La lettre des fusions-acquisition et du private equity

La lettre des fusions-acquisitions et du private equity - Juin 2020

Covid-19 et opérations de M&A : évolutions attendues sur les pratiques contractuelles

Publié le 12 juin 2020 à 12h25

Benoît Gomel

Les impacts de la crise sanitaire se font sentir jusque sur les marchés du M&A. Sans pour autant rentrer dans la science divinatoire, il est probable que le marché antérieurement très sûr et très pro-vendeurs évolue vers plus de protection des acquéreurs contre les aléas, tant sur le prix que dans les conditions suspensives.

Par Benoît Gomel, avocat en corporate/fusions et acquisitions. Il intervient dans le cadre d’opérations de fusion-acquisition de sociétés, de capital-investissement, de restructuration et de private equity benoit.gomel@cms-fl.com

La crise sanitaire sans précédent que nous vivons actuellement fait sentir ses effets dévastateurs y compris dans les opérations de M&A. L’objet du présent papier est d’offrir une vision prospective des conséquences à long terme sur la pratique plutôt que de prétendre à un récapitulatif des impacts sur les opérations en cours, qui ne seront ainsi pas traités. 

Sans pour autant disposer d’une boule de cristal, on peut discerner trois grands types d’impacts à ce stade. 

Impact sur le prix

La première question, plus économique, sera celle du sort des valorisations et multiples élevés qui caractérisaient un marché plutôt pro-vendeurs avant la crise. Bien avisé celui qui peut avoir un avis définitif à ce sujet que seul l’avenir pourra trancher. 

Cela dit, s’agissant de la structuration du prix, il est possible que le contexte de marché beaucoup plus incertain tende à un retour en force des mécanismes d’ajustement sur le fondement de comptes de closing, plus adaptés que la locked box à un univers moins prévisible. Certains acquéreurs pourraient aussi être tentés de se prémunir de l’instabilité de l’environnement économique en ayant recours à des clauses d’earn out. La négociation de ce type de clause dans le contexte des prochains mois risque d’être âpre, notamment s’agissant des critères de déclenchement. 

Il faudra aussi probablement s’attendre à des discussions plus difficiles sur les garanties.

Impact sur les conditions 

Avant le choc du Covid-19, le marché était assez marqué par des processus très concurrentiels au cours desquels les acquéreurs étaient conduits à abandonner un certain nombre de protections pour l’emporter. Dans cet environnement, les conditions suspensives de financement et autres clauses d’événement significatif défavorable (Material Adverse Change clauses – «clauses MAC») avaient moins bonne presse. Il est probable que cette situation soit amenée à évoluer. 

Tout d’abord, l’état des marchés du crédit pourrait conduire les banques à être plus sévères dans les conditions d’octroi des financements, avec le retour potentiel de clauses destinées à les protéger contre un environnement économique incertain. De telles clauses au niveau des crédits devraient mécaniquement conduire à un retour des conditions suspensives de financement dans les Share Purchase Agreements, là où certains acteurs avaient pu choisir de les abandonner dans un marché où le financement était aisé.

Outre les sujets de financement, un certain nombre d’acquéreurs ou d’investisseurs pourraient souhaiter se prémunir contre le risque d’instabilité économique en insistant à nouveau pour introduire des clauses MAC dont les conditions pourraient être plus sévères.   

Un retour en grâce de l’imprévision ?

La réforme du droit des obligations avait introduit le mécanisme légal de l’imprévision auquel la pratique s’était empressée de renoncer sur le fondement du principe de la certitude et prévisibilité des engagements pour sécuriser les opérations de M&A. Destinée à traiter d’évolutions fortuites des conditions économiques, l’imprévision n’est-elle pas par nature l’instrument idoine pour traiter d’un marché qui risque d’être marqué par un plus fort caractère d’aléa ? Si l’idée parait séduisante, il n’en reste pas moins que si les parties ne parviennent pas à s’accorder sur une adaptation du contrat, c’est au juge qu’incombera le devoir de procéder aux adaptations. Or, il n’est pas évident que les parties s’accommodent de cet aléa casuistique, ni qu’elles acceptent aisément un tel bouleversement potentiel de leurs engagements. En tout état de cause, l’imprévision ne couvre pas les cessions d’actions.


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