette volonté d’impliquer l’ensemble des collaborateurs dans la vie de l’entreprise, en fluidifiant le partage d’information et la prise de décision, constitue à mes yeux la meilleure façon de motiver une équipe et de lui permettre d’avancer.» Un atout indispensable lorsqu’il s’agit de boucler un marathon avec succès…

La finance très impliquée dans le programme de réduction de coûts

  • Lors de sa prise d’indépendance, Euronext avait annoncé un vaste plan d’optimisation de ses coûts. Après avoir fixé un objectif de 60 millions d’euros nets d’économies sur trois ans en base annualisée, l’opérateur a relevé ce seuil à 80 millions d’euros – soit 25 % de la base des coûts globaux – tout en atteignant cet objectif avec un an d’avance. Un effort auquel participe pleinement la direction financière.
  • Parmi les postes d’économies ciblés (immobilier, informatique, etc.), certains ont concerné la fonction finance. «Tous les leviers ont été utilisés, explique Amaury Dauge. Par exemple, les contrats ont été renégociés, tels les baux commerciaux, les contrats de prestations informatiques ou encore les assurances.»
  • En outre, l’évolution du programme d’optimisation des dépenses est suivie de près par cette direction. «Pour quantifier la bonne exécution de notre plan de réduction de coûts, nous avons mis en place des indicateurs spécifiques au sein de nos reportings, indique Amaury Dauge. Toute divergence par rapport à notre plan de marche peut ainsi être identifiée rapidement et les mesures correctives mises en place.»

Le parcours d’Amaury Dauge

Titulaire d’un bachelor of business administration de l’Inseec et d’un MBA de l’Insead, Amaury Dauge débute son parcours en 1997 en tant qu’analyste crédit dans le groupe BNP Paribas, au sein de Bank of Sharjah (Dubai). Deux ans plus tard, il est nommé auditeur chez PricewaterhouseCoopers au Luxembourg, avant de rejoindre l’année suivante la division marchés bancaires et financiers d’Atos Consulting, où il occupe la fonction de consultant. Il intègre Euronext en 2001. Recruté au poste de senior analyst, il est promu trois ans plus tard director au sein du département corporate finance. En 2008, il devient chief operating officer, en charge des marchés des actions européennes de NYSE Euronext puis, en 2009, responsable planification et analyse de l’opérateur. Après le rachat de NYSE Euronext par l’opérateur boursier américain Intercontinental Exchange (ICE) fin 2013, il a pris la tête de la direction financière d’Euronext en janvier 2014.

Un rôle actif aux côtés des opérationnels

  • Au-delà de ses attributions classiques, la fonction finance d’Euronext intervient aux côtés des opérationnels en amont du lancement de produits. Un rôle de «business partner» destiné à optimiser la rentabilité de ces derniers. «La mission première de la finance est d’accompagner le développement de la société et non de se limiter à la production d’informations financières, insiste Amaury Dauge. C’est pourquoi les équipes finance s’impliquent activement dès l’initiation des projets pour en estimer l’intérêt stratégique et, bien entendu, construire le plan financier prévisionnel associé.»
  • Une fois le produit commercialisé, les équipes financières opèrent ensuite un suivi régulier. «Tous les mois, nous effectuons un reporting visant à s’assurer que les hypothèses définies préalablement sont tenues, poursuit Amaury Dauge. Si ce n’est pas le cas, ce travail permet de mettre en œuvre rapidement un plan d’actions visant à corriger le tir.»

Les partenaires de la direction financière

Banques

Euronext a maintenu des relations avec les établissements qui l’ont accompagné lors de son introduction en bourse, réalisée en juin 2014. L’opérateur de marché dispose ainsi d’une ligne de crédit de 500 millions d’euros auprès d’un syndicat de 12 contreparties. Mise en place après la cotation du groupe, elle a été renégociée en mars dernier. «Compte tenu de performances supérieures aux attentes, nous avons remboursé 140 millions d’euros sur les 250 millions empruntés et avons augmenté notre ligne de crédit non tiré du même montant, explique Amaury Dauge. Si le montant global de notre dette reste inchangé, à 500 millions d’euros, nous avons gagné en flexibilité. En contrepartie, nous avons obtenu une diminution des marges, qui se traduira par des économies d’environ 1 million d’euros par an dès 2016.»

Auditeur

Les comptes d’Euronext sont audités depuis de nombreuses années par le cabinet PricewaterhouseCoopers. «Il s’agit de notre partenaire historique, précise Amaury Dauge. Le fait de pouvoir s’appuyer sur un partenaire qui connaît parfaitement la société, surtout après les évolutions qu’elle a connues depuis 2013, constitue une forte valeur ajoutée.»

Conseils

De droit néerlandais, la société est en relation avec plusieurs cabinets d’avocats basés aux Pays-Bas. Pour des problématiques domestiques, comme la fiscalité ou le droit du travail, elle s’entoure également de cabinets français, notamment.

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