Deux décisions rendues cette année par la haute assemblée illustrent l’adaptationpragmatique des juges du Palais Royal de leur appréciation de la notion d’abusde droit aux situations complexes.
Par Antoine Colonna d’Istria, avocat associé, Freshfi elds Bruckhaus Deringer
La première illustration se trouve dans une affaire d’apport-cession dans laquelle un contribuable, après avoir apporté les titres d’une société qu’il contrôlait à une société interposée qui venait d’être constituée dans le cadre du régime de report d’imposition prévu alors à l’article 160 I ter 4 du CGI, a été redressé par l’administration fiscale sur le fondement de l’abus de droit. L’administration constatait que les titres ainsi apportés avaient été revendus seulement 25 jours après leur apport et que le produit de la vente n’avait pas été réinvesti à des fins économiques. Le Conseil d’Etat a fait une application inédite de sa jurisprudence relative aux conditions dans lesquelles un apport de titres suivi de leur cession peut être qualifi é d’abus de droit.
Ainsi, il a estimé que même si le produit de cette cession n’avait pas été réinvesti dans une activité économique, il fallait prendre en compte l’intention du contribuable qui avait effectivement entrepris des démarches coûteuses par l’intermédiaire d’un cabinet de conseils en vue de l’acquisition d’une activité industrielle, qu’il n’avait dû interrompre qu’à la suite de la réception de la notification de redressement qui, eu égard au montant des redressements annoncés, l’empêchait de poursuivre de telles démarches (CE 22 fév. 2013, M. et Mme Clairet). Le Conseil d’Etat a ainsi infléchi sa jurisprudence qui jusqu’à présent semblait s’arrêter uniquement à la condition de réinvestissement dans une activité économique...