Les projets de prise de contrôle d’un fleuron de l’économie française par un acquéreur étranger font l’objet, depuis plusieurs d’années, d’une levée conjointe de boucliers par la classe politique, les médias et les syndicats, qui ont pour habitude de brandir la menace du dépeçage de la pépite en question, de multiples plans sociaux à venir, et de la possible cessation de l’approvisionnement de ses produits ou services au sein de l’Hexagone.
Certaines de ces menaces sont plau-sibles et ont incité la France à se do-ter d’une réglementation portant sur le contrôle des investissements étrangers, dont le champ d’application n’a cessé de s’étendre, tant du point de vue de la structure des investissements concernés¹, que des secteurs d’activités protégés². Le régime des sanctions liées au non-respect de cette réglementation s’est également renforcé puisqu’un investissement réalisé sans autorisation préalable peut conduire l’acquéreur concerné à devoir s’acquitter d’une amende susceptible de représenter jusqu’au double du montant de l’investissement réalisé ou jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise cible. De même, le manquement aux conditions assortissant une autorisation d’investissement pourrait théoriquement conduire au retrait de cette autorisation et à des injonctions assorties d’une astreinte. En effet, les investisseurs étrangers sont souvent incités, afin de favoriser l’obtention d’une autorisation d’investissement au titre de la réglementation précitée, à prendre des engagements, parfois sans limitation de durée, portant par exemple sur le maintien de l’emploi ou des centres de production ou R&D en France, la mise à disposition d’une technologie auprès d’acteurs français ou la sécurisation de relations contractuelles avec certaines grandes entreprises nationales.
Dans le cadre de l’investissement de CD&R au sein d’Opella, la filiale de Sanofi produisant des médicaments sans ordonnance tels que le Doliprane, la BPI a été invitée à investir au sein du véhicule de reprise à hauteur d’environ 2 % et Sanofi à demeurer un actionnaire significatif. Il est probable que ces actionnaires bénéficieront de certaines prérogatives ou de certains droits de veto sécurisant le respect d’engagements similaires à ceux décrits ci-avant. Dans ce cas précis, le suivi des engagements de l’investisseur dans la durée semble plausible. Mais qu’en est-il des autres situations ? Comment les services de l’Etat sont-ils en mesure de s’assurer du respect, au fil des ans, des multiples engagements consentis, dont certains pourront, après seulement quelques mois, ne plus être adaptés à l’évolution de l’entreprise en question ou à son business model ? Comment faire appliquer des engagements aussi généraux que « la modernisation et le développement sur le territoire français de capacités industrielles adaptées aux activités [de la société cible concernée] », sans pérenniser la pratique de l’émission d’une golden share au profit de l’Etat Français et sans accepter de sacrifier toute forme de libéralisme économique sur l’autel du patriotisme économique ?
Notons qu’il n’existe aucune statistique partagée par la direction générale du Trésor portant sur le nombre de sanctions et/ou le montant des amendes potentiellement infligées. Cette absence de transparence n’est malheureusement sans doute pas étrangère aux difficultés précitées portant sur le suivi des engagements. Un casse-tête inextricable qui devrait interpeller les leveurs de boucliers et autres lanceurs d’alerte de la première heure. Et les inciter à raison garder – voire à reprendre un Doliprane ?
1. Les investissements concernés incluent non seulement les prises de contrôle d’entités de droit français, mais également les acquisitions de succursales en France d’entités de droit étranger ou les acquisitions de tout ou partie d’une branche d’activité, ainsi que les franchissements du seuil de 10 % des droits de vote d’une société cotée par des investisseurs
extra-européens.
2. Sont désormais concernés les opérations spatiales, la presse écrite et les services de presse, la sécurité alimentaire, le stockage d’énergie, la transformation ou l’extraction
de matières premières critiques ou encore les activités de R&D portant sur l’IA, la cybersécurité, la robotique ou les technologies quantiques destinées à des activités sensibles.