Le problème d’interprétationLorsque le contrat est régi par le droit anglais, le droit écossais ou le droit nord-irlandais (le «droit britannique»), et qu’il a été conclu avant la date du Brexit, la question se pose : le droit applicable est-il celui qui s’appliquait avant le Brexit ou après ? Autrement dit, le droit antérieur au Brexit incorpore toujours le droit de l’Union européenne (l’acquis), alors que le droit britannique post-Brexit ne le fera pas. Savoir quelle version de la législation britannique s’applique est potentiellement critique lorsque les droits et obligations d’une partie sont déterminés par l’acquis.Une réponse est fournie par la loi britannique, le European Union (Withdrawal) Act 2018 («EUWA»), mais seulement partiellement. L’EUWA prévoit que l’intégralité de l’acquis existant à la date du Brexit sera incorporée dans la législation britannique à cette date en tant que législation nationale britannique. En outre, toutes les références à l’acquis dans le droit britannique doivent être considérées comme des références à l’acquis tel qu’il existait à la date du Brexit (ou à l’issue de la période de transition). L’effet de l’EUWA est donc de «geler» l’acquis tel qu’il s’applique à la date du Brexit. Et même si l’acquis se développe («l’acquis dynamique»), sa version en droit britannique restera inchangée («l’acquis gelé»).Toutefois, les dispositions de l’EUWA s’appliquent uniquement au droit public, c’est-à-dire aux directives transposées dans le droit britannique, aux règlements d’application directe, etc. L’EUWA ne contient aucune indication sur le statut de l’acquis en droit privé : les contrats commerciaux, les relations actionnariales, les règlements des fonds d’investissement, etc.En ce qui concerne l’application de l’EUWA au droit privé, l’acquis à appliquer devra être déterminé en fonction des relations concernées. Il pourra s’agir d’une référence à l’acquis gelé ou à l’acquis dynamique.Le principe est simple, mais la pratique se montre plus complexe. Il est possible que les parties n’aient pas abordé ces questions lors de la conclusion de leur accord. Le contrat peut donc ne pas être clair et son application peut être incertaine.Il en découle que toutes les entités concernées doivent s’interroger sur leurs contrats et se poser deux questions :- le contrat devait-il incorporer des droits ou des obligations dérivés de l’acquis, de quelque manière que ce soit ?- dans l’affirmative, était-il censé appliquer l’acquis gelé ou l’acquis dynamique ?A défaut, le contrat devrait être révisé pour clarifier la situation.Le problème d’illégalitéLe droit anglais a une doctrine de frustration, plus large que la doctrine française de force majeure. En droit anglais, la frustration survient lorsqu’il se produit un événement pour lequel il n’y a pas de disposition contractuelle, et cela a pour effet de rendre le contrat impossible à exécuter ou de le rendre nettement plus onéreux.Lorsqu’il y a frustration, le contrat est résilié au point de frustration. A ce stade, «the loss lies where it falls (la perte reste là où elle tombe)» : la perte résultant d’un événement de frustration est supportée par la partie concernée et elle ne peut pas récupérer ses pertes résultant de la frustration de l’autre.En droit anglais, le Brexit peut constituer un événement de frustration. Cela pourrait rendre un contrat impossible à exécuter s’il devient illégal pour une partie de s’acquitter de ses obligations. Par exemple, une partie dépend d’une licence ou d’une autorisation pour exécuter ses obligations, qui peuvent être retirées à cause de Brexit (surtout si ce régime de la reconnaissance mutuelle des normes et des qualifications venait à disparaître). Si le Brexit ne rend pas un contrat illégal, cela pourrait néanmoins le rendre beaucoup plus onéreux à exécuter. Par exemple, il pourrait être nécessaire d’obtenir des biens ou des services à des coûts exorbitants auprès d’une source nationale, car il devient impossible de les obtenir de manière transfrontalière.Lorsqu’un contrat n’aborde pas les conséquences du Brexit, le risque que le Brexit constitue un événement de frustration, avec tous les inconvénients, dépenses et imprévisibilités qu’il entraîne, est donc plus élevé.Alors, y a-t-il une solution ? Oui. Les parties devraient revoir leurs contrats et envisager les difficultés d’exécution que le Brexit pourrait causer. Les contrats peuvent prévoir le transfert d’obligations contractuelles à une entité sœur pour laquelle il peut rester licite ou moins onéreux à exécuter. Et il est toujours possible de remédier l’imprévisibilité des effets de frustration. Par exemple, il pourrait être prévu de répartir les pertes de manière particulière, réaliser une compensation entre elles ou transférer des biens permettant d’exécuter malgré tout le contrat. Bien que ces solutions ne soient pas parfaites, elles pourraient contribuer à atténuer les effets potentiellement dommageables de frustration causés par le Brexit.Le problème d’exécutionLe Règlement (UE) 2015/2012 crée un mécanisme complet pour la détermination de la compétence des tribunaux et l’exécution des décisions dans l’Union européenne. En termes généraux, il est prévu qu’en l’absence d’accord entre les parties attribuant la compétence aux tribunaux d’un Etat membre particulier (et à diverses autres exceptions spécifiques), une partie doit être poursuivie dans l’Etat membre où elle a son domicile. En outre, un jugement rendu devant les tribunaux d’un Etat membre est automatiquement reconnu et peut être exécuté dans tout autre Etat membre.Après le Brexit, ce Règlement européen ne devrait plus s’appliquer au Royaume-Uni (en l’absence d’un accord spécifique). Cela signifie que les décisions des tribunaux britanniques ne seront plus automatiquement reconnues et appliquées dans l’Union européenne, donc une décision d’un tribunal britannique contre une partie présente dans une juridiction de l’UE ou dont les actifs sont situés dans l’UE ne pourra pas être facilement exécutée contre cette partie.La même difficulté survient lorsqu’un tribunal situé dans un Etat membre de l’UE rendra une décision contre une partie située au Royaume-Uni ou dont les actifs sont situés au Royaume-Uni. En règle générale, en l’absence de convention prévoyant la reconnaissance mutuelle des jugements, le droit britannique exige que la partie cherchant à exécuter une décision étrangère entame une nouvelle action au Royaume-Uni, poursuivant la décision étrangère comme s’il s’agissait d’un contrat. Bien qu’il soit généralement difficile pour un défendeur de contester cette procédure, cela ajoute néanmoins du temps et des frais au processus d’exécution.Les parties qui ne prévoient aucune compétence juridique «post-Brexit» dans leurs contrats ou qui ont conféré compétence aux tribunaux britanniques devraient donc examiner ces contrats. Les tribunaux compétents seront souvent déterminés par la force commerciale des parties, mais les récents développements en France renforcent son attractivité.Le tribunal de commerce de Paris et la cour d’appel de Paris se sont dotés, le 7 février 2018, de deux chambres internationales compétentes pour les litiges du commerce international. La particularité de ces chambres, quel que soit le droit choisi par les parties, est d’adopter une procédure de type common law ; elle permettra l’audition de témoins et d’experts à l’audience en anglais, avec possibilité d’interrogatoires croisés, ainsi que la communication des pièces en anglais, sous le contrôle du juge.Ces nouvelles «chambres commerciales internationales de Paris» pourront intervenir notamment dans les matières de contrats commerciaux, rupture de relations commerciales, litiges en matière d’opérations sur instruments financiers ou conventions-cadres de place.La compétence de ces chambres pourra résulter d’une stipulation contractuelle attributive de compétence.Dans ces conditions, les parties doivent réévaluer dès à présent leurs relations contractuelles basées sur le droit anglais ou avec des contreparties britanniques et modifier, le cas échéant, les clauses d’imprévision et de juridiction en lien avec les changements structurels à venir.
Par Jeremy Blimbaum, associé, et Charles Marquand, of counsel, Solvaction
Le problème d’interprétation
Lorsque le contrat est régi par le droit anglais, le droit écossais ou le droit nord-irlandais (le «droit britannique»), et qu’il a été conclu avant la date du Brexit, la question se pose : le droit applicable est-il celui qui s’appliquait avant le Brexit ou après ? Autrement dit, le droit antérieur au Brexit incorpore toujours le droit de l’Union européenne (l’acquis), alors que le droit britannique post-Brexit ne le fera pas. Savoir quelle version de la législation britannique s’applique est potentiellement critique lorsque les droits et obligations d’une partie sont déterminés par l’acquis.
Une réponse est fournie par la loi britannique, le European Union (Withdrawal) Act 2018 («EUWA»), mais seulement partiellement. L’EUWA prévoit que l’intégralité de l’acquis existant à la date du Brexit sera incorporée dans la législation britannique à cette date en tant que législation nationale britannique. En outre, toutes les références à l’acquis dans le droit britannique doivent être considérées comme des références à l’acquis tel qu’il existait à la date du Brexit (ou à l’issue de la période de transition). L’effet de l’EUWA est donc de «geler» l’acquis tel qu’il s’applique à la date du Brexit. Et même si l’acquis se développe («l’acquis dynamique»), sa version en droit britannique restera inchangée («l’acquis gelé»).
Toutefois, les dispositions de l’EUWA s’appliquent uniquement au droit public, c’est-à-dire aux directives transposées dans le droit britannique, aux règlements...