La crise sanitaire du Covid-19 et l’ensemble des mesures prises à l’échelle mondiale pour enrayer sa propagation bouleversent l’économie mondiale, entraînent la chute des marchés financiers et impactent les opérations de fusion-acquisition. Face à l’ampleur de cette crise, la renégociation des contrats de cession est une préoccupation majeure des acteurs économiques. C’est l’occasion de faire un point sur les clauses contractuelles incontournables en la matière.
Par Romain Boyet, avocat en corporate/fusions et acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupe de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers. romain.boyet@cms-fl.com / Aliénor Fevre, avocat en droit commercial. Elle intervient en conseil et en contentieux et a développé une expertise particulière en droit des contrats, droit de la distribution, responsabilité du fait des produits et compliance. alienor.fevre@cms-fl.com / et Manon Fleury, juriste en droit commercial. Elle intervient notamment en matière de droit des contrats et droit de la distribution pour des clients tant français qu’étrangers. manon.fleury@cms-fl.com
La rédaction de la documentation contractuelle relative aux opérations de fusion-acquisition est un point sensible. Elle doit permettre de limiter les risques pour le vendeur tout en protégeant l’acheteur et donc envisager la survenance d’événements qui auraient pour effet de bouleverser l’économie de l’opération projetée. A cette fin, la rédaction des clauses contractuelles de force majeure, hardship et Material Adverse Change méritent une attention particulière.
Les clauses de force majeure
«Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur» (article 1218 du Code civil). Pour qu’un événement soit qualifié de force majeure, il doit :
- échapper au contrôle de la partie qui ne peut plus exécuter ses obligations ;
- avoir été raisonnablement imprévisible lors de la conclusion du contrat ; et
- être irrésistible lors de l’exécution du contrat (cette irrésistibilité doit rendre l’exécution du contrat impossible et non pas seulement plus onéreuse ou difficile).
Lorsque l’empêchement résultant de cet événement est temporaire, l’exécution de l’obligation de celui qui l’invoque est suspendue ; lorsque l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit.
En théorie, un événement de force majeure semble être facile à identifier. En pratique, ce n’est pas chose aisée que de réussir à invoquer valablement la force majeure et ce, d’autant plus que les juges du fond disposent d’un important pouvoir d’appréciation en la matière.
En matière de fusions-acquisitions, la force majeure semble a priori, difficile à invoquer, notamment pour un acquéreur. Si un événement de force majeure peut faire perdre son intérêt financier au projet de l’acquéreur, il est peu probable qu’il l’empêche effectivement d’exécuter son obligation de paiement. De plus, il faut garder à l’esprit que la jurisprudence tend à considérer que la force majeure ne rend pas impossible l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent (Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20306 ; CA Amiens, 19 mars 2013, n° 12/03088).
Pour pallier ces difficultés, il est recommandé d’inclure dans les contrats de cession une clause définissant précisément les contours de la notion de force majeure, ses modalités d’application et ses effets. L’intérêt principal d’une telle clause est de déroger à la définition légale de la force majeure : il est possible d’étendre cette définition, de la restreindre, de lister les événements constituant des cas de force majeure ou, à l’inverse, ceux qui seront exclus de cette qualification. La rédaction d’une telle clause doit être précise et détaillée et ne pas créer de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Les clauses de hardship
Les clauses dites de hardship nous viennent des pays de common law et permettent aux parties d’adapter et de renégocier les termes de leur contrat à la suite d’un événement extérieur et imprévisible altérant fondamentalement l’équilibre de leur contrat.
Ces clauses ont longtemps eu pour intérêt de pallier l’absence de mécanisme de révision pour imprévision en droit français. Toutefois, depuis la réforme du droit des obligations applicable à tous les contrats conclus après le 1er octobre 2016, les parties disposent de la faculté légale de renégocier leur contrat du fait d’un changement de circonstances imprévisible (article 1195 du Code civil). Cette révision peut être sollicitée sous réserve de rapporter la preuve :
- d’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
- rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour la partie qui l’invoque ;
- cette dernière n’ayant pas accepté d’en assumer le risque.
Pour ce faire, il convient tout d’abord d’essayer de négocier une révision amiable et c’est seulement en cas de refus ou d’échec de cette renégociation que les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou de son adaptation judiciaire. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, une partie peut saisir le juge et solliciter une révision ou résolution judiciaire du contrat.
Malgré cette reconnaissance de l’imprévision en droit français, les clauses de hardship ont encore une utilité certaine. En effet, en raison de la crainte de l’immixtion du juge dans le contrat, le mécanisme légal de révision pour imprévision est, en pratique, fréquemment écarté par les parties à un contrat de cession. Dès lors, les clauses de hardship permettent d’encadrer et moduler la renégociation contractuelle selon les spécificités de chaque opération (énumération des événements autorisant une renégociation, modalités et durée de la renégociation, effets d’un refus ou d’un échec de la négociation, etc.). De plus, de telles clauses permettent de contourner l’exclusion du mécanisme légal d’imprévision à certaines cessions d’actions et aux opérations portant sur les obligations (article L.211-40-1 du Code monétaire et financier).
La clause de Material Adverse Change
Les clauses de changement significatif défavorable, plus connues sous la dénomination de Material Adverse Change (MAC), sont issues de la pratique anglo-saxonne mais sont encore très marginales en France et dans le reste des pays européens (seulement 15 % des contrats d’acquisition en Europe contiennent une clause MAC). Ces clauses ont pour objet de protéger une partie contre la survenance, entre la date de signature du contrat (signing) et la date de réalisation de l’opération (closing), d’un événement d’une telle ampleur qu’il serait de nature à affecter de manière significative et défavorable l’économie générale du contrat.
Les clauses MAC permettent à l’acquéreur de se libérer de ses engagements contractuels dans le cas où se produirait l’un des événements qu’elles visent. Par exemple, ces clauses pourraient conduire à autoriser un acquéreur à se retirer d’un projet de cession lorsqu’un événement de nature à affecter négativement la valeur de l’entreprise cible survient. Sous la réserve de ne pas être trop évasifs ou subjectifs, faute de quoi la clause pourrait être assimilée à une condition purement potestative, les rédacteurs peuvent librement déterminer la nature et l’intensité de l’événement susceptible de déclencher la mise en œuvre de cette clause, son périmètre ainsi que ses effets (résiliation ou droit à la renégociation du contrat, engagement du vendeur à personnellement garantir l’absence de survenance d’un événement négatif depuis la fin des travaux d’audit, etc.).
Dans un souci de prévisibilité et de sécurité juridique, les parties à une opération de fusion-acquisition doivent donc négocier avec attention les trois clauses précitées ou vérifier, lorsque leur projet est en cours, leur existence et leurs effets.