La Cour de cassation a récemment jugé que n’est pas soumise à prescription la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial né à l’issue d’un bail dérogatoire. L’anticipation demeure de mise pour régler les conséquences du nouveau bail.
L’article L.145-5 du Code de commerce permet de conclure un bail « de courte durée » ou « dérogatoire » au statut des baux commerciaux pour une durée au plus égale à trois ans.
La mise en œuvre de l’alinéa 2 qui prévoit que « si, à l’expiration du bail de courte durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre », c’est-à-dire par le statut des baux commerciaux, a suscité de nombreuses interrogations.
Quand la prescription biennale ne s’applique pas
En 20141, la Cour de cassation a jugé que la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial, né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, « qui résulte du seul effet de l’article L.145-5 du Code de commerce, n’est pas soumise à la prescription biennale2 ».
Dès lors, il a pu être considéré que s’appliquait le délai de prescription de droit commun de cinq ans.
Ainsi, la cour d’appel de Pau a, dans un arrêt du 29 juillet 2021, déclaré prescrite l’action d’un preneur initiée plus de cinq ans après la conclusion du bail dérogatoire.
Dans un arrêt important du 25 mai 20233, la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la cour d’appel de Pau sur ce point : « en statuant ainsi, alors que la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L.145-5 du Code de commerce, n’est pas soumise à prescription, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
L’existence d’un bail commercial né du maintien en possession du preneur à l’issue du bail dérogatoire peut donc être invoquée sans limitation de durée dès lors qu’il s’agit de constater l’existence d’un tel bail formé de plein droit.
Le nouveau bail est soumis aux mêmes clauses et conditions que le bail dérogatoire4, sauf celles contraires au statut des baux commerciaux. Ainsi, la durée du nouveau bail sera de neuf ans.
L’absence de limitation dans le temps d’une demande visant à faire constater l’existence d’un bail commercial à l’issue du bail dérogatoire a une incidence sur la fixation du loyer du nouveau bail.
Impact sur la fixation du loyer du nouveau bail
Le loyer du bail commercial est librement fixé par les parties. À défaut, le juge des loyers commerciaux peut être saisi pour fixer le loyer du nouveau bail à la valeur locative, dans le délai de prescription biennale qui, en l’état du droit positif, court à compter de la date à laquelle l’une des parties a revendiqué l’application du statut des baux commerciaux5.
Bailleur et preneur risquent de se retrouver à fixer le loyer du bail commercial plusieurs années après sa naissance avec, en cas de désaccord, des conséquences pouvant s’avérer importantes.
Si le loyer est fixé à la hausse, le preneur devra régler une indemnité au titre du différentiel de loyer dû à compter de la naissance du bail commercial.
En cas de fixation à la baisse, le bailleur devra restituer un trop-perçu de loyer au titre du nouveau bail.
Les parties devront être vigilantes à l’approche de la fin du bail dérogatoire, sur les conséquences de la naissance d’un bail commercial, soit en empêchant la naissance du nouveau bail, soit en envisageant une renégociation éventuelle de ses clauses et la fixation du nouveau loyer.
1. Cass. 3e civ., 1er oct. 2014, n°13-16806
2. Art. L.145-60 c. com.
3. Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n°21-23007
4. CA Paris, 16e ch. A, 16 janv. 1990, n°88/021465
5. Cass. 3e civ., 7 juill. 2016, n°15-19485