Table ronde/Epargne retraite

Epargne retraite : entre mécanismes sous-utilisés et innovations de demain

Publié le 23 juin 2023 à 11h30

Ingrid Labuzan

La retraite est au centre de l’agenda politique depuis le début de l’année. Outre les enjeux liés à l’âge de départ à la retraite se trouve aussi la question de son financement, notamment à titre privé. Le plan épargne retraite (PER), outil dédié à cette épargne de long terme déployé par la loi Pacte, remplit-il pleinement son rôle ? Au-delà de son objectif de support d’épargne de long terme, il dispose également de mécanismes divers qui permettent d’optimiser le dispositif. Des options encore méconnues, ce qui confirme l’indispensable effort de pédagogie à réaliser auprès des épargnants. Les experts Mathieu Chauvin, président d’Eres Group, Benjamin Sanson, sales leader retraite et investissement chez Mercer France et Nicolas Villet, directeur de BNP Paribas Epargne & Retraite Entreprises reviennent sur quelques-uns de ces avantages.

Avec, de gauche à droite : 

- Benjamin Sanson, sales leader retraite et investissements, Mercer France

- Nicolas Villet, directeur, BNP Paribas Epargne & Retraite entreprises

- Mathieu Chauvin, président, Eres Group

Au cœur de l’actualité se trouve un projet de loi sur le partage de la valeur en entreprise, qui a été présenté en conseil des ministres. Est-il de nature à favoriser les flux financiers en direction des produits d’épargne retraite ?

Benjamin Sanson, sales leader retraite et investissements, Mercer France : Indirectement, oui. En souscrivant à des dispositifs de partage de la valeur, les entreprises qui n’en disposent pas, notamment les plus petites, vont mécaniquement s’équiper avec différents produits d’épargne. Je pense qu’elles souscriront à des dispositifs retraite en complément de l’offre d’épargne salariale, car une fois que l’on possède le premier, le second n’est ni très complexe ni très onéreux à mettre en place. Les primes de partage de la valeur devraient donc entraîner de la collecte supplémentaire et alimenter de potentiels Percol ou Pereco. Il ne faut pas non plus négliger le fléchage qui va s’appliquer à la prime de pouvoir d’achat. Jusqu’ici matérialisée sous forme de liquidités, elle pourrait demain devenir une source d’alimentation des PER.

Mathieu Chauvin, président, Eres Group : En effet, plus la base de flux est élargie, plus cela favorise le développement de toutes les formes d’épargne de court, moyen et long terme. Il existe également un effet induit dans la loi et dans le projet de loi présenté en conseil des ministres, qui vise à introduire dans les plans d’épargne des dispositifs labellisés socialement responsables (un fonds solidaire déjà présent et un fonds labellisé ISR). Cette obligation nouvelle impliquera aussi bien une évolution pour les PEE en place que pour les PER Collectifs. Cela dit, nous jugeons cette initiative relativement peu ambitieuse, beaucoup de schémas en place intégrant déjà ce type de fonds.

Nicolas Villet, directeur, BNP Paribas Epargne & Retaite Entreprises : Le projet de loi présenté reproduit assez fidèlement l’accord national interprofessionnel qui a été trouvé. Un certain nombre de compléments ou d’enrichissements pourraient encore y être apportés lors des débats parlementaires. Au-delà de ces possibles modifications il y a, quoi qu’il en soit, un effet très positif à voir ces sujets occuper l’espace public, car l’épargne financière, et notamment l’épargne retraite, souffre encore largement d’un déficit de pédagogie et de communication. Ce sujet est encore mal connu des Français. D’ailleurs, un certain nombre d’idées fausses circulent encore sur le PER, on entend par exemple que le PER collectif aurait du mal à s’imposer. Pourtant, les chiffres témoignent d’un dynamisme certain pour le Perin comme pour le PER collectif : il y a 2,8 millions de Perin et 3,7 millions de PER collectifs (derniers chiffres de France Assureurs sur l’ensemble des PER assurantiels et titres du marché publiés en février 2023, données à septembre 2022). Concernant le contenu de ce projet de loi, on peut également ajouter qu’il fait la promotion de l’actionnariat salarié, avec une augmentation de son plafond, qui pourra atteindre jusqu’à 40 % du capital de l’entreprise. Les plans d’attribution d’actions gratuites constituent un pan important du partage de la valeur. Cette loi devrait donc constituer un jalon significatif dans le développement de l’épargne de long terme en France.

D’après vos observations, le PER est donc encore parfois mal compris. Gagnerait-il à être simplifié ?

Nicolas Villet : Un effort conséquent a déjà été fait en ce sens avec la loi Pacte, notamment par l’homogénéisation des produits. Néanmoins, les mécanismes de fonctionnement demeurent compliqués et il est donc important de poursuivre le travail de pédagogie qui a été entamé. Tous les acteurs du marché doivent œuvrer à expliquer et accompagner, notamment en développant des outils pédagogiques. Il peut s’agir de simulateurs, de réunions auprès des salariés, etc. Il ne faut pas non plus négliger la simplification et la pédagogie apportées par la gestion pilotée. Elle permet d’accompagner les épargnants, notamment ceux qui ont moins de temps ou de connaissances financières pour préparer leur retraite. Enfin, cette simplification et cette pédagogie incombent aussi à l’entreprise elle-même, car elle choisit les dispositifs et les fonds proposés à ses salariés. Cela permet de les orienter vers ce qui a du sens pour eux.

Mathieu Chauvin : Au lancement du PER, beaucoup de pédagogie a été effectuée pour expliquer ses différences avec les produits jusqu’ici existants. Cette comparaison avec le « monde d’avant » est complexe et a de moins en moins lieu d’être, à mesure que de nouveaux épargnants arrivent sur ces produits pour la première fois. Aujourd’hui, un message simple suffit : il existe un dispositif dédié à de l’épargne retraite, qui permet de réaliser une économie d’impôts et de récupérer son épargne de façon souple au moment où l’on part à la retraite.

La gestion pilotée est en effet un élément simplificateur et constitue le choix de gestion par défaut du PER. Les épargnants ont-ils tendance à modifier ce choix ? 

Benjamin Sanson : S’il est difficile d’avoir des statistiques nationales, nous pouvons en revanche observer ce qui se passe auprès de nos clients. Chez Mercer, l’immense majorité d’entre eux, 95 %, demeure sur l’option par défaut que constitue la gestion pilotée équilibrée. S’ils exercent un arbitrage, c’est alors plutôt pour aller se positionner sur des unités de compte (UC) que sur des fonds euros, pour gérer leur exposition à certaines thématiques ou certains types de risques.

Nicolas Villet : Non, en général peu d’épargnants le modifient une fois réalisé. Au global, que ce soit en gestion pilotée ou en gestion libre, la part UC est largement prépondérante sur la collecte en ce qui concerne le PER collectif assurantiel. Les choix d’investissement ou d’arbitrage réalisés sont relativement décorrélés de l’environnement économique et des niveaux de taux… ce qui est cohérent avec l’horizon long terme de la préparation à la retraite. Nous n’observons pas notamment d’augmentation des arbitrages sur les fonds euros en lien avec la remontée des taux.

Selon une étude de l’AMF publiée en mars 2023, l’appétence au risque est plus faible chez les femmes que chez les hommes, or celles-ci vivent plus longtemps. Comment favoriser une allocation sur des actifs plus risqués et en adéquation avec leurs futurs b

Benjamin Sanson : Nous avons réalisé il y a deux ans une enquête sur les comportements d’épargne. Premier constat, les femmes se préoccupent moins de leur retraite que les hommes. Paradoxalement, elles sont aussi plus pessimistes sur le montant qu’elles percevront une fois à la retraite. Seules 16 %, contre 21 % chez les hommes, estiment qu’elles parviendront à maintenir leur niveau de vie grâce à leur pension. En matière d’épargne, les disparités sont flagrantes : les femmes sont moins bien équipées que les hommes en dispositifs individuels de retraite, 17 % contre 25 %. Elles y font aussi moins de versements volontaires. On peut expliquer cela par un manque de culture financière, car elles sont aussi moins nombreuses que les hommes à avoir connaissance de l’avantage fiscal qui accompagne ces versements. Deux chiffres me paraissent assez marquants : 91 % des femmes ne connaissent pas la gestion par horizon et près de deux tiers d’entre elles ne sont pas prêtes à prendre des risques, quitte à avoir un rendement faible. Cela s’explique par le fait que l’éducation financière est, en France, encore trop réservée à une élite, ainsi que par un héritage historique qui veut que les questions d’argent soient gérées par l’homme dans le foyer. Les Anglo-saxons sont beaucoup plus en avance sur ces sujets. Pour contrer ce problème, nous avons mis en place des sessions d’investissement réservées aux femmes, ce qui leur permet de poser leurs questions et de discuter de leur stratégie de placement plus librement.

Nicolas Villet : Rendre l’épargne retraite plus accessible est un véritable enjeu sociétal, et nous souhaitons accompagner l’ensemble de nos épargnants, hommes et femmes, sur ce sujet majeur qui révèle en effet des comportements et des appétences différentes… Cet enjeu s’inscrit dans le S de l’ESG. Derrière ce sujet de l’épargne des femmes s’en cache un autre, plus vaste, celui de leur carrière et de leur rémunération. Un des moyens d’encourager les femmes à se pencher sur leur épargne est de changer le discours. De manière globale, il faut laisser de côté les approches centrées « produits » et aborder la question avec les clients sous l’angle des projets. Cela encourage à projeter les revenus désirés pour atteindre tel ou tel projet futur et permet ainsi de déclencher l’acte d’épargne. C’est d’ailleurs sur ce principe que nous avons conçu nos outils digitaux d’accompagnement à l’épargne retraite, en particulier la plateforme « MonDemain ». Je pense d’ailleurs que les salariés sont de plus en plus sensibles à ces sujets, en témoigne le nombre de visiteurs sur ces sites : plus d’un million par mois depuis le début de l’année et 100 000 simulations mensuelles.

Mathieu Chauvin : Les espérances de vie entre les hommes et les femmes ne sont pas similaires. Les tables de mortalité sont d’ailleurs distinctes dans les produits d’épargne collective, mais ne le sont pas pour l’individuel. Comme la durée de vie la plus longue est sélectionnée, celle des femmes, cela a pour effet de dégrader la rente des hommes. Ceci résulte d’une décision prise par Bruxelles et ne me semble pas sur le point d’évoluer. De plus, alors que l’on parle depuis longtemps de l’allongement de la durée de vie, ces tables n’ont pas été révisées, elles datent de 2005. Face à l’allongement de cette durée de vie, le financement de la dépendance va être un enjeu majeur mais, à ce stade, les épargnants plébiscitent naturellement la récupération du capital.

Comment expliquer un tel décalage ?

Mathieu Chauvin : La rente reste présente dans des dispositifs tels que les Perob. Néanmoins, lorsque l’option est ouverte, les épargnants choisissent à 99 % une sortie en capital, car la rente demeure fiscalement maltraitée. Cette aliénation du capital qui reste entre les mains de l’assureur ne facilite pas l’adoption de la rente.

Benjamin Sanson : Un vrai frein provient du fait qu’il n’est pas possible d’investir pendant la phase de décumulation de l’épargne, d’où une appétence, il est vrai, pour le capital, qui pourra ensuite être consacré à d’autres projets ou investissements. Le modèle anglo-saxon est en cela très différent. Je n’ai pas l’impression que le marché français, notamment pour des raisons de réglementation des assureurs, soit prêt à évoluer immédiatement sur les possibilités de gestion pendant la phase de décumulation.

Nicolas Villet : La réponse n’est pas dans une solution unique. La rente constitue un moyen très efficace de répondre aux enjeux de retraite et de dépendance, notamment parce qu’elle permet un transfert du risque de longévité sur l’assureur. Les acteurs du marché travaillent sur des moyens de la rendre plus attractive, d’enrichir sa proposition de valeur.

«Un des avantages méconnus du PER est qu’il permet de mettre une protection croisée entre conjoints. »

Mathieu Chauvin Président ,  Eres Group

Le PER comprend certains avantages encore mal connus. Comment bien l’utiliser ?

Mathieu Chauvin : Il existe plusieurs niveaux de lecture du PER collectif. La première question à se poser est de savoir quels avantages l’employeur met à disposition avec le PER, entre la cotisation obligatoire, son abondement, la possibilité d’y transférer les jours de repos – qui est d’ailleurs une solution très efficace… Ensuite, l’épargnant peut évidemment aller chercher l’avantage fiscal, si tel est son enjeu. En revanche, il ne faut pas se tromper sur l’usage de cet avantage. Souscrire un PER pour défiscaliser, en ayant dans l’idée de rapidement utiliser l’option de déblocage anticipé, peut être contre-productif.

Nicolas Villet : Outre la déductibilité fiscale des versements volontaires, l’abondement mis en place par l’entreprise est un réel avantage pour les épargnants, qui doivent aller le chercher. Par ailleurs, il convient de rappeler qu’un PER peut être assurantiel ou compte titres. Lorsqu’il est assurantiel, l’enveloppe fiscale s’apparente à celle de l’assurance vie, et un certain nombre d’avantages y sont attachés, comme par exemple la fiscalité en cas de succession. Par ailleurs, des garanties peuvent être incluses ; citons par exemple la garantie plancher en cas de décès.

Benjamin Sanson : On peut aussi rappeler que les dispositifs dont les frais sont négociés et en partie supportés par l’entreprise sont attractifs et qu’il peut être intéressant de regrouper ses produits chez un même gestionnaire. L’harmonisation favorise l’épargne.

Mathieu Chauvin : Il faut profiter des possibilités de transférabilité de ces dispositifs. Cela permet, par exemple lorsque l’on quitte l’entreprise, ou que l’on n’est plus satisfait par son dispositif, de transférer son épargne dans un Perin assurantiel. Souvent, cela offre un accès à une gamme de supports plus large que dans le dispositif collectif.

Les avantages du PER assurantiel ont plusieurs fois été évoqués. Cela signifie-t-il qu’il faut le privilégier, au détriment du PER compte titres ?

Benjamin Sanson : Il n’y a pas de différence majeure si l’on se situe sur un Percol ou Pereco. Les subtilités se retrouvent plus sur les dispositifs individuels. Le PER compte titres avait pour ambition d’être plus intéressant en termes de frais financiers, mais je ne suis pas certain que ce soit tellement le cas. De plus, la protection assurantielle encourage plutôt l’investisseur à se diriger vers le PER assurantiel.

Nicolas Villet : Si le Perin compte titres est marginal sur le marché d’individuel, la version collective Pereco, a en revanche toute sa place : les versions assurantielles (PERO) et compte titres (Pereco) possèdent chacune leurs avantages compétitifs. Une part significative de grandes entreprises possèdent d’ailleurs les deux versions afin d’en combiner les avantages, et peuvent, ou non, décider de les regrouper dans un PERU (PER unique).

Existe-t-il d’autres avantages méconnus du PER ?

Mathieu Chauvin : Ce produit permet de mettre une protection croisée entre conjoints. Il existe en effet une possibilité de déblocage en cas de décès qui permet de couvrir le conjoint. Il est donc intéressant que chacun ouvre un PER pour se protéger mutuellement et puisse ainsi récupérer le capital du PER sans fiscalité. Voilà pourquoi la stratégie qui consiste à laisser un membre du couple consommer le plafond fiscal du PER de son conjoint au moment de la déclaration annuelle n’est pas intéressante. Mieux vaut que les deux membres du couple ouvrent un PER, dans une optique de protection du survivant.

De plus, en fonction de la situation personnelle, le PER peut être utilisé comme outil de transmission, tandis que l’assurance vie apportera des revenus complémentaires une fois à la retraite. Cela sera notamment efficace pour les épargnants ayant les TMI les plus élevés. Prenons le cas de figure d’une TMI à 30 %, et d’une épargne de 10 000 euros par an, placée dans le plafond d’épargne retraite permettant d’optimiser sa fiscalité. Ces 10 000 euros ne coûtent alors que 7 000 euros. De plus, cette somme va générer des plus-values cumulées supérieures, si l’on compare à la possibilité de placer 7 000 euros sur une assurance vie à rendement égal.

Le PER a donc de multiples intérêts : c’est un outil patrimonial, fiscal, de prévoyance, de préparation à la retraite. Pour profiter pleinement de toutes ces subtilités, il est nécessaire de se faire accompagner et conseiller.

Nicolas Villet : Deux leviers intéressants sont associés à la déductibilité fiscale des versements volontaires : la capitalisation de l’économie d’impôts à l’entrée et l’évolution de la TMI de l’épargnant. De nombreux retraités ont en effet un TMI plus faible que pendant leur vie active et l’imposition à la sortie leur permet donc de bénéficier d’une imposition plus faible.

Ce blocage de l’épargne jusqu’à la retraite constitue-t-il un frein aux versements programmés ?

Benjamin Sanson : Les versements programmés existent, on observe d’ailleurs que ce sont souvent les mêmes personnes qui s’y prêtent chaque année, en particulier en fin d’année. Il est nécessaire de mettre en avant auprès des épargnants les avantages des versements programmés répartis sur l’année, cela permet de lisser les points d’entrée sur le marché. Or, dans le contexte actuel, il y a de violents mouvements de marché. De plus en plus de pédagogie est d’ailleurs faite à ce sujet sur les sites des dispositifs retraite.

Mathieu Chauvin : Sur le site impôts.gouv.fr, il est possible de simuler les effets de ses versements sur un PER et d’ajuster en direct son taux de prélèvement à la source. Il peut donc être intéressant de le faire en cours d’année, pour bénéficier d’un effet de trésorerie, et de ne pas attendre la prochaine déclaration fiscale annuelle.

Comment sélectionner son gestionnaire et son contrat sur le marché de l’épargne retraite ?

Nicolas Villet : La loi Pacte a incité les distributeurs à rationaliser leurs offres et les PER d’entreprise ont des caractéristiques communes. Cependant, il existe des différences importantes, comme nous l’avons vu, entre les PER assurantiels et compte titres, ainsi que sur la qualité et la profondeur de la gamme notamment ISR, les frais, la qualité des services proposés. Certains acteurs peuvent avoir une offre très large et d’autres non, ce qui crée une vraie différence sur le marché. Il est vrai que nous allons probablement vers une certaine concentration dans le secteur, car avoir une offre PER et plus globalement d’épargne d’entreprise de qualité et des outils de service à disposition des épargnants toujours plus efficaces demande des investissements très élevés de la part des professionnels. Tous n’en ont pas les moyens financiers.

Benjamin Sanson : Je ne pense pas que ce soit la loi Pacte qui ait reconcentré le marché, cette tendance est présente depuis déjà plusieurs années. Il est difficile d’y entrer pour de nouveaux acteurs, d’autant que les clients ont des attentes de plus en plus élevées. En revanche, on observe chez les épargnants une recherche de solutions différenciantes, différentes, et cela encourage de nouveaux acteurs à se positionner. Je pense que le nombre de gestionnaires devrait demeurer relativement concentré, mais que les offres en architecture ouverte seront plus nombreuses.

Mathieu Chauvin : Il faut signaler qu’il y a un mouvement d’ouverture à l’intérieur des enveloppes d’épargne salariale et retraite collectives en direction des asset managers. Ces dernières ont longtemps été concentrées entre les mains de quelques oligopoles bancaires, en architecture fermée. Ceci est en train d’évoluer, en s’inspirant notamment du monde assurantiel qui est, par construction, beaucoup plus ouvert aux gestions externes. Nous avons été un des pionniers de l’architecture ouverte en 2007. Cette offre s’est enrichie progressivement avec nos partenaires historiques, pour être aujourd’hui proposée aussi aux petites entreprises, avec des véhicules et des supports multiples.

Les transferts entre produits d’épargne retraite ont été facilités avec la loi Pacte : est-ce une option utilisée par les épargnants et intéressante ?

Benjamin Sanson : Les transferts sont utilisés dans l’optique de rechercher une meilleure offre, les entreprises n’hésitent pas à utiliser ce mécanisme. Outre les avantages pour l’entreprise, la réunification des produits d’épargne chez un même gestionnaire est un avantage pour les salariés. Certains ne font pas de suivi sur leurs produits d’épargne, cela peut donc faciliter la consolidation de la stratégie globale d’épargne. La véritable question, néanmoins, est de savoir si les salariés peuvent réellement transférer leur épargne. C’est assez simple en matière d’épargne salariale, mais il existe encore en épargne retraite des contrats collectifs où le transfert n’est pas permis, sans compter la réticence de certains acteurs à faciliter ces transferts. Je pense qu’il faudrait légiférer sur ce sujet, souvent complexe, car cela empêche les entreprises de rejoindre des gestionnaires ou des contrats plus efficaces. D’autant que le transfert est lié à un dialogue avec les partenaires sociaux, avec le CSE, donc cette démarche est une occasion d’échanges dans l’entreprise et se fait dans l’intérêt des salariés.

Nicolas Villet : Il est dans l’intérêt de l’entreprise comme des salariés d’avoir des dispositifs choisis, récents, efficaces et, dans l’immense majorité des cas, le transfert est bénéfique pour l’épargnant. L’essentiel est de pouvoir lui proposer les classes d’actifs et véhicules qui répondent à ses besoins.

Y a-t-il néanmoins d’anciens contrats qui mériteraient d’être conservés ?

Benjamin Sanson : Ce sont des situations très marginales. Cela peut être le cas pour de vieux articles 83, qui proposent une rente unique ou un taux de rendement garanti à un niveau élevé. Le transfert, dans des cas très rares, pourrait faire perdre une partie de la rente.

Nicolas Villet : Il s’agit de cas très spécifiques sur le marché qui méritent en effet d’être conservés. La très grande majorité des épargnants a intérêt à procéder à des transferts sur les nouveaux dispositifs, ce qui explique la vague de transformation en cours dans les entreprises.

Mathieu Chauvin : Cela dépend des taux techniques, pour être intéressants, ces contrats ont dû être souscrits avant 2000. A compter de 2000, les taux techniques passent en dessous de 2,5 % ce qu’une stratégie de transfert permet de couvrir. Cela concerne donc un nombre infime de contrats et mieux vaut retenir que, dans la grande majorité des cas, il est plus intéressant de transférer son épargne retraite sur un PER.

«On observe chez les épargnants une recherche de solutions différenciantes, différentes, et cela encourage de nouveaux acteurs à se positionner. »

Benjamin Sanson Sales leader retraite et investissements ,  Mercer France

Le niveau de transparence sur les frais est-il suffisant ?

Benjamin Sanson : Les frais contractuels, les frais de gestion, ont connu une baisse drastique ces dernières années, avec l’exacerbation de la concurrence et l’arrivée des bancassureurs sur le marché. Cela est vrai aussi bien sur la partie tenue de compte de l’épargne salariale que sur la partie assurantielle. Le débat, notamment en matière de transparence, porte plus sur la gestion financière, les fonds. Il peut y avoir des frais de gestion, des rétrocessions qui servent à payer la gestion. La loi Pacte a toutefois beaucoup transparisé ces données, en obligeant les acteurs à communiquer sur les frais directs et indirects. La loi Pacte est relativement récente, donc peut-être que ces efforts de transparence ne sont pas encore très visibles, mais les avancées sur la transparence en matière de rémunération, notamment dans la gestion financière, sont réelles.

Mathieu Chauvin : Les frais sur le PER sont devenus beaucoup plus transparents grâce à la loi Pacte. Tous les acteurs sont soumis aux mêmes obligations de reporting. Cette transparence est aussi de mise au niveau de l’entreprise, puisque le salarié voit les frais qu’elle prend en charge. On peut d’ailleurs rappeler que c’est pour l’entreprise une manière aussi de faire valoir son action auprès de ses salariés. Les packages d’épargne salariale et retraite constituent des arguments importants pour attirer et retenir les collaborateurs, c’est d’ailleurs ce que vient rappeler la loi sur le partage de la valeur. Pour en revenir à la question de la rémunération, je constate que les acteurs de l’épargne retraite réalisent de lourds investissements, notamment pour fournir des outils digitaux et de service de qualité, ce qui nécessite donc qu’ils perçoivent ensuite une certaine rémunération.

Nicolas Villet : La fiche synthétique des fonds résume les frais qui y sont associés, elle est par exemple facilement accessible par l’épargnant sur son espace dédié d’épargne collective BNP Paribas. La comparabilité entre les produits a de plus été facilitée. Il faut également savoir que les frais sont inférieurs sur les dispositifs collectifs par rapport aux individuels, car mutualisés. Voilà pourquoi il est intéressant de réaliser des versements volontaires sur de tels supports d’épargne.

Mathieu Chauvin : Sur les dispositifs des particuliers, nous observons les mêmes tendances que sur l’assurance vie, notamment une concurrence apportée par les nouveaux acteurs digitaux. L’équilibre du marché tire donc les frais à la baisse. Il existe plusieurs natures de frais : les frais de gestion du contrat, de l’unité de compte, les droits d’entrée, d’éventuelles commissions de mouvement ou d’arbitrage… Il faut donc comparer les éléments de frais entre eux. Les frais d’une unité de compte présente dans des contrats différents sont les mêmes, quel que soit l’acteur.

La Commission européenne se penche sur le système des commissions des distributeurs de produits d’épargne, dans le cadre de sa consultation « A Retail Investment Strategy for Europe. » Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

Mathieu Chauvin : Je suis plutôt favorable à toutes les mesures qui œuvrent en faveur de plus de transparence, et elles sont à l’initiative tant de la Commission européenne que de l’ACPR, qui a rédigé une directive en cours de parution. On remarque aussi un rapprochement évident des régulations compte titres et assurantielles, avec Mifid et DDA. Cette initiative est, à mon sens, légitime et dans l’intérêt des épargnants.

Néanmoins, il faut être vigilant concernant une réglementation sur les modes de rémunération et veiller à ce que cela ne conduise pas à un appauvrissement du marché. C’est ce qui s’est passé Outre-Manche : les mesures drastiques qui ont été prises sur ce sujet ont conduit à un appauvrissement du conseil et des solutions d’investissement. Résultat, les épargnants (généralement les plus modestes) se sont retrouvés avec des solutions de gestion passive et une offre très concentrée. Il ne faudrait pas que l’épargnant final « paie » cette transparence.

Nicolas Villet : Nous sommes dans une phase de développement du marché de l’épargne retraite en France, dont les flux sont faibles si on la compare à l’assurance vie. Il faut être vigilant pour ne pas enrayer ce marché, ni dégrader l’offre. Il faut aussi se souvenir que le fonctionnement de l’épargne et des dispositifs en France est assez différent de ce qui se fait dans le reste de l’Europe, il va être difficile de trouver une réponse unique. Cette épargne de long terme en France va répondre aux besoins des épargnants tout en finançant l’économie et la transition énergétique.

Benjamin Sanson : Certains modes de rémunération ont été diabolisés. Je pense que la rémunération peut se faire par des biais différents, y compris les commissions, tant que le client final sait à quoi correspond cette dernière, a connaissance de ses modalités et l’accepte. La transparence est indispensable et elle doit être le véritable sujet, et non les modes de rémunération en eux-mêmes, que ce soit des honoraires, des commissions ou encore des rétrocessions.

«Les acteurs du marché travaillent sur des moyens de rendre la rente plus attractive.»

Nicolas Villet Directeur ,  BNP Paribas Epargne & Retraite Entreprises

Parlons des véhicules d’investissement proposés au sein des PER. Qu’y trouve-t-on, qu’est-ce qui intéresse les épargnants ?

Nicolas Villet : L’investissement en finance responsable progresse fortement en France depuis quelques années, porté par l’attente des épargnants désireux de rendre leurs placements plus responsables. C’est le deuxième grand mouvement de fond, après l’adoption de la gestion pilotée, qui a favorisé l’investissement sur des actifs plus risqués. L’exposition à ces derniers est en général plus élevée en gestion pilotée qu’en gestion libre, accompagnée par une désensibilisation progressive. Cela permet de bien répondre aux enjeux de long terme de la retraite. En termes de fonds, il y a une forte demande pour les fonds thématiques. Les entreprises recherchent des fonds en lien avec leurs propres valeurs. Sur la gestion libre, les fonds diversifiés sont plébiscités, car ils permettent une exposition à plusieurs classes d’actifs en fonction du profil, comme par exemple le non-coté.

Mathieu Chauvin : On trouve beaucoup de variété dans les produits collectifs, héritée des produits individuels. L’immobilier et le private equity connaissent une réelle progression au sein de l’épargne collective. Il est très positif d’avoir du non-coté dans des supports d’épargne de long terme, car il est indispensable de diriger cette épargne vers l’économie réelle, les PME et le financement de la transition énergétique. La gestion pilotée permet ce fléchage de l’épargne, tel que l’a voulu le législateur.

Benjamin Sanson : Les gammes ne cessent de s’étoffer, avec un nombre de fonds croissant, et les entreprises sont les grandes gagnantes de ce mouvement. Pour nous qui travaillons dans le conseil, il est de plus en plus aisé de trouver la réponse, l’offre, qui saura satisfaire les demandes particulières des entreprises. Il est aussi beaucoup plus facile de les comparer.

Le propre du PER est d’engager une phase de désensibilisation de l’épargne : y a-t-il des améliorations possibles concernant cette partie de la vie du dispositif ?

Mathieu Chauvin : Avec la gestion pilotée, l’épargne se retrouve, au moment de la retraite, placée à 100 % sur des fonds monétaires et euros. Pourtant, la phase d’épargne ne devrait pas être terminée, si l’on considère que l’on a encore 20 ans à vivre. Si l’on a une réserve d’argent dans laquelle puiser, il faudrait avoir un mécanisme qui permette d’optimiser la phase de désensibilisation et de profiter encore du potentiel des marchés. Les épargnants ne sont pas assez aidés sur ces questions. Une des solutions pourrait être de désensibiliser sur des horizons plus longs, pour conserver plus longtemps une part d’actifs risqués. Certains véhicules sont particulièrement indiqués pour cela, comme par exemple les fonds à échéance ou les fonds immobiliers. Ces derniers permettent, grâce aux loyers, d’alimenter les besoins courants en trésorerie, tout en ayant du capital investi. Ces solutions ne sont pas automatiques dans le PER, il vaut mieux se faire conseiller pour gérer la phase de désensibilisation.

Nicolas Villet : Il y a encore beaucoup d’innovation à venir. Nous sommes probablement en retard par rapport aux pays anglo-saxons sur la décumulation, et les innovations sur ce sujet constitueront un nouveau moteur de croissance pour l’épargne retraite. Ces nouvelles structurations devront être suffisamment flexibles pour répondre à des besoins différents et être accompagnées d’un volet nécessaire de pédagogie.

Benjamin Sanson : La France prend en effet comme curseur l’âge de la retraite. Dans les pays anglo-saxons, la grille est construite en fonction de ce qu’ils nomment le cycle de vie, et qui s’arrête là où le souhaite l’épargnant. Il faut aussi préciser que l’épargne est beaucoup plus disponible et peut être gérée plus finement jusqu’à la fin de vie. La véritable innovation à venir portera sur cette phase de décumulation. 

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