«Les solutions classiques de rééchelonnement ne seront pas toujours suffisantes et […] il faudra parfois ouvrir la discussion à des solutions de haut de bilan consolidant les capitaux propres.»
Par Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring-Insolvency. Il intervient sur l’ensemble des problématiques liées à la prévention ou au traitement des difficultés des entreprises, tant en conseil qu’en contentieux. alexandre.bastos@cms-fl.com / et Grégory Benteux, avocat associé, responsable de l’activité Financements structurés et titrisation. gregory.benteux@cms-fl.com
Le 16 mars 2020, le Président de la République affirmait face aux français qu’«aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite». Ainsi s’exprimait une forte volonté d’agir pour parer, en plus de l’urgence sanitaire, à l’urgence économique engendrée par la pandémie mondiale de Covid-19 qui venait de passer les frontières françaises.
Les dispositifs de lutte1 ont été beaucoup décrits et commentés et, alors que les premiers assauts de la crise semblent maîtrisés et l’urgence contenue, nous nous proposons ici de livrer plutôt quelques réflexions sur le jour d’après, ce jour qui verra les entreprises confrontées à deux défis majeurs : financer un besoin en fonds de roulement dans un contexte de retour sans doute très progressif à une exploitation «normale» de leur activité et faire face à leurs dettes de toute nature2, que celles-ci préexistent à la crise, qu’elles aient été gelées le temps de la crise ou qu’elles aient été constituées pendant la crise pour surmonter la période de confinement.
Dans ce cadre, il est probable que le traitement amiable des difficultés soit le premier moyen au service des entreprises. Cependant, aucune solution ne sera possible sans prendre en compte l’équilibre bouleversé entre la capacité de l’exploitation à générer des excédents, les dettes à rembourser et la structure de capital ou de quasi-capital dont disposent les entreprises.
Pour paraphraser Paul Volfoni, dans le traitement des difficultés des entreprises «les diplomates prendraient plutôt le pas sur les hommes d’action. L’époque serait aux tables rondes et à la détente». Depuis 2005, l’essor des procédures de mandat ad hoc et de conciliation est considérable. La crise du Covid-19 aura sans doute contribué à parachever ce mouvement. En effet, la fin du gel de l’obligation pour les dirigeants d’une entreprise en état de cessation des paiements de solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire au plus fort de la crise a été fixée afin d’accompagner la sortie de crise au 23 août 2020 inclus par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020. Par ailleurs, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 a créé une période juridiquement protégée qui prévoit que les manquements à des obligations contractuelles (ex. : défaut de paiement d’une facture ou d’une échéance de crédit) ne peuvent conduire à l’application de clauses de pénalités, d’astreintes ou de déchéance.
Il est frappant que l’ensemble de ces dispositions aient un champ d’application dans le temps qui dépasse de beaucoup les effets immédiats de l’épidémie et du confinement : tels des remparts, elles permettent aux entreprises de ne pas être emportées par les premières vagues de la crise, tout en délimitant un sein propice à une discussion plus sereine et plus fructueuse.
Mais les faits, comme les perspectives financières, sont têtus. Une entreprise est, d’un point de vue financier, un équilibre entre ses besoins de fonds de roulement, la capacité de son activité à générer des excédents, ses créanciers à moyen ou long terme et ses capitaux. Pour survivre à la crise, les entreprises ont souvent dû emprunter massivement, créant un déséquilibre parfois irrémédiable entre leurs dettes et leur capacité à générer une activité suffisante à les rembourser. Les solutions classiques de rééchelonnement ne seront pas toujours suffisantes et, pour éviter les impasses, il faudra parfois ouvrir la discussion à des solutions de haut de bilan consolidant les capitaux propres. Etendant la question à celle des actionnaires, s’ouvrira également le chapitre douloureux de la rentabilité du capital et de la possibilité de trouver des candidats prêts à investir (ou réinvestir) dans des entreprises dont l’activité ne sera pas nécessairement meilleure qu’avant la crise.
Dès lors, il faudra trouver des instruments innovants renforçant de manière temporaires les fonds propres sans vampiriser la création de valeur, le temps que les dettes de l’entreprise générées par la crise s’amortissent et que l’équilibre entre les grands ensembles du bilan soit rétabli.
1. Gel des échéances, nouveaux crédits garantis ou non par l’Etat et adaptation temporaire du Livre VI du Code de commerce.
2. Délais fournisseurs, dettes bancaires, dettes fiscales et sociales.