La qualification des management packages de LBO est au coeur de l’actualité fiscale : après une récente décision très controversée de la cour administrative d’appel de Paris1 ayant jugé que le gain réalisé par un dirigeant investisseur à la suite de l’exercice d’une promesse de vente d’actions présentait la nature d’un salaire et devait être imposé comme tel, c’est au tour du comité de l’abus de droit fiscal, organe consultatif présidé par un magistrat au Conseil d’Etat, de sepencher sur le sujet.
Par Laurent Hepp, avocat associé, spécialisé en fiscalité et Philippe Gosset, avocat spécialisé en fiscalité.
Dans les affaires soumises à l’avis du comité, des cadres salariés de la société actionnaire et de la société opérationnelle d’un groupe sous LBO avaient été invités à souscrire respectivement des actions de préférence et des actions à bons de souscription d’actions dites «ABSA ratchet», émises par des holdings dédiées à l’opération de LBO. Ces schémas de co‑investissement étaient classiquement assortis d’un effet de levier subordonné, permettant aux investisseurs de réaliser une plus-value importante au-delà d’un certain seuil de performance de l’opération, en contrepartie de la perte intégrale de leur investissement si ce seuil n’était pas atteint. Quatre ans plus tard, l’opération de LBO ayant été débouclée avec succès, les cadres investisseur sont réalisé d’importantes plus-values, exonérées d’impôt dans le cadre de leur PEA.
L’administration fiscale a toutefois considéré que ces contribuables avaient transféré sur leur PEA une rémunération déguisée en plus-value, entraînant la remise en cause de cette exonération fiscale sur le terrain de l’abus de droit. Par une série d’avis rendus les 23 mai et 13 juin derniers(2), le comité a décidé de ne pas suivre la position de l’administration fiscale. Constatant que les contribuables avaient acquis leurs titres «au moyen de leurs propres deniers» et que cet investissement effectif représentait «une part significative des revenus qu’ils avaient perçus l’année précédant cette acquisition», le comité en a déduit que ces contribuables avaient pris un véritable «risque encouru en tant qu’investisseurs et n’agissaient pas en tant que salariés».
Cette solution fait écho aux principes jurisprudentiels établis par le Conseil d’Etat, et généralement appliqués par les juges du fond, selon lesquels les gains résultant de cessions de titres relèvent, sauf exception, du régime d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières, quand bien même l’actionnaire exercerait par ailleurs des fonctions dans la société. La requalification d’une plus-value réalisée par un salarié, fût-il dirigeant, doit ainsi rester exceptionnelle: comme le souligne le comité, l’administration doit établir la preuve que le cédant aurait été assuré, en droit ou en fait, de n’encourir «aucun risque» sur son investissement initial. Tel ne saurait être le cas lorsque le contribuable ne bénéficie d’aucune assurance de récupérer les sommes investies et que ces sommes sont considérées comme significatives au vu de ses revenus.
A cet égard, en prenant le soin d’apprécier l’importance de ce risque à la date de la réalisation effective de l’investissement, le comité prend le juste contre-pied de l’arrêt dissonant précité de la cour administrative d’appel de Paris qui avait fondé sa requalification sur le caractère «modique» du prix de l’option d’achat apprécié a posteriori au regard du gain de cession réalisé cinq ans plus tard.
Certes, l’administration a indiqué ne pas se ranger à ces avis, laissant ainsi penser qu’elle entend poursuivre ses actions de requalification dans des situations comparables. Il reste néanmoins que ces avis circonstanciés du comité,qui s’inscrivent dans la continuité d’un précédent avis(3) rendu en octobre 2012 relatif à des BSA souscrits en PEA dans le cadre d’une opération de LBO, présentent l’intérêt de proposer une grille d’analyse claire de la qualification du gain en capital réalisé par un investisseur salarié,en harmonie avec la jurisprudence dominante. Espérons donc qu’ils préfigurent l’analyse que pourrait adopter le Conseil d’Etat lorsqu’il sera appelé à trancher cette question.
(1). Voir Qualification fiscale des management packages : fausse note dans la jurisprudence, par Laurent Hepp et Jean-Charles Benois, dans la Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity du 2 avril 2013.
(2). CADF/AC n°3/2013 ; CADF/AC n°5/2013.
(3). CADF/AC n° 4/2012, affaire n° 2012-38.