Par l’adoption de l’ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 (l’«Ordonnance») qui a transposé en France la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs («AIFM»), le cadre juridique de la gestion d’actifs en France a été profondément modifié.
Par Jérôme Sutour, avocat associé, responsable services financiers.
La nouvelle typologie juridique des placements collectifs
Tout d’abord, il faut rappeler que le code monétaire et financier («CMF») distingue désormais,en matière de gestion collective, les placements collectifs qui incluent :
– les organismes de placements collectifs en valeurs mobilières («OPCVM») conformes à la directive 2009/65/CE (la directive UCITS) ;
– les fonds relevant de l’AIFM (les fonds d’investissement alternatifs – «FIA») ;
– les placements collectifs autres que ceux visés ci-dessus.Les FIA recouvrent tant les organismes de placement collectifs similaires aux OPCVM et anciennement reconnus par le CMF (tels que les FCPR, SCPI, SPPICAV, etc.) que les «Autres FIA», une catégorie qui regroupe tous les véhicules, quelle que soit leur nature juridique (sociétés,fonds, contrats, fiducie, etc.), qui (i) ne sont pas des OPCVM et (ii) qui lèvent des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir, dans l’intérêt de ces investisseurs,conformément à une politique d’investissement que ces FIA ou leurs sociétés de gestion définissent.
Ainsi, les «Autres FIA» peuvent inclure des véhicules ou solutions d’investissement qui n’étaient pas auparavant régis par le CMF. Sont toutefois exclues de cette catégorie les sociétés holdings. Par société holding on entend une société détenant des participations dans une ou plusieurs autres sociétés, dont l’objectif commercial est de mettre en oeuvre une ou plusieurs stratégies d’entreprise par l’intermédiaire de ses filiales, de ses sociétés associées ou de ses participations en vue de contribuer à de la création de valeur à long terme et qui est une société :
a) opérant pour son propre compte et dont les actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé dans l’Union européenne ;
b) n’étant pas créée dans le but principal de produire une rémunération pour ses investisseurs par la cession de ses filiales ou de ses sociétés associées, ainsi qu’il ressort de son rapport annuel ou d’autres documents officiels(1).
Les anciennes sociétés de gestion
Les gestionnaires de FIA sont les personnes dont l’activité habituelle est la gestion d’un ou plusieurs FIA ; cette activité de gestion de FIA étant elle-même définie comme l’exercice au moins des fonctions de gestion de portefeuille et de gestion des risques pour un ou plusieurs FIA. Sur cette base, à la distinction classique entre sociétés de gestion conformes à UCITS et celles conformes à la directive 2004/39/CE concernant les marchés d’instruments financiers («MIF»), l’Ordonnance substitue un nouveau régime fondé sur la capacité à gérer ou non des OPCVM,des FIA et/ou des mandats. Ainsi, sont tenues d’obtenir un agrément pour gérer des FIA les sociétés de gestion de portefeuille («SGP») qui remplissent les critères suivants (les «Critères AIFM») :
– gérer des FIA dont les actifs, y compris les actifs acquis grâce à l’effet de levier, dépassent un seuil de 100 millions d’euros au total, si au moins un FIA géré recourt à l’effet de levier ou si, pour au moins un FIA géré, un droit au rachat peut être exercé pendant une période de cinq ans à compter de la date de l’investissement initial, ou
– gérer des FIA dont les actifs dépassent un seuil de 500 millions d’euros au total. Ces SGP peuvent étendre leur agrément à la gestion d’OPCVM et bien sûr fournir des services de conseil en investissement mais également de réception/transmission d’ordres («RTO»), activité que les SGP qui ne gèrent que des OPCVM ou des OPCVM et des mandats ne peuvent pas fournir.
Les nouveaux acteurs
A côté de ces acteurs classiques qui sont et se savent réglementés, une nouvelle catégorie d’acteurs, les personnes qui gèrent d’Autres FIA,entre désormais dans le périmètre de la réglementation. Ainsi, les personnes qui (i) gèrent des Autres FIA et (ii) (a) remplissent les CritèresAIFM ou (b) gèrent un FIA dont un des porteurs n’est pas un investisseur non professionnel (au sens de MIF), sont également tenues d’obtenir un agrément es qualité.En conséquence :
– les personnes en dessous des Critères AIFM et dont aucun des porteurs des FIA gérés n’est un investisseur non professionnel ne sont pas réglementées. Elles sont seulement tenues de s’enregistrer auprès de l’AMF et de remplir un certain nombre d’obligations de reporting ;
– les personnes en dessous des Critères AIFM mais dont un des FIA gérés compte un investisseur non professionnel sont tenues d’obtenir un agrément SGP et ledit FIA est tenu de désigner un dépositaire. Cet Autre FIA est toutefois soumis à des obligations plus légères que les FIA classiques ;
– les personnes remplissant les Critères AIFM sont tenues d’obtenir un agrément SGP et leurs FIA tenus de désigner un dépositaire. Ces Autres FIA sont soumis à des obligations équivalentes à celles des FIA classiques. Ainsi, à moins de bénéficier de l’une des dérogations prévues par l’Ordonnance (notamment celle pour les FIA intra groupes), ces «nouveaux acteurs» (qui peuvent déjà conduire leur activité depuis des dizaines années) seront tenus d’obtenir un agrément de gestionnaire de FIA lequel, s’il est moins exigeant que celui des pures SGP, constitue sans hésitation un coût.
A cet égard, il faut souligner que la naturedes actifs, qu’il s’agisse de biens immobiliers,de tableau, de quotas d’émissions de gaz oud’autres actifs, importe peu.Enfin et au-delà des acteurs français directement responsables de la gestion d’un FIA, leurs délégataires sont également concernés puisqu’ils sont eux-mêmes soumis, du seul faitde cette délégation, à certaines des obligations applicables aux gestionnaires de FIA, notamment,en matière de rémunération.
Le renforcement de l’encadrement du secteur
L’Ordonnance, en phase avec l’AIFM, introduit bien sûr de nouvelles obligations à la charge des SGP et, en particulier, celle de désigner un dépositaire pour les FIA dont elles assurent la gestion. Ainsi, les organismes de placements collectifs qui n’étaient pas précédemment tenus de faire conserver leurs actifs par les dépositaires (par exemple, les SCPI) y sont désormais obligés. Toutefois, cette obligation de garde ne s’étend qu’aux instruments financiers pouvant faire l’objet d’une telle conservation, le dépositaire n’ayant pour obligation que de tenir le registre de ces actifs et de s’assurer qu’ils sont bien la propriété du FIA.
Enfin, en sus des obligations déclaratives et d’abstention en cas de prises de participation dans des sociétés non cotées(2), l’Ordonnance et le règlement général de l’AMF modifié rappellent les principes en matière de rémunération des gestionnaires de FIA lesquels, s’ils sont dans la droite ligne des évolutions récentes en la matière, vont obliger les acteurs existants (et leurs délégués) ainsi que les nouveaux acteurs à mettre en place des politiques de rémunération efficaces afin d’aligner les intérêts des investisseurs sur ceux du gestionnaire de FIA(3). Pour conclure, si l’Ordonnance est d’application immédiate, les SGP et les nouveaux acteurs entrant dans le champ de la nouvelle réglementation ont jusqu’au 22 juillet 2014 pour prendre les mesures en vue d’obtenir l’agrément de gestionnaire de FIA.
(1). Article L. 532-9 du code monétaire et financier («CMF»).
(2). Article L. 214-24-22 du CMF.
(3). Voir en ce sens les Dispositions communes sur les politiques de rémunération au sein des sociétés de gestion– novembre 2010 – AFG/ASPIM/AFIC.