L’un des enjeux du développement de l’industrie en France réside dans le temps nécessaire au développement des sites industriels. Ce temps long est lié notamment aux contraintes administratives – nombreuses – tenant entre autres au droit de l’urbanisme et au droit de l’environnement. En effet, différentes autorisations administratives sont nécessaires au développement des sites industriels (permis de construire, autorisation « ICPE » (1), autorisation de défrichement, dérogation « espèces protégées », etc.). Elles doivent s’articuler les unes avec les autres, ne relèvent pas des mêmes autorités compétentes, et, surtout, leur délivrance est conditionnée par un délai d’instruction long.
Ce délai pour obtenir une autorisation administrative dépasse effectivement aujourd’hui de beaucoup celui d’autres pays européens, le délai moyen d’obtention des autorisations étant estimé à 17 mois en France, contre 4 mois en Allemagne. Or, la relance de l’industrie française suppose que les sites industriels, même d’envergure, puissent se développer rapidement. Il devient donc aujourd’hui indispensable de faciliter et d’accélérer les procédures permettant à de tels projets de voir le jour, à l’instar, par exemple, de la première gigafactory implantée dans le département du Pas-de-Calais au mois de mai 2023, qui produira en France des cellules de batteries pour l’automobile en grande série.
De nombreuses mesures ont récemment été prises en ce sens par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte dont le premier titre est entièrement consacré aux mesures destinées à faciliter et à accélérer les implantations industrielles, et à réhabiliter les friches.
Quelles en sont les mesures phares ?
La création des « projets industriels d’intérêt national majeur »
Les projets industriels d’intérêt national majeur, dits « PIINM », sont définis par le nouvel article L.300-6-2 du Code de l’urbanisme, selon lequel peut être qualifié de « PIINM » un « projet industriel qui revêt, eu égard à son objet et à son envergure, notamment en termes d’investissement et d’emploi, une importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale »(2). Dans son avis sur le projet de loi relatif à l’industrie verte, le Conseil d’Etat précisait que ces projets sont ceux qui, « par la nature de leurs productions [...] réduisent la dépendance de la France dans des secteurs stratégiques ou contribuent à la transition écologique et [...] revêtent un intérêt national eu égard à leur importance en termes d’investissement et de création d’emplois, des ordres de grandeurs en milliards d’euros et en milliers d’emplois étant évoqués, sans que des seuils puissent d’emblée être fixés » (3).
Cette qualification permettra à ces projets d’envergure de bénéficier de différents outils leur assurant des conditions d’implantation facilitées sur le territoire.
Une procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme simplifiée pour les PIINM
La loi « industrie verte » prévoit que, lorsque les documents locaux d’urbanisme et de planification régionale (SRADDET, SCOT, PLU, etc.) ne permettent pas la réalisation du PIINM et nécessitent d’être modifiés ou révisés, une procédure de mise en compatibilité, dans le cadre d’une déclaration de projet, pourra être mise en œuvre (4).
Pour rappel, cette procédure permet à une personne publique d’adapter rapidement un document d’urbanisme en vue de la réalisation d’une opération d’aménagement d’intérêt général.
Les grandes étapes de cette procédure sont les suivantes : (1) saisine du Maire (et du président de l’EPCI le cas échéant, ainsi que du président de région si son document doit être modifié) afin qu’il rende un avis (conforme) sur l’engagement de la procédure de mise en compatibilité ; (2) évaluation environnementale, le cas échéant ; (3) consultation du public par voie électronique ; (4) bilan de la participation du public présenté par l’Etat à la collectivité territoriale/personne publique compétente, dont l’organe délibérant rend ensuite un avis sur le projet de mise en compatibilité; (5) adoption du projet de mise en compatibilité par décret.
Dès lors que le détail du projet industriel sera suffisamment connu au moment de l’engagement de la mise en compatibilité, les autorisations d’urbanisme requises pour la réalisation du projet pourront être sollicitées sans attendre la mise en compatibilité. Il sera donc désormais possible d’avancer sur le projet « en temps masqué » et de gagner du temps lors de la phase administrative du développement du projet.
Précisons enfin que l’Etat sera compétent, en lieu et place du maire, pour délivrer toutes les autorisations d’urbanisme nécessitées par des travaux, installations, constructions et aménagements propres à un PIINM.
Une procédure d’expropriation simplifiée pour les PIINM nécessitant une dérogation « espèces protégées »
L’article 21 de la loi « industrie verte » introduit une présomption de « raison impérative d’intérêt public majeur » (« RIIPM ») permettant d’obtenir une dérogation « espèces protégées » pour les déclarations d’utilité publique (« DUP ») industrielles, et d’éviter tout blocage dans le développement des projets.
Plusieurs dispositions du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique relatives à l’utilité publique des opérations ayant une incidence sur l’environnement ont ainsi été modifiées.
En premier lieu, si un projet industriel nécessite ou est susceptible de nécessiter une dérogation « espèces protégées » au sens de l’article L.411-2 du Code de l’environnement, l’acte administratif déclarant le projet d’utilité publique au sens du Code de l’expropriation pourra, dès ce stade, lui reconnaître le caractère d’opération ou de travaux répondant à une RIIPM (5) pour toute la durée de validité de la DUP (6).
En second lieu, l’acte déclarant d’utilité publique l’opération sera accompagné d’un document exposant les motifs et considérations justifiant cette utilité publique ainsi que la qualification de projet ou d’opération répondant à une RIIPM (7).
Avant la loi Industrie Verte, l’existence d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » attachée à un projet pouvait s’avérer difficile à démontrer, compte tenu de son caractère extrêmement casuistique et jurisprudentiel. Il était donc possible qu’un projet déclaré d’utilité publique soit finalement mis à l’arrêt après plusieurs années, au stade de l’engagement des travaux.
Une procédure d’autorisation environnementale et de consultation du public simplifiée afin d’accélérer l’implantation des projets
L’article 4 de la loi « industrie verte » intègre un nouvel article L.181-10-1 au Code de l’environnement, aux termes duquel l’instruction des dossiers de demande d’autorisation environnementale et la consultation du public seront désormais menées simultanément (alors que ces deux phases étaient menées successivement avant la loi), l’objectif étant de diviser par deux les délais de délivrance des autorisations (de 17 mois, environ, à 9 mois).
La consultation du public débutera par ailleurs dès que le dossier de demande d’autorisation environnementale sera jugé complet et régulier par l’autorité administrative compétente et que le commissaire-enquêteur (ou la commission d’enquête) sera désigné(e). Enfin, les avis recueillis par l’Administration sur la demande d’autorisation seront mis à disposition du public sans délai, au fil de leur émission.
Ces différentes mesures vont indéniablement dans le bon sens. Mais seront-elles suffisantes pour répondre aux enjeux de la réindustrialisation tant espérée ?
1. Installations Classées pour la Protection de l’Environnement.
2. De tels projets seront qualifiés par décret, après avis des communes et établissements publics de coopération intercommunale d’implantation des projets.
3. CE avis, 11 mai 2023, n°407035.
4. Article L. 300-6 du Code de l’urbanisme.
5. Pour mémoire, l’existence d’une RIIPM constitue l’une des trois conditions prévues par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement pour que soit délivrée une dérogation « espèces protégées ».
6. Nouvel article L. 122-1-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
7. Article L. 122-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.