A l’occasion de la restructuration d’un groupe de sociétés, les parties devront prêter une attention particulière aux sûretés personnelles. Une sûreté personnelle est un engagement par lequel un tiers non tenu par le rapport d’obligation initial s’engage, en garantie de l’obligation du débiteur, envers le créancier.
Par Magali Béraud, avocat en financements structurés et titrisation. Elle intervient régulièrement sur des opérations de financement d’acquisition. magali.beraud@cms-bfl.com
et Benoît Fournier, avocat en financements structurés. Il intervient régulièrement sur des opérations de financement d’acquisition. benoit.fournier@cms-bfl.com
Par principe, la fusion d’une société entraîne la dissolution sans liquidation de la société absorbée et la transmission universelle de son patrimoine au profit de la société absorbante1. Seuls échappent à cette transmission les contrats pour lesquels la qualité du cocontractant a été déterminante (contrats intuitu personæ) ou ceux pour lesquels une intransmissibilité est prévue par la loi.
L’enjeu de la transmission des sûretés personnelles est d’importance : si l’intransmissibilité peut libérer le garant, la transmissibilité, au contraire, maintient l’engagement du garant au profit d’une nouvelle personne morale.
La transmissibilité de la sûreté personnelle peut dépendre de l’entité faisant l’objet de la fusion, selon qu’il s’agisse du garant, du créancier ou du débiteur. En revanche, lorsque l’une de ces parties est l’entité survivante de la fusion, sa personnalité morale demeure et les sûretés qui lui sont attachées ne sont pas affectées.
En l’absence de prévision des parties, la transmissibilité de chaque sûreté diffère. Le cautionnement est, pour partie au moins, transmissible. La garantie autonome serait, par principe, intransmissible tandis que le sort de la lettre d’intention est plus incertain. Les fluctuations de la jurisprudence sur cette importante question doivent inciter les parties à aménager les modalités de transmission des sûretés personnelles.
Le principe de la survie de l’obligation de règlement du cautionnement
Défini à l’article 2288 du Code civil, le cautionnement est l’engagement par lequel la caution s’engage auprès du créancier à satisfaire l’obligation du débiteur, si ce dernier n’y satisfait pas lui-même.
Le cautionnement peut garantir des dettes futures. Dans ce cas, on distingue l’obligation de règlement, qui présente un caractère instantané et porte sur la dette née au moment de la mise en œuvre du cautionnement, de l’obligation de couverture, au caractère successif, qui porte également sur les dettes futures2.
La jurisprudence, malgré quelques hésitations3, semble aujourd’hui considérer que la fusion par absorption de la caution marque la fin de l’obligation de couverture et limite la transmission du cautionnement à l’obligation de règlement. En d’autres termes, l’engagement de caution, transmis à la société absorbante, ne subsiste que pour les dettes du débiteur principal nées antérieurement à la fusion, transmises en tant qu’éléments figurant au patrimoine de la caution absorbée. Elle ne saurait en revanche, être étendue aux dettes futures.
Cette solution s’applique de la même manière lorsque la fusion affecte le débiteur ou le créancier4.
Le principe d’intransmissibilité de la garantie autonome
La garantie autonome, prévue à l’article 2321 du Code civil, est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, le donneur d’ordre, à verser au créancier une somme, soit à première demande (on parlera alors de garantie «à première demande»), soit suivant des modalités convenues.
A l’inverse du cautionnement qui est un engagement accessoire de l’obligation garantie, la garantie autonome est, à compter de son émission, un engagement détaché de l’obligation garantie. Elle ne garantit pas les dettes à naître du donneur d’ordre et prive de toute pertinence la distinction entre les obligations de couverture et de règlement évoquée en matière de cautionnement.
Si la doctrine majoritaire semblait, jusqu’alors, admettre que la transmission universelle de patrimoine du garant ou du bénéficiaire de la garantie emportait transfert de la garantie au nouveau garant5, aujourd’hui rien n’est moins sûr ! Un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. com., 31 janvier 2017) pose un principe d’intransmissibilité de la garantie autonome qui, en dépit d’une motivation économe, pourrait dépasser la simple hypothèse, en cause dans cette espèce, de la scission du bénéficiaire d’une telle sûreté. En effet, et bien que la lettre de l’arrêt n’y fasse pas référence, si le fondement de la décision est le caractère intuitu personæ de la garantie autonome, toute transmission de la garantie autonome à l’occasion d’une fusion serait exclue en l’absence de stipulation la prévoyant.
En revanche, la fusion du donneur d’ordre est sans effet sur la garantie autonome dans la mesure où celle-ci est indépendante de l’obligation souscrite par le donneur d’ordre.
La question de la lettre d’intention
La lettre d’intention, aux termes de l’article 2322 du Code civil, constitue un engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers le créancier. Le manque d’homogénéité des lettres d’intention, du fait de la portée variable des engagements qu’elles recèlent, rend difficile l’édiction d’une règle générale de transmissibilité. La lettre d’intention répondant aux critères de l’article 2322 du Code civil constitue un engagement autonome du souscripteur. A ce titre, la solution pourrait se rapprocher de celle de la garantie autonome. De ce fait et en l’absence de jurisprudence connue, il nous semble raisonnable de considérer que le principe d’intransmissibilité retenu en matière de garantie autonome s’applique également à la lettre d’intention.
L’aménagement des modalités de transmission des sûretés personnelles
Les solutions présentées ci-dessus étant supplétives de volonté, on ne peut que conseiller aux parties d’anticiper les hypothèses de restructurations et de les aménager contractuellement.Si l’on peut supposer que le bénéficiaire d’une sûreté personnelle aura intérêt à la voir préservée et que le garant cherchera à en être libéré, la réalité est parfois plus nuancée. En effet, il n’est pas rare que l’obligation garantie par la sûreté soit affectée par la disparition de cette dernière. En matière de contrat de crédit, par exemple, la disparition d’une sûreté entraîne généralement l’exigibilité anticipée du crédit, au détriment du débiteur dont l’obligation est garantie par cette sûreté. C’est pourquoi, lorsqu’une réorganisation est envisagée, elle doit s’accompagner de due diligences permettant de s’assurer du maintien des sûretés en cette hypothèse.
Au stade de la mise en place des sûretés personnelles, les parties devront envisager leur sort en cas de restructuration et ce, qu’elles souhaitent prévoir leur transmission ou leur disparition. Si une transmission automatique peut être expressément prévue, il convient alors de bien circonscrire les hypothèses de transmissions autorisées et leurs modalités. A l’inverse, les parties peuvent prévoir que tout changement dans la personne de l’une des parties ou du débiteur entraîne l’extinction de la sûreté ou que, ce qui revient au même, cette circonstance était déterminante du consentement de l’une des parties. Enfin, les parties peuvent réserver ce choix en prévoyant, par le jeu d’une clause de rendez-vous, de s’accorder sur les conséquences de la réorganisation au moment de sa survenance.
1. Pour plus de précisions, voir l’article supra «Opérations de restructuration domestiques ou transfrontalières : effets et limites de la transmission universelle», par Marc Flamand et Benoît Provost en p. 4.
2. D. Legeais, «Droit des sûretés et garanties du crédit», 11e édition, LGDJ, 2016, n° 230, p.180.
3. Voir Cass. com., 7 janvier 2014, contredit la même année par Cass. com., 16 septembre 2014 et récemment par Cass. com., 8 mars 2017.
4. P. Simler, «Cautionnement Garanties autonomes Garanties indemnitaires», LexisNexis, 5e édition, 2015, n° 733, p. 740.
5. Voir notamment A.-S. Barthez, D. Houtcieff, «Les sûretés personnelles», LGDJ, 2010, n° 1403, p. 1013.