Le concept de «continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise» qui prévaut en droit de la concurrence ne contrevient pas au principe de personnalité des peines, garanti par la Convention européenne des droits de l’homme : une société absorbante peut donc être condamnée, sur le fondement de la continuité économique, à une amende civile pour des pratiques restrictives de concurrence commises par la société absorbée avant la fusion.
Par Elisabeth Flaicher-Maneval, avocate counsel, et Arnaud Reygrobellet, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
C’est ce que vient de juger en substance la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (arrêt du 24 octobre 2019 n° 37858/14).
Ainsi, après le Conseil constitutionnel en 20161, c’est au tour de la CEDH de confirmer la solution dégagée par la Cour de cassation, dans un arrêt 21 janvier 2014 (n° 12-29.166), selon laquelle une amende civile peut être prononcée pour pratiques restrictives de concurrence, sans qu’il soit porté atteinte au principe de personnalité des peines, à l’encontre de la personne morale qui n’exploitait pas l’entreprise au moment de la commission des faits mais à laquelle cette entreprise a été transmise à la suite d’une fusion-absorption.
La CEDH est arrivée à la même conclusion au terme d’une analyse empruntant très largement aux arguments des deux institutions françaises mais aussi à ceux que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a développés en matière de pratiques anticoncurrentielles. Pour la CJUE, c’est en effet la notion d’entreprise et non celle de personne morale qui identifie l’auteur d’une infraction au droit de la concurrence ; elle applique en conséquence le critère de la continuité économique de l’entreprise lorsque l’entité ayant commis l’infraction cesse d’exister après la commission de celle-ci (arrêt du 24 octobre 2009, aff. C-125/07 P).
Pour estimer, elle aussi, que l’«approche fondée sur la continuité économique de l’entreprise, qui vise à prendre en compte la spécificité de la situation générée par la fusion-absorption, ne contrevient pas au principe de la personnalité des peines garanti par la Convention», la CEDH s’est appuyée sur le raisonnement suivant :