Table ronde

Comment les dirigeants d’entreprise s’organisent pour faire face de manière agile aux crises successives que nous traversons

Publié le 9 septembre 2022 à 14h00

Arnaud Lefebvre

Avec de gauche à droite :

  • Brahim Guettiche, senior manager risk services, Atradius France, Italie & Belux
  • Frédéric Michelland, CEO, Poclain Hydraulics Industrie 
  • Frédéric Regert, directeur général adjoint finances, IT & Transformation, Groupe Rossignol
  • Arthur Wastyn, partner, head of working capital and cash flow services, PwC
  • Philippe Pettini, directeur du marché des entreprises/membre du COMEX, Banque Palatine 
  • Matthieu Carlier, partner M&A, EY Corporate Finance

Sécuriser en premier lieu son cash, mais pas seulement…

A peine sorties de la violente récession de 2020 provoquée par la pandémie de la Covid-19, les entreprises sont de nouveau confrontées à une conjoncture dégradée. Comment Poclain Hydraulics Industrie, ETI internationale spécialisée dans la conception de systèmes de transmission de puissance, fait-elle face aux crises que nous traversons ?

Frédéric Michelland : Notre capacité d’adaptation a été, et reste, clé. Lorsque la crise sanitaire s’est déclenchée, d’abord en Asie, puis en Europe et aux Etats-Unis, nous avons immédiatement réagi à travers un ensemble de mesures : plan de maîtrise des coûts fixes, remise à plat de notre système de gestion des commandes pour faire face aux difficultés d’approvisionnement, changements au niveau organisationnel afin de gagner en réactivité dans nos prises de décision et accélération du déploiement du plan de transformation que j’avais engagé dès 2019 à mon arrivée visant notamment à renforcer la résilience de notre business model… Ainsi, après avoir vu notre carnet de commandes reculer de près de 40 %, nous avons pu par la suite bénéficier de la forte reprise de l’activité durant les mois qui ont suivi, qui s’est poursuivie en 2021 avec une progression de 30 % de notre chiffre d’affaires et un résultat opérationnel multiplié par 2,5 fois. Même si la crise actuelle pose de nouveaux défis avec une inflation à deux chiffres de nos achats directs – qui représentent plus de 40 % de notre chiffre d’affaires –, nous devrions à nouveau afficher une croissance à deux chiffres en 2022. 

Qu’en a-t-il été chez Rossignol qui, en tant que fabriquant de matériels de sports d’hiver, a été lourdement affecté par les confinements et fermetures des remontées mécaniques ?

Frédéric Regert : Alors que nous étions déjà en pertes en 2019, la crise de la Covid-19 n’a fait qu’accentuer nos difficultés financières. Afin d’assurer la survie du groupe, nous avons d’abord veillé à sécuriser le cash. Pour ce faire, nous avons sollicité l’ensemble des dispositifs d’aide publics auxquels nous étions éligibles, et avons notamment levé 45 millions d’euros sous la forme de prêts garantis par l’Etat (PGE). Dans cette même logique, nous nous sommes attelés à optimiser notre besoin en fonds de roulement (BFR) et à recentrer le Groupe sur son core business. Outre son activité historique de conception et fabrication de matériels de sports d’hiver, Rossignol dispose également d’une activité textile et détenait plusieurs marques de vélo de route. Tandis que certaines de ces dernières induisaient un BFR important et perdaient de l’argent, nous avons préféré les céder. L’impact a été significatif : grâce notamment à ces cessions et au travail de fond sur les composantes du BFR, nous sommes parvenus à abaisser notre pic de besoin de près d’un tiers, soit quelque 100 millions d’euros.

Matthieu Carlier : Sur ce plan, la démarche de Rossignol est loin de constituer un cas isolé. Au cours des derniers mois, nous avons exécuté de nombreuses opérations de ce type pour le compte de PME et d’ETI, désireuses de se recentrer sur leur cœur de business. En prenant la décision de se séparer d’actifs non stratégiques et/ou non rentables, beaucoup d’entre elles voyaient notamment un moyen de sécuriser le cash disponible, et donc de préserver la solidité de leur groupe. 

Frédéric Regert : En parallèle du volet « liquidités », nous avons, à l’instar de Poclain Hydraulics Industrie, mis en œuvre des mesures drastiques, parmi lesquelles la fermeture temporaire de nos usines, le chômage partiel et une baisse de nos dépenses. Nous avons également accéléré nos projets de transformation et profondément revu nos process internes, ce qui nous permet d’aborder la crise actuelle avec une relative sérénité et entrevoir le retour aux profits. 

«Si nous voulons rester leaders sur nos marchés, nous avons continuellement besoin de développer de nouveaux savoir-faire pour projeter l’entreprise dans le futur. »

Frédéric Michelland CEO ,  Poclain Hydraulics Industrie

Renforcer ses partenariats stratégiques et assurer ses opérations

Outre les collaborateurs, comment les crises récentes et actuelles affectent-elles vos relations avec vos partenaires commerciaux, en particulier vos fournisseurs ?

Frédéric Michelland : Dans le contexte actuel, nous bénéficions en quelque sorte d’une prime à la fidélité. Chez Poclain Hydraulics Industrie, nous avons systématiquement veillé à payer nos fournisseurs à temps et à les soutenir, notamment lorsqu’ils traversaient des phases compliquées sur le plan financier. Alors qu’il se révèle particulièrement difficile, depuis deux ans, de recevoir les composants commandés dans les quantités souhaitées et dans les temps prévus, nous tirons pleinement profit de la priorité donnée au développement de relations à long terme avec nos fournisseurs. En ce sens, les crises nous ont encore davantage rapproché de nos partenaires stratégiques.

Historiquement, de nombreuses entreprises ont actionné l’arme des délais de paiement (DPO) pour optimiser leur trésorerie, au détriment de leurs fournisseurs. Peuvent-elles continuer à « jouer » sur ce levier ?

Arthur Wastyn : Je ne le pense pas. Alors que les chocs sur la supply chain sont particulièrement violents depuis 2020, le rapport de force entre les fournisseurs et les clients, qui penchait sensiblement en faveur de ces derniers, s’est sérieusement rééquilibré. En choisissant soit de ne pas accepter les conditions tarifaires fixées par son fournisseur, soit de ne pas le payer à temps, une entreprise s’exposerait, dans la configuration actuelle, au risque de ne pas être livrée. 

Le rachat de fournisseurs peut-il représenter une solution pour non seulement mieux maîtriser ses approvisionnements, mais aussi soutenir un partenaire stratégique ?

Matthieu Carlier : C’est un sujet qui revient souvent dans les discussions du moment. Sur un plan rationnel, on le comprend parfaitement. Mais dans les faits, nous ne le constatons absolument pas. En rachetant un fournisseur, une entreprise se retrouverait à gérer un métier totalement différent du sien. Dans le climat d’incertitudes du moment, les entreprises ont tendance à vouloir se focaliser sur leur core business plutôt qu’à se lancer dans une nouvelle aventure industrielle, forcément porteuse de risques.

Frédéric Michelland : Il y a quelques années, nous avions racheté un fournisseur stratégique, un fondeur qui rencontrait des difficultés. Les spécificités et la complexité de ce métier avaient été clairement sous-estimées. Une fois l’activité redressée avec succès au bout de 2 ans, nous avons préféré la revendre il y a quelques mois à un spécialiste du secteur. 

Outre la fidélisation de ses fournisseurs clés, la tentation de diversifier ses sources d’approvisionnement est-elle aujourd’hui plus grande ?

Frédéric Regert : Dans la mesure où Rossignol travaillait avec des partenaires russes et ukrainiens, c’est surtout le déclenchement de la guerre entre ces deux pays qui nous a contraint à opérer de la sorte. Nous avons ainsi rapidement qualifié de nouvelles matières et trouvé de nouveaux sous-traitants en Europe de l’Est, tout en relocalisant une partie de la production au sein de nos propres usines.

Frédéric Michelland : Comme beaucoup d’entreprises, nous cherchons également, depuis de nombreuses années déjà, à nous protéger contre les chocs affectant la supply chain et les perturbations relatives aux transports maritime et aérien. C’est pourquoi nous avons sensiblement relocalisé nos achats dans les pays où nous produisions. S’agissant de la Chine, nous ne « sourcions » localement que 10 à 15 % de nos besoins en 2018. Cette part avoisine dorénavant 40 %. Autre bénéfice de cette stratégie du « local pour local », elle participe à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.

«L’échange régulier avec les partenaires commerciaux de l’entreprise, l’analyse prospective mais aussi la captation d’informations sur la santé des entreprises qui n’apparaissent pas dans les comptes, sont aujourd’hui indispensables. »

Brahim Guettiche Senior manager risk services ,  Atradius Atradius France, Italie & Belux

Monitorer son poste clients, une mission clé et transversale

Côté clients, les enjeux sont-ils similaires ?

Arthur Wastyn : Depuis peu, la gestion du poste clients a évolué. Hier, le principal enjeu consistait à optimiser les termes de paiement. Aujourd’hui, il s’agit avant tout de maîtriser le risque de sinistralité. Dans ce cadre, les questions qui se posent pour une entreprise sont les suivantes : quel client j’accompagne, d’une part, et quel prospect je n’accepte pas comme client, d’autre part.

Frédéric Regert : Tout à fait. C’est pourquoi, dans un souci de soutenir quelques clients stratégiques fragilisés par la fermeture des remontées mécaniques, nous avions pris la décision, au plus fort de la pandémie, d’assouplir les conditions de crédit ou de reprendre une partie de leurs stocks.

Quid, pour les groupes qui disposent d’un pricing power, de la répercussion de la hausse des prix des matières premières et des intrants sur les prix de vente ?

Frédéric Michelland : L’exercice consistant à répercuter à nos clients les effets de l’inflation touche ses limites. C’est la raison pour laquelle je suis convaincu qu’il est urgent de réfléchir davantage en termes de valeur de notre offre, de leviers non liés au seul prix et de questionner le « juste » niveau d’engineering de nos solutions…  

Dans une logique plus court termiste, n’y a-t-il toutefois pas un risque d’envolée des cas de défauts de paiement client? 

Brahim Guettiche : Beaucoup, y compris des PME, commencent à s’en inquiéter, en particulier celles qui ne sont pas encore assurées-crédit. Face à la hausse des coûts des matières premières et des intrants, les entreprises voient effectivement leurs encours clients augmenter, avec des montants pouvant atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros. 

Philippe Pettini : A mon sens, la question ne devrait pas se poser : comme une entreprise assure ses actifs immobiliers et ses outils de production, elle doit aussi assurer son poste clients ! Les dirigeants sont amenés à prendre des risques, non assurables ceux-là, sur le cœur de leurs métiers et pour développer leurs activités. En revanche, ils peuvent sans hésiter s’appuyer sur l’assurance pour le risque de défaut de paiement d’un de leurs clients. Cette démarche d’assurance-crédit est d’autant plus pertinente qu’elle implique en amont la réalisation d’un audit de son poste clients, qui se révèle précieux pour accompagner la stratégie de croissance de l’entreprise. En tant que banquier partenaire de l’entreprise, j’y suis favorable, surtout dans la période porteuse de risques que nous connaissons.

«Alors que les chocs sur la supply chain sont particulièrement violents depuis 2020, le rapport de force entre les fournisseurs et les clients, qui penchait sensiblement en faveur de ces derniers, s’est sérieusement rééquilibré.»

Arthur Wastyn Partner, head of working capital and cash flow services ,  PwC

Continuer à innover… y compris sur le volet financier

Entre la hausse des prix fournisseurs et la capacité désormais limitée de la répercuter sur les prix clients, les marges des entreprises sont tirées vers le bas, tandis que l’accroissement des stocks motivé par les difficultés d’approvisionnement est de nature à peser sur leur trésorerie. Les perspectives s’annoncent-elles préoccupantes ? 

Brahim Guettiche : Il est vrai que nous commençons à voir un nombre croissant de sociétés, parmi lesquelles des PME de taille significative, solliciter l’aide de leurs banquiers et/ou des tribunaux de commerce en raison de problèmes de liquidités. Pour autant, il est important de rappeler que les comptes 2020 et, surtout 2021, ont fait ressortir des situations financières et bilancielles globalement satisfaisantes. Une prouesse à mettre certes au crédit des pouvoirs publics, dont l’action s’est révélée efficace, mais aussi, et surtout, à celui des dirigeants d’entreprise, qui ont su faire preuve d’une capacité de résilience et de rebond remarquable. Les exemples de Poclain Hydraulics Industrie et de Rossignol en sont la parfaite illustration. Face à la crise actuelle, beaucoup de dirigeants ont déjà mis en place, ou tentent de mettre en place, de nouveaux dispositifs devant permettre à leur entreprise d’être plus réactive et de pouvoir mieux anticiper les événements. Cette situation incite à une certaine forme d’optimisme.              

Arthur Wastyn : Même si de nombreuses entreprises ont, il est vrai, gagné en agilité et replacé des sujets majeurs (comme la gestion du cash) au sommet de leurs priorités depuis le début de la pandémie, ces adaptations ne sauraient suffire à leur faire traverser la période actuelle sans encombre – sans compter les tensions sur la demande liées au contexte inflationniste. Pour ne parler que des gestionnaires et gérants de fonds, tous voient depuis peu les « cash warnings » se multiplier au sein de leurs portefeuilles de participations. Une situation qui, pour ne rien arranger, intervient dans un contexte où l’accès au crédit bancaire commence à se resserrer.

En tant que banquier, êtes-vous inquiet ?

Philippe Pettini : La Banque Palatine est positionnée sur la clientèle des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui, à ce jour, continuent d’afficher une bonne santé. Si l’on regarde la situation de l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille, on peut se réjouir de constater qu’elles détiennent des liquidités conséquentes : avec un excédent de 900 milliards d’euros, leurs trésoreries sont confortables. Mais ce matelas s’est en grande partie constitué au prix d’un surcroît d’endettement, favorisé par les PGE. Selon la Banque de France, la dette brute cumulée des sociétés non financières atteignait fin avril 1 960,9 milliards d’euros, un record. Comme cet endettement est susceptible de peser sur les capacités d’investissement à court ou moyen terme, ce paramètre est à surveiller de près.

Brahim Guettiche : Si une large majorité d’entreprises sont ressorties plus agiles de la crise Covid-19, un nombre encore trop élevé d’entre elles se trouvent dans l’obligation de se tourner vers leurs banquiers et la Médiation du crédit (Banque de France) pour discuter d’un rééchelonnement de leur PGE. Ce scénario assez prévisible peut être assimilé à un défaut de paiement, conduisant inéluctablement à une dégradation de leur cotation Banque de France. Soucieux d’éviter cette décote, beaucoup de dirigeants préfèrent honorer les échéances prévues, se privant ce faisant d’une bouffée d’oxygène importante dans cette période tourmentée et pleine de défis.

Ces situations augurent-elles un rebond des défaillances et des restructurations financières dans les mois qui viennent ? 

Philippe Pettini : Difficile à dire à ce stade. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que tout concourt aujourd’hui à poser à plus ou moins court terme un problème de besoin en fonds de roulement (BFR). Dans ce cadre, les entreprises doivent impérativement réfléchir, aux côtés de leurs partenaires financiers, à la manière dont elles comptent gérer l’évolution de leur BFR à un horizon de trois ans. Plutôt que de faire du « shopping » parmi toutes les solutions qu’offre le marché, il convient de mener une réflexion plus globale sur la structure financière, laquelle pourrait déboucher sur des réorganisations de dettes existantes ou sur la mise en œuvre de solutions structurées. Compte tenu du niveau d’endettement actuel, beaucoup de sociétés devront également s’atteler à renforcer leurs fonds propres. Sur ce point, la meilleure perception qu’ont les ETI des fonds d’investissement ouvre plus de perspectives pour des stratégies de fonds propres.

Face aux problématiques actuelles, comment les entreprises peuvent-elles optimiser leur BFR ?

Arthur Wastyn : L’un des leviers porte sur le financement. Grâce à la réponse des pouvoirs publics face à la crise sanitaire, les entreprises se sont retrouvées avec une abondance de liquidités, qui les a amenées à réduire assez significativement leur recours aux solutions de financement court terme traditionnelles (tirage de leurs lignes de factoring, lignes de découvert…). Dans un environnement de taux devenu nettement moins favorable, elles vont devoir retrouver leurs anciens réflexes. Ainsi, d’autres modes de financement peuvent se révéler pertinents dans la période actuelle, comme le financement sur stocks. Initialement utilisé en priorité par des entreprises en difficulté, ce dernier s’est beaucoup professionnalisé au niveau juridique et devient financièrement plus attractif, ce qui lui permet de cibler désormais une base plus large de sociétés. Un autre moyen d’optimiser le BFR consiste à agir au niveau opérationnel, à travers notamment un travail sur les process et une réflexion stratégique visant à réduire, par exemple la profondeur des gammes de produits. Enfin, du côté du poste fournisseurs, l’affacturage inversé, ou reverse factoring, m’apparaît aussi comme un moyen habile pour sécuriser sa supply chain.

Frédéric Regert : Inéligibles pendant longtemps à cette solution, nous sommes en train de l’initier. Si ce procédé pose quelques problèmes d’embarquement (« on-boarding ») de nos fournisseurs au sein du programme de reverse factoring, il participe en effet à rendre la relation encore plus étroite avec nos partenaires stratégiques, notamment ceux qui peuvent apparaître aux yeux des institutions financières comme fragiles. 

Philippe Pettini : Cette solution de financement inversée, qui permet de régler ses fournisseurs « comptant », était longtemps restée l’apanage des grandes entreprises. Elle est aujourd’hui entrée dans la sphère des ETI sans doute en lien avec l’importance prise par la gestion de la supply chain.

Au final, la solution la plus efficace pour améliorer sa liquidité ne consiste-t-elle pas à couper dans les dépenses, notamment celles de R&D ?

Frédéric Regert : Je ne le crois pas. En tout cas, lorsque nous avons resserré les boulons sur les dépenses en 2020, puis 2021, nous avons pris la décision forte de continuer d’investir. Car si le groupe est leader mondial, il le doit largement à la qualité de ses produits, et donc à sa politique d’innovation. C’est d’ailleurs en pleine première vague de la Covid-19 que nous avons commencé le cycle de conception de notre premier ski recyclable, un vrai pari entrepreneurial !

«Compte tenu du niveau d’endettement actuel, beaucoup de sociétés devront s’atteler à renforcer leurs fonds propres. »

Philippe Pettini Directeur du marché des entreprises/membre du COMEX ,  Banque Palatine

Optimiser et pérenniser le pilotage de ses risques opérationnels

Dans cet environnement particulièrement incertain, comment les entreprises peuvent-elles gérer plus efficacement leurs risques ?

Brahim Guettiche : Les crises successives ont démontré que le pilotage du risque client comme du risque fournisseur nécessitait d’être plus agile, plus réactif et en capacité à prévenir les risques, sans pour autant freiner la croissance ou se priver d’opportunités. Les entreprises ne peuvent plus, et ne doivent surtout plus, se contenter de regarder dans le rétroviseur à travers l’analyse de bilans passés. L’échange régulier avec les partenaires commerciaux de l’entreprise, l’analyse prospective mais aussi la captation d’informations sur la santé des entreprises qui n’apparaissent pas dans les comptes, sont aujourd’hui indispensables. Chez Atradius, nous avons investi en France et partout dans le monde dans des solutions de « Machine Reading » et « Machine Learning », qui nous permettent de lire des dizaines de millions de « news » et de rapports de gestion ou de commissaires aux comptes et d’émettre des alertes lorsqu’un risque est détecté. Ces solutions apprenantes aux services de nos équipes et in fine de nos clients, permettent une évaluation agile et pointue des risques et de saisir des opportunités en toute confiance.

Arthur Wastyn : Si les solutions à base d’intelligence artificielle suscitent d’immenses promesses, notamment pour calibrer les stocks ou améliorer le recouvrement, les outils de business intelligence (BI) – « informatique décisionnelle » en français – sont la grande avancée du moment. En rendant directement exploitables des données qu’elle vient d’extraire sous forme d’indicateurs de performance et d’alertes, cette technologie éprouvée permet de piloter en temps quasi réel le BFR et, à ce titre, change complètement la réponse que l’entreprise peut apporter. Mise à portée du métier, la BI constitue un précieux allié dans la période actuelle.

Frédéric Regert : Convaincu de la valeur ajoutée de cette technologie, nous finalisons le déploiement d’une solution de BI, qui devrait simplifier le suivi de nombreux indicateurs financiers et extra-financiers clés. Avec cet outil, nous devrions être encore mieux armés pour piloter les étapes de notre feuille de route et notamment la stratégie omnicanal.

Malgré le regain d’incertitudes, le marché des fusions-acquisitions reste actif et les multiples d’acquisition demeurent dans l’ensemble élevés. Comment les acheteurs peuvent-ils limiter les risques afférents à de telles transactions ?

Matthieu Carlier : Il y a un vrai besoin de due diligence plus poussée qu’auparavant. Historiquement, les acquéreurs se contentaient d’examiner la situation financière de la cible. Avec la situation post-Covid 19 et post-déclenchement guerre en Ukraine, il n’est plus pensable de ne pas mener, en parallèle, une due diligence stratégique avec des analyses de marché approfondies, y compris lorsque le rachat concerne une PME. De fait, entre l’évolution des habitudes de consommation, qui est susceptible de peser à terme sur le chiffre d’affaires, et l’inflation des prix des matières premières et des intrants, qui nécessite d’étudier quelles actions ont déjà été menées et d’évaluer si l’entreprise dispose encore d’une élasticité-prix, les interrogations sont nombreuses. Et je ne parle même pas des audits RSE et des audits sociaux, incontournables dès lors que la cible possède des usines dans diverses géographies… Afin de se prémunir contre toute mauvaise surprise, il est impératif de parfaitement documenter l’essentiel de ces aspects.

«Confrontées à la nécessité de faire évoluer leur business model (transformation digitale, transition écologique, etc.), beaucoup d’entreprises privilégient, pour ce faire, le rachat de start-up.»

Matthieu Carlier Partner M&A ,  EY Corporate Finance

Des organisations tournées vers les défis de demain

Sur un plan organisationnel, vous préparez-vous à de nouveaux bouleversements ?

Frédéric Michelland : Des bouleversements, non. Des adaptations, probablement. Afin de gagner en réactivité au début de la crise sanitaire, nous avions procédé à une déconcentration des responsabilités avec, d’un côté, un comité de direction centré sur l’accélération du développement du groupe supporté par l’innovation et les projets et, de l’autre, un comité en charge du pilotage de l’activité opérationnelle faisant travailler de manière complètement intégrée manufacturing, supply chain et sourcing. Ayant porté ses fruits, cette réorganisation originale a été pérennisée. Ce qui semble certain, c’est que la croissance de demain sera davantage consommatrice de cash au regard des défis auxquels nous sommes confrontés : transition écologique, déclin démographique, accélération de la digitalisation des process, etc. En tant que dirigeant, nous devons l’intégrer et préparer nos entreprises à y faire face.

Au-delà de la transition écologique, la RSE tend également à s’imposer comme une problématique centrale pour les années à venir.

Frédéric Regert : En effet. Outre les enjeux autour de la qualité de vie au travail, de plus en plus prépondérants, le réchauffement climatique concerne tout un chacun, et le groupe Rossignol en particulier. Opérant sur le marché des sports d’hiver, nous savons que la moitié des stations de ski de moyenne montagne pourraient disparaître à horizon 2050. Face à cette perspective, nous devons non seulement nous préparer à un fort tassement de notre activité historique, ce qui implique de faire évoluer nos business models actuels, mais aussi de nous transformer en profondeur, afin de protéger notre terrain de jeu en participant à la décarbonation de l’économie. Pour y parvenir, nous avons lancé il y a trois ans, un projet important en interne, avec l’ambition de diminuer nos déchets de 40 % d’ici 2025 et d’être neutre en carbone d’ici 2050. Alors que l’industrie textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde, nous sommes confrontés à un défi de taille (recyclabilité, recours aux matières nobles…). Nous sommes aussi un acteur engagé dans la CEC (Convention des entreprises pour le climat) et réfléchissons à la comptabilité intégrée pour suivre les enjeux sociaux et environnementaux. Sur un plan financier, je suis convaincu que la RSE va de plus en plus impacter la valorisation des entreprises. Du moins, les fonds d’investissement y sont dorénavant beaucoup plus sensibles.

Matthieu Carlier : Je le confirme. Preuve en est, il est de plus en plus courant, durant les process d’acquisition, de voir les candidats au rachat réclamer un audit RSE de la cible. 

Frédéric Michelland : En plus de la RSE, j’observe que le facteur (géo)politique ne cesse aussi de gagner en importance. Prenons l’exemple de la Chine, où Poclain Hydraulics est présent. Dans le contexte actuel de « dé-globalisation », qui exacerbe les velléités de souveraineté économique, doit-on continuer d’y investir massivement et se résoudre à impatrier complètement notre production, y compris celle de composants clés pour pouvoir faire face à d’éventuelles nouvelles barrières tarifaires ? Plus largement, les problématiques de conformité (compliance) revêtent une dimension toujours plus prégnante. Aujourd’hui, la liste des Etats et des entreprises avec lesquels les entreprises européennes ne peuvent plus commercer librement est limitée, mais elle pourrait fortement croître dans les années à venir. De plus, nous assistons à une multiplication des règles d’extra-territorialité, que les Américains appliquent déjà avec de plus en plus d’efficacité et bientôt les Chinois. Ces perspectives impacteront sans aucun doute notre façon de développer notre business.

«Afin d’entraîner nos équipes et guider nos actions, nous avons défini notre raison d’être. »

Frédéric Regert Directeur général adjoint finances ,  IT & Transformation, Groupe Rossignol

Les crises successives, véritables accélérateurs d’agilité et de transformation de l’entreprise

La récurrence et la violence des crises que nous traversons ne risquent-elles pas d’inciter les entreprises à réduire la voilure en termes de développement ? 

Frédéric Michelland : Si nous voulons rester leaders sur nos marchés, nous avons continuellement besoin de développer de nouveaux savoir-faire pour non seulement projeter l’entreprise dans le futur, notamment dans le domaine de l’électrique, mais aussi accompagner nos clients face aux évolutions auxquelles eux-mêmes seront confrontés dans 5 ou 10 ans. C’est le sens des acquisitions de compétences de deux sociétés hautement technologiques que nous avons réalisées coup sur coup ces derniers mois.

Matthieu Carlier : Cette volonté d’adaptation et de transformation se ressent d’ailleurs pleinement sur le marché des fusions-acquisitions. Certes, nous observons beaucoup d’opérations défensives, avec des vendeurs soucieux de se recentrer sur leur core business. Mais, dans le même temps, nous accompagnons aussi de nombreuses entreprises qui, en très bonne santé financière et peu affectées par l’inflation, souhaitent accélérer sur le front de la croissance externe. Confrontées à la nécessité de faire évoluer leur business model (transformation digitale, transition écologique, etc.), certaines privilégient, pour ce faire, le rachat de start-up.

Brahim Guettiche : Combien d’entreprises ont acté des changements stratégiques et opérationnels fondamentaux en période de crise ? Changements qui se sont révélés être des tournants profitables pour la suite de leur développement. Qu’il s’agisse de redéployer sa présence sur les marchés internationaux, ou d’acquisition d’entreprises, l’accompagnement du dirigeant et des équipes apparaît comme un facteur de succès. En tant que partenaire clé de l’entreprise, Atradius s’inscrit aux côtés de ses clients lors de tels changements.

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