Concept d’origine anglo-saxonne, la compliance s’impose aux cibles françaises des opérations de fusion-acquisition et doit être intégrée dans toutes les étapes du processus de cession.
Par Alexandra Rohmert, avocat associé en corporate/fusions & acquisitions. Elle accompagne les entreprises, essentiellement étrangères, dans leurs projets internationaux et plus particulièrement dans le cadre de fusions-acquisitions cross-border. alexandra.rohmert@cms-fl.com et Virginie Corbet-Picard, avocat en corporate/fusions & acquisitions. Elle intervient pour le compte d’industriels, de fonds d’investissement et de managers dans le cadre d’opérations de fusion-acquisition et de private equity, ainsi que dans le cadre de réorganisations de groupes. virginie.corbet-picard@cms-fl.com
Issue d’une pratique développée outre-Atlantique, la compliance est souvent traduite par le terme de «conformité» en français. Il serait réducteur de la limiter au seul respect des normes légales et réglementaires et de ne l’envisager que sous l’angle de la loi Sapin II. En effet, dans la pratique, la compliance vise plus largement l’observance d’un ensemble de règles comprenant non seulement les normes juridiques impératives, mais également les principes, codes de conduite et bonnes pratiques auxquels l’entreprise est tenue de se soumettre.
Une enquête nationale réalisée par l’AFJE et ethicorp.org en 2017 auprès de plus de 7 500 juristes d’entreprises révèle que 63 % des entreprises ayant répondu avaient mis en place un système de compliance et que 69 % avaient mis en place une charte d’éthique. D’après cette enquête, les principales attentes des entreprises sur leur système de compliance étaient de prévenir les risques de manquements ou d’infractions, d’éviter les poursuites ou contentieux et de protéger ou renforcer leur image.
Dans un contexte de M&A, il est indispensable de bien appréhender ces questions, tant au stade des audits préparatoires, que dans la phase de négociation des accords contractuels si les parties conviennent de réaliser l’opération et, enfin, lors de l’intégration de la cible dans le groupe de l’acquéreur.
Phase préparatoire des opérations de M&A : les audits compliance
Au stade de l’étude d’un projet d’acquisition, la compliance peut entrer en ligne de compte pour confirmer ou non l’intérêt d’un acquéreur potentiel à procéder à la réalisation de l’opération. En effet, les risques attachés à des «non-conformités» peuvent être substantiels, qu’il s’agisse de sanctions financières ou d’atteintes à l’image ou à la réputation des parties prenantes.
En cas de projet de cession, les cédants ont donc tout intérêt à anticiper ces questions et à réaliser un audit rigoureux des risques de non-conformité afin de traiter les sujets éventuels en amont. Réciproquement, les audits acquéreurs comprennent le plus souvent un volet compliance afin de vérifier que les pratiques et standards appliqués au sein de la société cible sont conformes à ceux en vigueur dans le groupe du repreneur potentiel.
A cet égard, la réalisation d’un audit compliance suppose d’emblée de bien identifier les domaines sur lesquels cet audit doit porter. D’une opération à l’autre, en fonction du secteur d’activité concerné, de la nationalité des cocontractants et partenaires commerciaux, des régions du monde dans lesquels ils ont des intérêts, les risques peuvent varier. Il est donc important que les équipes opérationnelles des acquéreurs potentiels participent à cet exercice, en fonction des règles et standards auxquels ils obéissent eux-mêmes et qu’ils entendent voir respectés par leurs partenaires et filiales.
L’environnement réglementaire peut être assez large et couvrir des sujets tels que la prévention de la corruption, la lutte contre le blanchiment de capitaux, le droit de la concurrence, la sécurité des personnes, la protection des données personnelles, la protection de l’environnement, le respect des programmes de sanctions économiques internationales (embargos), jusqu’à la lutte contre l’évasion fiscale, etc.
La phase d’audit doit évidemment avoir pour objectif d’identifier d’éventuelles non-conformités mais également d’évaluer l’ensemble des mesures qui, le cas échéant, ont pu être mises en place par l’entreprise ou qui pourraient être mises en œuvre pour prévenir le risque de non-conformités. Il est souvent utile de mener en parallèle une revue opérationnelle par les équipes de l’acquéreur, d’une part, et une revue juridique et réglementaire par les conseils, d’autre part.
Selon les cas, l’audit compliance permettra à l’acquéreur de confirmer son intérêt pour l’opération et de préciser le cas échéant les conditions auxquelles il serait disposé à la réaliser ou, à l’inverse, de prendre la décision d’y renoncer si des cas de non-conformités ont été révélés et sont considérés comme susceptibles d’avoir des conséquences trop importantes en termes de responsabilité, de sanctions financières ou d’atteinte à l’image du repreneur ou de la cible.
Prise en compte de la compliance dans la négociation des accords contractuels
L’acquéreur devra garder à l’esprit que sa responsabilité, ou celle de la cible, peut être engagée après réalisation de l’opération, même au titre de non-conformités héritées de pratiques antérieures à celle-ci.
Pour cette raison, s’il décide de procéder à l’opération malgré les risques identifiés dans le cadre de l’audit compliance, il devra en tenir compte dans la négociation des accords organisant les conditions de réalisation de l’opération. Rappelons que la compliance peut devenir un véritable deal breaker, comme dans l’exemple souvent cité de Lockheed Martin ayant renoncé à acquérir Titan Corp. dès lors que cette dernière, sous le coup d’une enquête fédérale sur des faits de corruption présumée, n’avait pas été en mesure de remédier aux risques y attachés avant la date fixée par Lockheed Martin.
En pratique, s’il confirme son offre d’acquisition, l’acquéreur aura tout intérêt à négocier, avec l’aide de ses conseils, des conditions contractuelles lui permettant de réduire, voire si possible de neutraliser, les risques qu’ils auront détectés. Ces mécanismes contractuels pourront prendre des formes variables en fonction de la nature des non-conformités en cause, de la possibilité ou non d’y remédier, de la durée de la prescription applicable, de la nécessité de régler le sujet pour l’avenir seulement ou bien en couvrant également les risques du passé, etc.
Une non-conformité susceptible d’être couverte par la mise en œuvre de certaines actions ou l’expiration à court terme d’un délai de prescription pourra être traitée contractuellement par l’insertion d’une condition suspensive ou d’un engagement préalable au closing dans le contrat de cession. En revanche, compte tenu des sanctions financières et parfois pénales encourues au titre d’une situation de non-conformité, il est souvent difficile de traiter des problématiques compliance dans le prix.
La convention de garantie peut par ailleurs, dans certains cas, comprendre des garanties et indemnisations spécifiques, avec des conditions de mise en jeu particulières, notamment en termes de préjudice indemnisable, de délais et de plafond. En fonction du secteur d’activité et des juridictions concernées, si l’audit n’a pas révélé de risques particuliers, une assurance de garantie de passif pourra couvrir certains sujets de conformité. Sont toutefois généralement exclues par les assureurs les non-conformités en matière de droit de la concurrence, de corruption et de sanctions internationales.
Enfin, la compliance fait partie des chantiers d’intégration post-closing. L’acquéreur devra, après l’acquisition, continuer de faire converger les pratiques de la cible avec les impératifs de compliance qui s’imposent à elle en application de la loi et du fait de son intégration dans le groupe de l’acquéreur, ce qui suppose qu’elle adhère aux procédures internes en vigueur au sein de celui-ci.
La compliance s’impose ainsi aux parties et aux groupes dans toutes les phases des opérations de fusion-acquisition.