En des temps encore proches, conclure avec une compagnie d’assurance uncontrat ayant pour objet de garantir la survenance d’un risque fiscal aurait pu prêterà sourire voire paraître saugrenu.
Thierry Granier, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale et Chloé Delion, avocat, spécialisée en fiscalité internationale.
En des temps encore proches, conclure avec une compagnie d’assurance un contrat ayant pour objet de garantir la survenance d’un risque fiscal aurait pu prêter à sourire voire paraître saugrenu. De nos jours toutefois, le crédit apporté à ce nouveau produit d’assurance est tel que peu de contrats de cession de titres de sociétés ne se signent outre-Manche sans que ne soit intervenu à l’acte un assureur. Ce dernier y joue ainsi le rôle de substitut aux traditionnelles clauses de garanties de passif qui étaient jusque-là prévues dans les contrats de cession.
Cette tendance qui est quasiment devenue la règle dans les opérations de cessions menées par nos voisins britanniques, et qui s’est par ailleurs étendue à diverses situations internes aux groupes, va vraisemblablement s’imposer au cours des opérations qui seront réalisées dans les mois à venir en France.
L’assurance des risques fiscaux : un nouvel outil de gestion pour les directions financières…
De manière générale, les entreprises peuvent avoir recours aux services d’un assureur en vue de se garantir sur les risques fiscaux inhérents à la réalisation de certaines opérations autres que des opérations transactionnelles. A titre d’exemple, lors de la mise en place ou, surtout, lors du débouclage d’une opération purement interne à un groupe, certaines incertitudes peuvent exister sur le traitement fiscal de cette opération et sur l’interprétation que pourrait en faire l’administration dans le cadre d’un contrôle fiscal.
Plutôt que de conserver cette situation inconfortable et dans une perspective de trouver une alternative à une demande officielle de rescrit auprès de l’administration fiscale, une direction financière peut alors décider de surmonter cet obstacle en se rapprochant d’un assureur pour qu’il couvre la société contre la survenance de ce risque fiscal. La mission de l’assureur sera alors d’auditer l’opération envisagée, d’évaluer la probabilité de survenance du risque, d’apprécier la force des arguments qui pourraient être soutenus soit face à l’administration soit face à un juge, puis enfin d’estimer le risque de rehaussement en termes de risque d’occurrence et de quantum.
Bien entendu, la police d’assurance ne pourra par principe jamais couvrir les risques correspondant aux amendes ou aux sanctions pénales. Le montant de la prime sera fonction des sommes garanties par la police d’assurance et de la période au titre de laquelle la garantie pourra être mise en jeu (cette période correspondant en principe à la période non encore prescrite). De même, à l’image des polices d’assurance traditionnelles, le contrat prévoir anormalement une franchise, un plafond, les modalités de mise en jeu de la garantie, ainsi que des motifs d’exclusion si, notamment, certains éléments n’ont pas été volontairement révélés à l’assureur lors de la souscription. Par ailleurs,des frais supplémentaires liés à une prestation de courtage sont également à prévoir.
Si l’intérêt qu’une direction financière de se prémunir contre les risques fiscaux liés à la réalisation d’une opération en particulier peut aisément être perçu, il pourrait néanmoins être objecté que la souscription de cette police d’assurance met d’autant plus en relief la zone de risque en cause lors d’une prochaine vérification de comptabilité. Sans doute, certaines directions plus conservatrices préféreront-elles alors ne pas courir de risques en termes de réputation et choisiront dans ce cas de ne pas s’assurer sur ce type de risques.
.…et une alternative aux traditionnelles clauses de garanties de passif
Dans un contexte économique tendu où les transactions se font plus rares et les exigences des parties aux négociations plus élevées, le recours à une assurance couvrant les risques fiscaux de la cible offre la possibilité à l’acquéreur et au vendeur de réunir leurs intérêts naturellement divergents : le vendeur y trouve une opportunité de minimiser les risques résiduels postérieurs à l’acquisition tandis que l’acquéreur se prémunit contre les risques – notamment de recouvrement – inhérents à la mise en oeuvre des garanties fiscales prévues au contrat.
Dans sa forme traditionnelle, l’assurance intervient au bénéfice du vendeur qui se voit indemnisé lorsque la garantie fiscale prévue au contrat est mise en oeuvre par l’acquéreur. Cette pratique a toutefois évolué en ce que l’acquéreur lui-même est de plus en plus fréquemment amené à souscrire une police d’assurance couvrant les risques fiscaux de la cible. L’intérêt de l’opération consiste alors non seulement à se prémunir contre le risque de recouvrement de l’indemnité auprès du vendeur mais également le cas échéant, à étendre la garantie fiscale prévue au contrat de cession en couvrant les risques liés à l’application des divers mécanismes de limitation de cette garantie (seuils de déclenchement, franchise, plafonnement, etc.).
Pour l’acquéreur, l’assurance des risques fiscaux peut également être un outil particulièrement efficace dans le cadre des transactions dites de «locked box» où le prix de cession est fixé de manière définitive au jour de la signature du contrat d’acquisition sans pouvoir faire l’objet d’ajustements postérieurs. Dans ces opérations, l’acquéreur est en effet dépourvu de voies de recours contre le vendeur encas de survenance d’un passif fiscal relatif à la période préalable à l’acquisition. Dans d’autres situations, le recours à une assurance peut se limiter à la couverture des risques fiscaux liés à la période écoulée entre la date de signature du contrat d’acquisition et la date de transfert effectif de propriété. Il est en effet souvent ardu d’obtenir des déclarations et garanties satisfaisantes de la part du vendeur au titre d’une telle période.
Malgré ses attraits évidents, ce nouveau produit d’assurance peine encore à se développer dans la pratique transactionnelle française où l’on observe des réticences face à l’intervention d’un assureur dans le cadre d’un processus déjà complexe d’acquisition. Certains praticiens y voient ainsi une source de ralentissement des négociations et du calendrier de la transaction. Par ailleurs, à l’image des craintes liées à la couverture de risques fiscaux hors opérations transactionnelles, d’autres s’inquiètent encore de l’impact négatif de cet outil sur la perception des vérificateurs en cas de contrôle fiscal et, plus généralement, sur l’image et la réputation de la société qui aura eu recours aux services d’un assureur pour couvrir ses risques fiscaux dans un contexte actuel de défiance face aux pratiques fiscales agressives.
Quelle que soit l’option choisie, la réalisation des travaux d’audit fiscal demeure en tout état de cause indispensable dans le cadre des processus d’acquisition, le recours à une assurance ne permettant pas de s’en exonérer. L’assureur lui-même procédera à une analyse détaillée des risques fiscaux dont dépendront évidemment les conditions financières de son intervention. Si les assureurs anglais ont rapidement saisi l’intérêt de proposer ce produit d’assurance sur un marché toujours plus exigeant, il semble que la France soit quant à elle légèrement en retard. Entre l’offre des assureurs français qui n’est pas encore véritablement structurée et une demande des entreprises qui reste fort timorée de crainte de s’attirer les mauvaises grâces de l’administration fiscale dans le cadre d’une vérification de comptabilité, ce produit ne pourra véritablement prendre son essor que par l’action combinée d’un changement de mentalité et, certainement, d’une véritable reprise du marché transactionnel.