Bien que de nature principalement réglementaire, la directive AIFM soulève de nombreuses questions fiscales, dont certaines restent à ce jour sans réponse.
Par Laurent Hepp et Jean-Charles Benois, avocats spécialisés en fiscalité.
Si tant la directive Alternative Investment Fund Managers (la «Directive») que les textes de transposition parus au Journal officiel du 25 juillet 2013introduisent une réforme réglementaire à droit fiscal constant (sous réserve des modifications de coordination du Code général des impôts (CGI)), l’internationalisation croissante de l’industrie de la gestion d’actifs que va faciliter la délivrance de «Passeports Gestion» (et, dans une moindre mesure, de «Passeports Commercialisation») aux sociétés de gestion des fonds d’investissement alternatifs (les «FIA») pose, elle, de nombreuses questions fiscales. Certaines ont d’ores et déjà été levées. C’est notamment le cas de celle relative à l’éventuel risque d’imposition en France des FIA étrangers gérés par des sociétés de gestion françaises.
L’administration fiscale a en effet confirmé, dans un rescrit daté du 26 septembre 2012 délivré par la direction de la Législation fiscale (la «DLF»)à l’Association française des investisseurs pour la croissance (l’«AFIC»), que le droit interne français ne permettait pas de considérer un FIA de droit étranger géré depuis la France comme exploité en France, de sorte que les profits réalisés par ce dernier devraient rester hors du champ territorial de l’impôt sur les sociétés. Cette position s’applique tant pour des FIA européens que pour des FIA établis dans des Etats tiers, sous réserve qu’ils répondent aux critères posés respectivement parles articles 33 et 34 de la Directive.
Les sociétés de gestion françaises ne devraient donc pas être traitées comme des établissements stables des FIA étrangers qu’elles gèrent. En outre, il est intéressant de noter que cette position a été prise au visa de l’article 209 du CGI, de sorte qu’il nous semble qu’elle permet également d’exclure le risque d’identification par l’administration d’un cycle commercial complet en France réalisé par un FIA établi dans un Etat non conventionné(1). D’autres interrogations paraissent toujours posées,voire renforcées par la Directive. C’est par exemple le cas du traitement fiscal en France de l’association des équipes de gestion françaises à la plus-value de FIA étrangers (carried interest). Pour rappel, ce gain est éligible au traitement des plus-values lorsque certaines conditions,dites «Arthuis», sont remplies(2).
Or, ces conditions et l’interprétation qu’en fait l’administration ne paraissent pas toujours adaptées au mouvement d’internationalisation de la gestion d’actifs désormais promu par la Directive. Ainsi, si le texte admet la détention des parts de carried interest via des personnes interposées, l’administration considère que seules les entités translucides peuvent être considérées comme telles. Par conséquent, les investissements dans les FIA réalisés par les équipes de gestion au travers de sociétés imposables à l’IS (ou à un impôt étranger équivalent) ne seraient pas éligibles au régime du carried interest. Or, ce type de structuration est très fréquent à l’étranger,notamment dans le cas des limited partnerships. Plus généralement, les dispositions de la Directive relatives aux rémunérations des équipes de gestion de FIA soulèvent de nombreuses difficultés.
C’est notamment le cas de l’obligation qu’au moins 50 % de la rémunération variable de ces équipes consiste dans des parts du FIA géré. Cette condition pose tout d’abord des difficultés techniques s’agissant des FIA fermés,comme l’a d’ailleurs récemment rappelé l’Autorité des marchés financiers(3). Elle pose également des questions fiscales délicates, comme par exemple celle de savoir si l’attribution de ces parts de FIA pourrait constituer un fait générateur de l’impôt sur le revenu, alors même que ces parts seront le plus souvent, à la date de leur attribution,incessibles. Il faut souhaiter que le Parlement se saisira de ces questions dès l’examen du Budget 2014 afin de préserver l’attractivité du site France pour les sociétés de gestion, car d’autres juridictions (par exemple le Luxembourg, ou le Royaume-Uni) ont déjà ouvert la compétition fiscale pour attirer les gestionnaires d’actifs.
(1). Au demeurant, l’application de la théorie du cycle commercial complet à des fonds reste contestée, ces derniers poursuivant une activité civile.
(2). Voir article 150-0 A, II., 8 du CGI. Ces conditions consistent notamment dans (i) la souscription ou l’acquisition des parts de carried interest par les équipes de gestion à leur valeur réelle, et pour une somme représentant au moins 1% du montant total des souscriptions dans le fonds (sauf exceptions fixées par décret) (le « Ratio de 1% »), (ii) la répartition de la plus-value au moins cinq ans après la souscription des Parts, et (iii) la perception d’une rémunération normale par les équipes de gestion.
(3). Directive AIFM – Guide Rémunération, AMF, Août 2013, concernant la position AMF 2013-11, du 14 août 2013, relative aux Politiques de rémunération applicables aux gestionnaires de fonds d’investissements alternatifs.