Il est relativement fréquent de rencontrer, dans le cadre des structures de détention immobilière mises en place par des investisseurs étrangers, des entités qui présentent des caractéristiques juridiques différentes des entités françaises. On pense notamment aux Limited Partnerships anglaises, aux LLC américaines, aux Società Semplice italiennes ou encore aux Sociétés en Commandite Spéciales (SCSp) et autres Fonds d’Investissement Alternatif Réservés (1) luxembourgeois.
Quelle fiscalité française appliquer à ces entités étrangères ?
Le principe est désormais bien établi : selon l’arrêt Artémis du Conseil d’Etat du 24 novembre 2014, il faut analyser à quel type de société française est assimilable la société étrangère compte tenu de l’ensemble de ses caractéristiques et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, afin de déterminer, ensuite, le régime applicable au regard de la loi fiscale française.
La pratique est toutefois bien plus délicate. Ainsi, les entités visées ci-dessus posent toutes des difficultés d’assimilation aux entités françaises, par exemple lorsqu’elles sont dépourvues de personnalité morale mais offrent une responsabilité limitée à leurs associés.
Deux décisions récentes permettent d’illustrer les difficultés d’assimilation de certaines sociétés étrangères à des sociétés françaises, tant pour le juge que pour les contribuables.
Dans un arrêt Société Phoenix Union Co du 22 juillet 2022, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la situation d’une société anonyme suisse qui avait mis des biens immobiliers français à disposition gratuite de son associé, et ce conformément à son objet social.
Le Conseil d’Etat confirme que, compte tenu de ses caractéristiques juridiques, la société suisse doit être assimilée à une société anonyme de droit français, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur le caractère civil ou commercial de son objet, ni sur le fait que la Suisse ne connaisse pas les sociétés civiles.
L’apport principal de l’arrêt Artémis
Etant assimilable à une société de capitaux française, la société suisse relève donc de l’impôt sur les sociétés à raison de sa forme (2). Par conséquent, et c’est l’apport principal de l’arrêt, la mise à disposition gratuite constitue un acte anormal de gestion, quand bien même elle serait conforme à l’objet social de la société. Le Conseil d’Etat précise en effet que « la circonstance qu’une renonciation à recettes par une société de capitaux au bénéfice de ses associés serait conforme à l’objet social de l’entreprise n’est pas à elle seule de nature à faire regarder cette renonciation comme étant dans l’intérêt propre de l’entreprise ».
Une autre décision, rendue le 9 juin 2022 par le tribunal administratif de Paris, montre également combien l’exercice d’assimilation est complexe.
Il s’agissait en l’espèce de déterminer si les dividendes reçus par une société française et versés par un Limited Partnership de droit écossais étaient éligibles au régime mère-fille français. En effet, les Limited Partnerships, notamment lorsqu’ils disposent de la personnalité morale, sont généralement assimilés à des sociétés en commandite simple du point de vue français, ce qui permet en principe aux associés commanditaires (« Limited Partners ») de bénéficier de ce régime.
Toutefois, le Tribunal juge que « il est constant que le “partnership” […] exerce une activité de fonds d’investissement. Il s’ensuit que s’il doit être assimilé […] à une société en commandite simple, il doit plus précisément être regardé, au sein de cette catégorie, comme une société de libre partenariat ». Or, les dividendes versés par les SLP françaises n’ouvrent pas droit à l’exonération du régime mère-fille.
Le raisonnement peine à convaincre totalement et méritera d’être revisité en appel, mais il montre que l’arrêt Artémis n’a pas fini de susciter des controverses.
1. Plus connus sous leur acronyme anglais : RAIF pour Reserved Alternative Investment Fund.
2. Cf. arrêt Société World Investment Corporation, Conseil d’Etat, 2 avril 2021