Alors que le mouvement de fond affectant la fonction finance tend vers une centralisation croissante des tâches, l’entreprise de services du numérique Neurones a préféré confier à ses équipes financières locales un maximum de prérogatives. Un choix qui lui donne raison au regard des performances de la société, en progression constante. Éléments essentiels à la solidité financière du groupe, le recouvrement des créances et le pilotage de la trésorerie restent toutefois la propriété de la direction financière groupe.
Moins connue que Capgemini, Atos et sa filiale Bull, ou encore Sopra Steria, l’entreprise de services du numérique (ESN, ex-SSII) Neurones (355,2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014) ne manque pas d’ambitions. Après avoir remporté en fin d’année dernière un contrat significatif auprès de la filiale d’EDF RTE, elle entend en effet profiter de ce succès pour s’imposer comme une alternative de choix dans le cadre de gros appels d’offres. Pour atteindre cet objectif, elle peut s’appuyer sur une structure financière solide. Créée en 1985 et cotée sur Euronext depuis 2000, la société détenue à près de 76 % par son fondateur, ses dirigeants et ses salariés n’affiche en effet aucun endettement et dispose de près de 200 millions d’euros de capitaux propres ! Une force de frappe que son directeur administratif et financier compte bien préserver. «Même si la croissance et le renforcement continu de la rentabilité de Neurones demeurent nos priorités, nous entendons en parallèle pérenniser cette solidité financière», témoigne Paul-César Bonnel.
Pour se donner les moyens d’atteindre ses objectifs, la fonction finance a décidé de s’appuyer sur une organisation relativement originale dans l’environnement actuel. Alors que la plupart des groupes présents à l’international tendent plutôt à s’inscrire dans un mouvement de centralisation des prérogatives financières, Neurones, qui est notamment présent en Tunisie, en Roumanie et à Singapour, a en effet choisi de laisser aux équipes locales les marges de manœuvre les plus larges possible. «Nous fonctionnons selon le principe de “subsidiarité”, c’est-à-dire que nous confions les responsabilités aux personnes les plus concernées par les impacts des décisions, les plus proches du terrain, explique Paul-César Bonnel. Nous avons la conviction que les meilleures décisions sont prises en étant près des opérationnels et des clients. Cette politique a en outre comme vertu de responsabiliser les collaborateurs concernés et de les rendre plus efficaces.» Une conception qui conduit donc à faire remonter au niveau central les tâches qui ne peuvent pas être traitées localement ou qui le seraient moins bien.
Des reportings minimalistes
Localement, l’organisation de la fonction finance de Neurones est calquée sur les lignes de métiers du groupe. «Nous en comptons une dizaine, allant du développement d’applications métiers à l’infogérance, en passant par le conseil en systèmes d’information, signale Paul-César Bonnel. A la tête de chacune d’elles, un directeur financier métier, qui me reporte directement, chapeaute les contrôleurs de gestion et les comptables.» Tandis que la tâche principale de ces derniers porte sur le suivi des relations, celle des contrôleurs consiste, classiquement, à assister les opérationnels dans l’amélioration des performances. Mais à la différence de la plupart des groupes, l’activité de reporting permettant de mesurer l’évolution de ces dernières est extrêmement limitée.«Nous produisons très peu de reportings, confirme Paul-César Bonnel. Ayant la conviction que les bonnes décisions sont prises en local, nous considérons en central qu’il est inutile de réclamer une quantité d’informations. Nous préférons ainsi que les contrôleurs de gestion se consacrent à plein temps à l’accompagnement des équipes de vente. Cette stratégie porte ses fruits car le chiffre d’affaires et la rentabilité du groupe affichent, depuis sa création, des performances souvent très supérieures à son marché de référence !» De facto, les remontées d’indicateurs financiers auprès du siège, effectuées par les directeurs financiers métiers, se cantonnent aux principaux agrégats, comme le chiffre d’affaires, le résultat opérationnel et l’évolution du taux de marge.
Conséquence de cette organisation, la fonction finance centrale de Neurones s’appuie sur un nombre limité de collaborateurs : huit, en comptant un juriste ! Le département en charge de la consolidation n’est ainsi composé que d’une seule personne. «Elle s’occupe de consolider, sur une base mensuelle, les comptes d’une vingtaine d’entités», indique Paul-César Bonnel. Une tâche moins mécanique qu’elle n’y paraît car le retraitement de données remontant de certaines filiales est souvent nécessaire.«Les pratiques des équipes locales divergent en fonction des pays, poursuit Paul-César Bonnel. Même si nous cherchons à ce que les informations nous parvenant des entités soient le plus homogène possible, nous sommes conscients qu’il est compliqué de faire évoluer des habitudes bien ancrées et qu’un tel changement peut se traduire par une recrudescence d’erreurs. Nous préférons donc laisser aux collaborateurs une certaine souplesse en harmonisant les données au niveau du siège.» La maintenance du logiciel utilisé pour la comptabilité est également assurée par ce département.
Des incitations pour rendre le recouvrement efficace
Tâche importante dans un groupe employant près de 4 200 collaborateurs, la gestion des payes est elle aussi très largement opérée depuis le siège. Trois personnes sont dédiées à cette activité. «Compte tenu de la multiplicité de lois et de la complexité des règles en matière de cotisations, celle-ci est particulièrement chronophage et implique une vigilance de tous les instants, insiste Paul-César Bonnel. Il nous a donc semblé préférable de délester les équipes locales de cette mission pour leur permettre de se consacrer à des enjeux plus opérationnels.» A ce jour, près de 90 % des payes sont ainsi traitées en central, certaines filiales s’en chargeant encore en interne pour des raisons essentiellement d’intégration récente dans le périmètre du groupe. Parmi les rares chantiers d’optimisation en cours au sein de la direction financière, une réflexion est actuellement menée pour simplifier le processus relatif à la paye.«Le logiciel sur lequel nous nous appuyons manque de souplesse dans son utilisation, explique Paul-César Bonnel. Afin d’alléger les tâches de saisie, nous devrions, probablement cette année, faire évoluer cet outil.»
Dotée de deux collaborateurs, la direction en charge de l’administration des ventes occupe également un rôle déterminant. Fournissant des prestations de service, Neurones édite en effet en moyenne 600 factures par mois. Afin de parvenir à un recouvrement efficace des sommes dues, plusieurs dispositifs ont été mis en place. «Grâce à notre outil informatique, nous pouvons suivre en temps réel les encaissements arrivant sur l’ensemble de nos comptes bancaires», explique Paul-César Bonnel. Cette solution présente un double avantage pour la société. «D’une part, nous identifions rapidement les retards de paiement, apprécie Paul-César Bonnel. D’autre part, cela évite de relancer par erreur un client qui viendrait juste de nous régler, ce qui est précieux pour maintenir une bonne relation commerciale.» En parallèle, une politique incitative a été instaurée pour améliorer le délai de paiement moyen (DSO) du groupe. «Dans la mesure où cet indicateur est facilement mesurable, nous fixons aux deux assistantes de ce département des objectifs en termes de DSO, signale Paul-César Bonnel. Nous faisons ensuite un bilan sur un rythme mensuel et, si ces objectifs sont atteints, elles reçoivent une prime.» Un mode de fonctionnement qui se traduit par des résultats positifs. Ainsi, en 2014, le DSO a reculé d’environ cinq jours (85).
Un cash pooling mis en place
A l’exception de la partie juridique, qui relève également du périmètre de la fonction finance – un juriste veille à la rédaction et aux dispositions des contrats conclus par les opérationnels avec les clients –, les autres prérogatives sont pilotées directement par Paul-César Bonnel. C’est notamment le cas de la trésorerie. «Avec plus de 122 millions d’euros de cash dans notre bilan à fin 2014, nous jugeons plus rassurant de gérer ces ressources directement en central», indique ce dernier. Pour ce faire, la direction financière de Neurones s’appuie sur un cash pooling opérationnel à l’échelle de l’ensemble du groupe. «A mon arrivée, nous disposions de quatre structures de ce type, gérées par quatre établissements différents, rappelle Paul-César Bonnel. Dans un souci de simplification, nous les avons rassemblées en 2011 en une seule, ce qui nous donne entière satisfaction.»
Outre le suivi du cash, la deuxième priorité liée à la trésorerie porte sur son allocation. N’affichant aucune dette, la société consacre en effet une partie de ses ressources à son développement, tandis que le solde est placé intégralement sur des comptes à terme. «Dans un contexte de taux bas, trouver de bons rendements dans le cadre de placements sécurisés nécessite un fort investissement en temps», constate Paul-César Bonnel. Un constat qui n’empêche pas Neurones de continuer à percevoir des rendements pouvant dépasser 1 % (voir encadré «Les partenaires de la direction financière»). Enfin, bien que Neurones soit présente sur des marchés situés hors de la zone euro, la fonction finance a fait le choix de ne souscrire à aucun produit de couverture contre le risque de change.«Moins de 2 % de nos revenus sont libellés en devises tunisienne et singapourienne, précise Paul-César Bonnel. Compte tenu de la faiblesse de notre exposition à ces monnaies, nous considérons qu’il serait lourd et coûteux de mettre en place des protections par rapport aux avantages que cela nous procurerait.»
Le dernier enjeu pour la fonction finance de Neurones est lié à la communication financière. La société étant cotée sur Euronext, Paul-César Bonnel assure donc, aux côtés du président-directeur général Luc de Chammard et du directeur général Bertrand Ducurtil, les relations avec les investisseurs. «Comme nous veillons constamment à maintenir une communication la plus simple possible, les questions posées par nos actionnaires sont assez limitées et portent essentiellement sur notre stratégie pour générer de la croissance et renforcer notre rentabilité», précise Paul-César Bonnel. Affichant un flottant limité (environ 24 %), l’entreprise réalise peu de roadshows. «Ce sont plutôt nos investisseurs qui nous contactent pour obtenir des renseignements», poursuit Paul-César Bonnel. Alors que la transposition de la directive européenne «transparence» a supprimé, depuis le 1er janvier 2015, l’obligation de publication des comptes trimestriels, Neurones entend maintenir son calendrier financier inchangé. «Outre une démarche de transparence, communiquer nos résultats tous les trimestres permet de rappeler fréquemment le nom de Neurones auprès de la communauté financière», indique Paul-César Bonnel.
Des opportunités croissantes de mobilité interne
Accordant une grande importance à la qualité de la communication externe, la direction financière de Neurones n’en délaisse pas pour autant la communication interne. En raison des marges de manœuvre conséquentes laissées aux équipes locales, Paul-César Bonnel reste en effet constamment en contact avec ces dernières.«Nous encourageons un échange permanent entre les membres de la fonction finance, insiste Paul-César Bonnel. Ces partages et confrontations d’idées permettent de discerner quelles sont les bonnes idées et qui seront les personnes les plus aptes à les porter.» Un rassemblement conviant les responsables financiers du groupe est également organisé chaque année, visant notamment à favoriser un partage des bonnes pratiques.
Si le recrutement et le parcours des collaborateurs financiers locaux ne sont pas pilotés directement par la fonction finance centrale, celle-ci s’assure toutefois d’offrir à l’ensemble de ses collaborateurs des opportunités au sein du groupe. Un souhait favorisé par la trajectoire de Neurones. «Sous l’effet de la croissance de notre chiffre d’affaires, nos filiales grossissent, ce qui se traduit par la création de nouveaux postes, signale Paul-César Bonnel. Par exemple, un comptable qui officiait au sein d’une de nos entités françaises dont l’activité a fortement crû vient d’être promu responsable financier de cette dernière.» Alors que Neurones affiche de grandes ambitions, notamment sur le marché français, de tels mouvements pourraient être amenés à se répéter au cours des prochains mois.
Polytechnicien et titulaire du diplôme d’études supérieures comptables et financières, Paul-César Bonnel débute sa carrière en 1998 comme managing consultant chez PricewaterhouseCoopers, à Rouen, avant d’être promu auditeur senior. En 2003, il est recruté par un de ses clients, Global Plastics, au poste de directeur financier. Quatre ans plus tard, il rejoint le spécialiste de l’agro-industrie et de l’agroalimentaire Sofiprotéol comme responsable de gestion. Il a pris la tête de la direction administrative et financière de Neurones en 2010.
Les effets vertueux du CICE
Neurones intervenant dans plusieurs métiers, qui peuvent aller de l’intégration au conseil, en passant par l’infogérance et l’assistance clients, il ne compte pas uniquement dans ses effectifs des ingénieurs. De ce fait, une partie de sa masse salariale est éligible au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). «Avec ce dispositif, nous avons pu, dans le cadre de l’exercice 2014, économiser l’équivalent d’un peu plus de 1 % de notre chiffre d’affaires», signale Paul-César Bonnel.
La mise en place du CICE a également eu des implications sur les décisions des clients de Neurones. «Dans la mesure où nous avons répercuté une partie de cette baisse du coût du travail auprès de ces derniers, nos centres de services situés en province ont gagné en compétitivité par rapport à ceux basés à l’étranger, par exemple en Tunisie et en Roumanie, poursuit Paul-César Bonnel. L’écart de prix s’étant amenuisé, nos clients sont depuis plusieurs mois plus enclins à privilégier des offres de services en France.»
Les partenaires de la direction financière
Bien que n’affichant aucun endettement, Neurones s’appuie sur un nombre significatif de partenaires bancaires. Une situation liée au niveau de trésorerie du groupe. «A fin 2014, nous disposions de plus de 120 millions d’euros de cash, rappelle Paul-César Bonnel. Notre priorité consiste à bénéficier de placements à la fois sûrs et bien rémunérés. Pour y parvenir, nous mettons constamment en concurrence 14 banques, auxquelles s’ajoutent 15 contreparties moins actives.» Disposant également d’un cash pooling, la société en a confié la gestion à BNP Paribas.
Parmi ses deux commissaires aux comptes, Neurones compte un membre des «big four» : KPMG. «D’une part, il s’agit d’un nom connu, ce qui est positif pour une société cotée, explique Paul-César Bonnel. D’autre part, nous disposons de plusieurs filiales à l’étranger. Dans ce contexte, il est pertinent de solliciter les services d’un cabinet présent à l’international.» BM&A complète le cocommissariat.
«Dans la mesure où nous n’effectuons pas d’opérations complexes, que ce soit sur le plan juridique ou fiscal, nous recourons extrêmement peu à des conseils externes», signale Paul-César Bonnel. Le seul partenaire fréquemment utilisé par Neurones est le cabinet Pandat Finance, courtier spécialisé dans les placements de trésorerie d’entreprises. «Ce spécialiste nous aide à trouver les meilleures offres de dépôts à terme proposées par les banques, tant en Ile-de-France qu’en province», signale Paul-César Bonnel. Grâce à ce travail de prospection, la société parvient encore, malgré l’environnement de taux bas, à obtenir des rendements compris entre 1 % et 2 % sur des horizons de placement allant jusqu’à trois ans.