Les amendes pour pratiques anticoncurrentielles (ententes ou abus de position dominante) sont parmi les plus onéreuses puisque le risque d’amende s’élève à 10 % du chiffre d’affaires consolidé du groupe auquel appartient l’auteur de l’infraction.
Par Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel en droit de la concurrence. Elle intervient plus particulièrement en accompagnement de dossiers transactionnels et/ou internationaux ainsi que sur les impacts concurrentiels de l’activité des organismes publics. virginie.coursiere-pluntz@cms-fl.com
Mais, en réalité, le risque financier qui pèse sur l’auteur de l’infraction – et sur le groupe au titre de la responsabilité solidaire des sociétés mères – est encore beaucoup plus important. Il comprend aussi le risque de condamnation à des dommages-intérêts au profit des victimes de la pratique (concurrent lésé, client ou fournisseur). Enfin, l’impact sur les résultats futurs d’une atteinte à la réputation de l’auteur de l’infraction est un risque sérieux, auquel sont sensibles la plupart des grands groupes.
Parler du coût des infractions aux règles de concurrence, c’est dire à quel point il est recommandé d’inclure l’audit des pratiques commerciales de la cible dans tout processus d’audit d’acquisition, particulièrement lorsque sa position concurrentielle ou les pratiques du marché font craindre des infractions aux règles antitrust.
Ce processus d’audit pourra tout autant s’appuyer sur une revue documentaire ciblant des documents stratégiques (tels que les comptes-rendus de réunion de l’association professionnelle), que sur l’utilisation d’outils de e-discovery permettant de remonter des serveurs informatiques d’éventuelles correspondances sujettes à caution ou que sur des entretiens anonymes avec des membres sélectionnés de l’encadrement (3 à 5 en général pour couvrir les postes-clés).
L’intérêt d’identifier en amont de l’acquisition les pratiques à risque est double :
– pour le futur, cela permettra de mettre fin aux pratiques à risque. En effet, si les pratiques devaient se poursuivre, la responsabilité de l’infraction pourrait remonter à la société de gestion pour la période postérieure au transfert du contrôle sur la cible. Il s’agit d’une responsabilité solidaire et conjointe en tant que société mère au sens du droit de la concurrence (contrôle fondé sur la notion d’influence déterminante) ;
– cela permettra également de prendre une décision éclairée sur les pratiques du passé. Le risque d’amende suit la société auteur de l’infraction, y compris dans ses changements de dénomination, tant qu’elle existe. Si cette société a cessé d’exister, c’est la personne à laquelle ont été transmis ses droits et obligations qui sera redevable de l’amende. Dans tous les cas, l’acquéreur a tout intérêt à mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour se prémunir du risque qui continuera à peser sur la cible tant que la prescription ne sera pas acquise1, quand bien même ferait-il en sorte qu’il soit mis fin aux pratiques sous sa gouvernance.
Le moyen le plus classique et peut-être le plus naturel à un fonds d’investissement sera la stipulation de garanties au cas où le risque se révèlerait. La difficulté sera toutefois d’apprécier le montant de cette garantie alors que le risque d’amende est à lui seul susceptible de se monter à plusieurs centaines de millions d’euros et, le cas échéant, de trouver un assureur pour couvrir ce risque, ce qui peut en pratique s’avérer difficile. Une alternative, qui a indéniablement la préférence des autorités de concurrence, est de demander à bénéficier d’un programme de clémence. En contrepartie de l’apport d’éléments permettant de prouver la pratique anticoncurrentielle, le bénéficiaire de la clémence et ses sociétés parentes pourront prétendre à une immunité totale d’amende, pourvu notamment que leur coopération soit véritable, totale et permanente.
Il n’y a en réalité pas de solution unique convenant à toutes les situations. Chaque cas devra faire l’objet d’une analyse factuelle des pratiques de la cible et de la détention d’éléments de nature à appeler la clémence des autorités de concurrence.
Seul constat commun : l’ignorance dans laquelle le repreneur se trouvait s’agissant des pratiques du passé ne permet jamais d’échapper à la sanction, ni même d’en atténuer la sévérité.
1. Le délai de prescription des infractions aux règles antitrust est de cinq ans à compter de la fin des infractions (ou des effets qu’elles ont pu produire).