Prise en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée par les ordonnances n° 2020-427, n° 2020-560 et n° 2020-666, entend apporter un confort juridique aux personnes confrontées à des difficultés ou à l’impossibilité d’effectuer certaines démarches au cours de la période dite «juridiquement protégée», en adaptant les délais d’accomplissement de ces actes. Deux types de conventions sont plus spécifiquement concernées.
Par François Gilbert, docteur en droit, avocat au sein du département doctrine juridique. Il intervient notamment en droit des sociétés et droit des marchés financiers. francois.gilbert@cms-fl.com / et David Mantienne, avocat counsel en corporate/fusions et acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupes de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers. david.mantienne@cms-fl.com
Astreintes et clauses contractuelles
L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 vise «les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé» si ce délai a expiré pendant la période juridiquement protégée. Rappelons que, sauf modification ultérieure, cette période juridiquement protégée est actuellement comprise entre le 12 mars 2020 (à 0h) et le 23 juin 2020 (à 24h) et aura donc expiré le 24 juin 2020 (à 0h).
Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 4, les astreintes et clauses précitées «sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet» comme elles l’auraient dû. L’alinéa 2 de l’article 4 dispose en effet que «si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d’une durée, calculée après la fin de [la période juridiquement protégée], égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée». Concernant spécifiquement celles desdites astreintes et clauses qui «ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation, autre que de sommes d’argent, dans un délai déterminé expirant après [la période juridiquement protégée]», l’alinéa 3 prévoit que «la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet (…) est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de [la période juridiquement protégée]».
Toutefois, le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-427 et une circulaire du ministère de la Justice du 17 avril 2020 viennent préciser que «les parties au contrat restent libres d’écarter l’application [des alinéas 2 et 3] par des clauses expresses, notamment si elles décident de prendre en compte différemment l’impact de la crise sanitaire sur les conditions d’exécution du contrat. Elles peuvent également décider de renoncer à se prévaloir des dispositions [des alinéas 2 et 3]».
Enfin, l’alinéa 4 de l’article 4 précise que «le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant [la période juridiquement protégée]». Sur ce dernier point, le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-306, ainsi qu’une circulaire du ministère de la Justice du 26 mars 2020, indiquent qu’«elles reprendront donc effet dès le lendemain de cette période».
Il convient néanmoins de souligner que, si l’article 4 prive temporairement d’effets ces clauses contractuelles, il demeure possible pour qui le souhaite d’actionner certains mécanismes de droit commun des contrats, comme l’exception d’inexécution.
Des exemples d’application pratique sont fournis par le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-427 et la circulaire du ministère de la Justice du 17 avril 2020.
Concernant tout d’abord les clauses et astreintes, visées à l’alinéa 2 de l’article 4, qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation échue pendant la période juridiquement protégée, la circulaire précitée expose le cas suivant : «Un contrat conclu le 15 mars 2020 devait être exécuté avant le 1er mai 2020, une clause pénale prévoyant une sanction de 100 euros par jour de retard. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue. Les effets de la clause seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 15 mars et le 1er mai, ce report courant à compter de la fin de la période juridiquement protégée. Ainsi, si la période juridiquement protégée prenait fin le 24 juin, la clause pénale commencerait à courir le 9 août (fin de la période juridiquement protégée + 1 mois [et] 16 jours)». Concernant ensuite les clauses et astreintes, visées à l’alinéa 3 de l’article 4, qui sanctionnent l’inexécution d’une obligation échue après la période juridiquement protégée, la circulaire indique : «Un contrat conclu le 1er avril 2020 devait être achevé avant le 1er juillet 2020, une clause pénale prévoyant le versement d’une indemnité forfaitaire en cas d’inexécution. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue. Les effets de la clause pénale seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 1er avril et la fin de la période juridiquement protégée, ce report courant à compter du 1er juillet 2020. Ainsi, si la période juridiquement protégée devait prendre fin le 24 juin, le report serait de 2 mois et 23 jours à compter du 1er juillet 2020 et la clause pénale prendrait donc effet le 24 septembre».
Concernant enfin les astreintes et clauses, visées à l’alinéa 4 de l’article 4 : le cours des astreintes et l’application des clauses pénales reprendraient effet dès le lendemain du 23 juin 2020 (à 24h), c’est-à-dire le 24 juin 2020 (à 0h).
Conventions résiliées ou renouvelées
L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 vise toute «convention [qui] ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou [qui] est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé» si cette période ou ce délai expirent durant la période juridiquement protégée.
Cet article appelle deux clarifications.
D’une part, l’article 5 est applicable aux dispositions permettant d’exercer un droit, celui de mettre fin à une relation contractuelle ; aucune précision, ni distinction, n’étant apportée quant à leur nature, ces dispositions devraient pouvoir résulter d’une loi, d’un décret ou d’une stipulation contractuelle.
D’autre part, l’article 5 doit être appliqué de façon cohérente avec l’article qui le précède ; il n’a ainsi pas vocation à saisir les clauses résolutoires – ni, plus largement, toutes les clauses sanctionnant une inexécution contractuelle – qui relèvent de l’article 4 de l’ordonnance.
Aux termes de l’article 5, les période et délai précités – qu’ils soient, d’ailleurs, légaux ou conventionnels – «sont prolongés (…) de deux mois après la fin de [la période juridiquement protégée]».
A retenir, la méthode de computation de l’article 641, alinéa 2 du Code de procédure civile, qui semble être celle adoptée par le Conseil d’Etat ainsi que le ministère de la Justice et qui paraît devoir faire sens, il faudra considérer que ces période et délai sont prolongés jusqu’au 24 août 2020 (à 24h). Néanmoins, à appliquer la méthode de computation que semble retenir le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-560, sans malheureusement expliquer pourquoi, il faudrait alors estimer que ces période et délai sont prolongés jusqu’au 23 août 2020 (à 24h).
En conclusion, l’ordonnance n° 2020-306, modifiée par les ordonnances n° 2020-427,
n° 2020-560 et n° 2020-666, aménage grandement les délais d’accomplissement des actes inclus dans la période juridiquement protégée. Il faut désormais souhaiter que ses dispositions n’évoluent plus afin de garantir, tant aux débiteurs qu’aux créanciers des obligations concernées, la stabilité et la sécurité juridique dont ils ont tant besoin.