ÉNERGIE

Les énergies renouvelables au service de la neutralité carbone

Publié le 27 mai 2022 à 11h40

Anne Del Pozo

Les énergies renouvelables (EnR) sont alimentées par le soleil, le vent, la chaleur de la terre, les chutes d’eau, les marées… Elles permettent de produire de l’électricité, de la chaleur, du froid, du gaz, du carburant, du combustible. Ces sources d’énergie, considérées comme inépuisables à l’échelle du temps humain, n’engendrent pas ou peu de déchets ou d’émissions polluantes. Elles se distinguent des énergies fossiles, polluantes et dont les stocks diminuent. Enfin, les EnR sont plus résilientes, notamment en cas de crise. Elles sont donc indispensables pour préparer le système énergétique de demain en diversifiant le mix énergétique de notre pays.

Le scénario de l’Agence internationale de l’énergie consiste à dire qu’en 2050 nous aurons une consommation d’énergie au niveau mondial qui sera de 8 % inférieure à celle que nous avions en 2020, avec deux milliards de personnes en plus sur terre et une économie mondiale considérable. « En termes de mix énergétique, il s’agira d’un changement radical, car cela implique que l’énergie est produite aux 2/3 par les énergies renouvelables au sens large, que les énergies fossiles ne représentent plus que 20 % contre 80 % aujourd’hui, le nucléaire au niveau mondial monterait de 5 à 10 % et au sein des énergies renouvelable, le solaire représenterait 20 %, explique Ludivine de Quincerot responsable de l’ESG et de l’analyse financière, de Rothschild & Co Asset Management. La substitution entre énergie fossile et énergie renouvelable, c’est – 75 % pour le pétrole, – 90 % pour le charbon et – 55 % pour le gaz. »

La filière liée aux énergies renouvelables couvre l’hydroélectricité, l’éolien, toutes les formes de solaires (électriques ou thermiques), la géothermie, l’ensemble des bioénergies (bois énergie, bio carburant biométhanes), ou encore les énergies marines renouvelables qui sont en train d’émerger. « Le Syndicat des énergies renouvelables regroupe 450 entreprises parmi lesquelles tous les énergéticiens français et européens dont le domaine d’application couvre l’ensemble de cette filière, précise Jean-Louis Bal, président, Syndicat des énergies renouvelables. Au sein de cette filière, l’électricité ne représente que 24 % de notre consommation d’énergie. »

Les énergies renouvelables gagnent du terrain

Au début de la décennie 2010, les énergies renouvelables concernaient 9 % de la contribution nationale. Fin 2020, elles atteignaient 19 %. « Ce qui est inférieur à l’objectif que nous nous étions donné dans les lois et la directive européenne, ajoute Jean-Louis Bal. Nous avons 19 % d’énergie renouvelable, 17 % de nucléaire, donc il reste 64 % d’énergie fossile importée. Non seulement elles émettent du CO2, mais en plus elles nous rendent dépendants d’importation, notamment de Russie. »

La progression de cette dernière décennie est certes une avancée, mais elle reste insuffisante. La France est en effet un des six pays européens qui n’a pas encore atteint ses objectifs dans le cadre de la directive européenne. Néanmoins, nous avons une activité économique considérable autour des énergies renouvelables. « En 2019, l’énergie renouvelable mobilisait 160 000 emplois, poursuit Jean-Louis Bal. Aujourd’hui nous approchons les 180 000 emplois. Nous dégageons une valeur ajoutée économique chaque année de 15 milliards d’euros répartis sur l’ensemble du territoire. Les énergies renouvelables ont parcouru une courbe d’apprentissage qui fait qu’aujourd’hui elles sont très compétitives. »

En France, des freins subsistent

Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, différents scénarios ont été mis en place. « Il faut clairement réduire les émissions de gaz à effet de serre, précise Ludivine de Quincerot. L’ensemble des grands pays (qui à eux seuls émettent 70 % des gaz à effet de serre) s’est engagé dans cette démarche. Cependant, malgré leurs promesses, les politiques ne sont clairement pas à la hauteur de ces ambitions. » En France, plusieurs freins subsistent. « Par exemple, sur l’éolien terrestre, il y a un enjeu important de libération de zones foncières, souligne Hélène Gelas, associée LPA-CGR. L’Etat bloque ainsi de très grandes zones pour les entraînements de l’armée. Il y a aussi des lenteurs dans l’instruction des projets liés à l’éolien terrestre et ce, malgré l’existence de nombreux projets. Sur l’éolien en mer, nous avons des lenteurs dans la planification des projets. Le solaire photovoltaïque présente pour sa part des problèmes de zonage, de foncier et également d’autorisations longues à obtenir. Sur le biogaz, les projets sont bloqués en instruction pour diverses raisons. »

Les contraintes financières sont également importantes. Aujourd’hui nous avons un problème ponctuel sur le coût et les disponibilités de matériaux. « La crise russe a des conséquences immédiates, explique Benjamin Louvet, gérant spécialiste matières premières OFI AM. Elle désorganise le marché, contribue à une très forte augmentation du prix des matières premières et en particulier du pétrole et du gaz. Elle pourrait également impacter les approvisionnements des métaux comme le nickel. Le secteur des matières premières agricoles est également fortement touché par la crise actuelle car l’Ukraine et la Russie sont des gros exportateurs de céréales et en particulier de blé. Il s’agit d’un point majeur qui peut générer des crises sociales fortes. Ce conflit est ainsi venu nous rappeler notre très forte dépendance à certaines matières premières. Toute disparition même d’une petite partie de cette offre peut mettre le marché en grande difficulté avec des prix qui augmentent fortement. »

Un contexte qui invite les pays à repenser leur rapport aux matières premières et à se poser des questions de souveraineté économique et d’indépendance énergétique. « D’autant plus que dans les 30 prochaines années, il y aura une forte pression sur le cuivre, la bauxite, le cobalt et le nickel, analyse Emmanuel Hache, économiste-prospectiviste au sein de l’IFPEN. Cette transition énergétique va nous amener à exacerber cette demande en matériaux. » Il va également falloir gérer la vitesse d’extraction de ces matériaux qui prend entre sept et huit ans dans le monde et 10 ans en Europe. « Selon le rapport du FMI, la hausse des prix d’ici 2030 sur le lithium, le cobalt, le nickel devrait être de l’ordre de quelques centaines de pourcent et celle du cuivre de 60 % », ajoute pour sa part Benjamin Louvet. Ce sont des estimations « conservatrices ».

Quelles solutions à ces tensions ?

La réglementation pourrait d’abord servir d’amortisseur. Actuellement, la Commission européenne mène un travail important sur la réglementation pour imposer le recyclage sur 80 % de la batterie ainsi qu’une quantité minimum de matière recyclée dans la fabrication de la batterie. Au-delà du recyclage, un travail important est également à faire sur les énergies renouvelables. « Le renouvelable permettra d’avoir une électricité moins chère, ajoute Guy Auger, partner Andera Infra. Sur le financement, le gouvernement peut aussi avoir un rôle à jouer, proposer des fonds de garanties, définir un cadre réglementaire pour financer clairement ces projets… » Sur le marché coté, il est d’ores et déjà possible d’investir dans des obligations durables, dans lesquelles il y a de l’environnement et du social. « Les green bonds représentent 58 % de ce marché, précise Ludivine de Quincerot. Il s’agit d’une obligation durable qui doit financer uniquement un marché vert et qui répond à un cadre très contraint. Le green bond attire une base d’investisseurs durables plus large, très attractifs pour les émetteurs. Pour les investisseurs, c’est le moyen d’avoir un investissement vert et encadré. » Se débarrasser des énergies fossiles nécessitera enfin, de s’appuyer sur des technologies qui devront être opérationnelles.

L’hydrogène participera à la baisse des émissions de gaz à effet de serre

Les objectifs de l’accord de Paris ne pourront également pas être atteints sans l’hydrogène. « Le poids de l’hydrogène dans la lutte contre le changement climatique est important, précise d’ailleurs Arnaud Faller, directeur général délégué en charge des investissements, CPR AM. Les grands secteurs qui feront le plus d’efforts seront les transports (23 % du total des émissions) et l’industrie (19 %). L’IAE attend ainsi que les transports baissent de 95 % leurs émissions et l’industrie de 90 %. Or, l’hydrogène peut traiter en majorité cette baisse d’émission carbone. » Pour le moment, l’hydrogène contribue négativement à la question climat. « Il faut changer ça, explique Alix Chosson, lead ESG Analyst, Candriam. A cet effet, il faut élargir les usages de l’hydrogène qui doit jouer un rôle dans la décarbonisation des secteurs des transports, de la chimie, de la sidérurgie, tout en décarbonant l’hydrogène. »

Le gouvernement, fer de lance

Pour atteindre cet objectif, le gouvernement a lancé une stratégie hydrogène en septembre 2020 qui s’articule autour de trois axes : décarboner l’industrie lourde (raffinage, chimie, engrais, sidérurgie, cimenterie), créer une mobilité lourde et intensive propre, maintenir le très haut niveau d’innovation et de développement avec un programme d’équipements prioritaires de recherches doté de 80 millions. « Ce sont au total 7,2 milliards d’euros qui sont ainsi dédiés au plan hydrogène, » précise Philippe Boucly, président France Hydrogène. Aujourd’hui sept bassins apparaissent en France, qui vont concentrer 85 % des usages de l’hydrogène à l’horizon 2030.

« Sur le terrain, les clients de l’hydrogène sont ou seront là, estime Jean-Marc Leonhardt, directeur général H2V Industry Les utilisateurs actuels de l’hydrogène gris peuvent facilement basculer techniquement dans l’hydrogène vert (raffinerie et fabrication d’ammoniaque). Pour les raffineries, cette bascule se fera rapidement. Les mobilités lourdes et intensives représentent également un potentiel de marché pour l’hydrogène, d’autant que, pour ce secteur-là, les alternatives sont assez limitées. Enfin, de nouveaux usages industriels émergent. Par exemple, on parle de décarboner l’industrie de l’acier. L’hydrogène peut également être utilisé à des fins énergétiques (ce qui peut par exemple remplacer le gaz naturel). »

Une énergie qui devrait devenir compétitive

Le développement de l’hydrogène décarboné sera d’autant plus intéressant dans les années à venir qu’il va devenir compétitif. « Certaines industries comme l’acier doivent faire face à l’augmentation du prix du gaz, du charbon, explique Alix Chosson. Dans ces secteurs, l’hydrogène vert devient intéressant. Et ce d’autant plus au regard du contexte actuel et de l’augmentation à venir du prix du CO2. Parallèlement, près de 75 % des coûts de l’hydrogène portent sur l’électricité renouvelable, dont le prix va continuer de diminuer. » Les investisseurs ne s’y trompent d’ailleurs pas. CPR AM a ainsi créé un fonds action dédié à l’hydrogène en novembre dernier. « L’un des premiers sur le marché, précise Arnaud Faller, directeur général délégué en charge des investissements, CPR AM. Nous avons d’abord étudié sa pérennité, s’il y avait des obstacles technologiques qu’on pouvait lever avec la massification et s’il y a de la rentabilité. Les acteurs privés et publics ont donné le cap pour 2050, la technologie est prête et sur le prix, avec les nouvelles conditions de marché du gaz notamment, ça devient compétitif. Sur l’écosystème de l’hydrogène nous sommes ainsi sur une thématique de croissance durable. Donc, nous avons lancé notre fonds fin novembre dernier et nous avons rencontré un vrai succès. » 

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