La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Décembre 2017

La structuration des droits pécuniaires des investisseurs : l’affirmation d’une vraie liberté

Publié le 8 décembre 2017 à 11h39

Alain Couret et Christophe Lefaillet

La société de libre partenariat (SLP) offre une batterie d’avantages indiscutables découlant d’un régime juridique qui s’est voulu extrêmement souple. C’est une société en commandite simple (SCS) qui échappe à beaucoup des contraintes caractéristiques de cette forme sociétaire.

Par Alain Couret, avocat associé en corporate/fusions & acquisitions et responsable de la doctrine juridique. Il a par ailleurs une activité en matière d’arbitrage concernant des litiges dans le domaine des cessions d’entreprises, des opérations d’investissement et de restructuration des réseaux de distribution. Il est également professeur à l’Université Paris I. alain.couret@cms-bfl.com et Christophe Lefaillet, avocat associé en corporate/fusions & acquisitions et en fiscalité (droits d’enregistrement et ISF). Il intervient particulièrement dans les opérations de fusion-acquisition du secteur immobilier. christophe.lefaillet@cms-bfl.com

C’est également un fonds d’investissement alternatif dérogeant partiellement aux règles régissant ces organismes.

Une commandite simple donc, forme sociétaire largement tombée en désuétude à raison d’une organisation contraignante : deux catégories d’associés, les commandités, indéfiniment et solidairement responsables, les commanditaires (ou investisseurs), dont la responsabilité est limitée au montant de leur apport et qui doivent satisfaire les critères des investisseurs avertis (au même titre que les investisseurs avertis des autres fonds professionnels spécialisés), et appartenir à une des catégories prévues par l’article L.214-162-1 du Code monétaire et financier (CMF).

Tout ici a été conçu pour rendre le fonctionnement fluide. Une des questions les plus sensibles est celle de la structuration des droits pécuniaires des associés. C’est à l’aune de cette liberté de structuration que les perspectives d’avenir de la SLP seront appréciées puisque l’on est en présence d’un véhicule d’investissement. Peut-on facilement en mesurer les limites ?

Assez paradoxalement, nous disposons de plusieurs textes dont on peut se demander s’ils sont simplement redondants ou s’ils ouvrent au contraire le champ des possibles. Dans ces textes il faut distinguer des règles très précises qui ne suscitent pas le débat et une disposition générale de portée incertaine.

Des dispositions spéciales précises

Ces dispositions intéressent tant les droits attachés aux parts en cours de vie sociale que les droits sur le boni de liquidation.

S’agissant des droits attachés aux parts en cours de vie sociale, l’article L.214-162-8, II du CMF dispose que les statuts pourront librement différencier les droits : «Les statuts de la société de libre partenariat peuvent prévoir des parts donnant lieu à des droits différents sur tout ou partie de l’actif de la société ou de ses produits». Le vocabulaire employé est quelque peu surprenant dès lors que, la société étant dotée de la personnalité morale et donc propriétaire des actifs, les droits directs sur l’actif ne se conçoivent guère qu’à l’heure de la liquidation. Or, comme on va le voir dans un instant, la question des droits sur le boni de liquidation fait l’objet d’une disposition spécifique. Même dans un organisme de placement collectif, les porteurs n’ont pas de droit direct sur les actifs individualisés composant le portefeuille. On peut en revanche imaginer des parts traçantes dont les revenus seraient assis sur une partie de l’actif.1 Ces parts seraient le reflet d’un actif ou d’une catégorie d’actifs. En ce qui concerne les produits, il est manifeste qu’il s’agit des plus-values réalisées à l’occasion de ventes de participations. Cette question est sans doute sensible pour beaucoup d’investisseurs car ces plus-values sont la source première d’enrichissement. On a pu ainsi évoquer la possibilité de structurer le carried interest. A cet égard, l’une des modifications apportées par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite «loi Sapin II», réside notamment dans l’adjonction au 3° du I, de l’article L.214-162-8 du CMF traitant des stipulations des statuts relatives aux décisions collectives que celles-ci peuvent être prises outre par les associés «par une partie des associés» afin d’assouplir la gouvernance de la SLP et éviter des conflits d’intérêts en cas de carried interest (voir RD bancaire et fin. 2017, comm. 40, obs. I. Riassetto).

En fin de vie sociale, comme indiqué précédemment, le boni de liquidation fait l’objet d’un traitement spécifique. L’article L.214-162-8, V du CMF prévoit que les modalités de répartition du boni de liquidation sont déterminées librement par les statuts de la SLP, ce qui correspond à un vœu de la pratique.

Une disposition générale encore imprécise

Le texte qui suscite le plus d’interrogations est l’article L.214-162-11 du même code : «Les statuts fixent librement les conditions de répartition de tout ou partie des actifs de la société de libre partenariat, y compris le remboursement d’apport aux associés ainsi que les conditions dans lesquelles la société de libre partenariat peut en demander la restitution totale ou partielle». La disposition accroit-elle véritablement la liberté des acteurs pour la structuration des droits pécuniaires ? Singulièrement, ce texte n’a guère retenu l’attention de divers commentateurs qui semblent avoir tenu les propositions contenues pour évidentes. Il est le pendant de l’article 22-V de la loi luxembourgeoise sur les sociétés commerciales dans ses développements sur la société en commandite spéciale, homologue de la SLP, sous réserve que la SLP française a la personnalité morale alors que la société en commandite spéciale luxembourgeoise ne l’a pas.

En fait, l’article contient trois propositions :

• «Les statuts fixent librement les conditions de répartition des actifs de la société de libre partenariat».

L’accès direct aux actifs s’opère traditionnellement selon les procédures classiques avec ou sans le secours des dispositions statutaires :

- paiement du dividende sous forme d’actifs qui n’est pas juridiquement assimilable à un partage partiel d’actifs ;

- attribution d’actifs suivie de réduction du capital avec l’accord de tous les associés si la réduction profite à un seul ;

- partage des actifs lors de la liquidation.

• «Y compris le remboursement d’apport aux associés».

L’attribution peut, par conséquent, revêtir la forme de l’amortissement selon le droit commun.

• «Ainsi que les conditions dans lesquelles la société de libre partenariat peut en demander la restitution totale ou partielle».

On songe à cet égard à la répétition de l’amortissement, dès lors que la société peut exiger la restitution des sommes versées si ces dernières ont été prélevées sur des réserves non distribuables et si les bénéficiaires des versements avaient connaissance du caractère irrégulier de la distribution ou ne pouvaient l’ignorer, compte tenu des circonstances2. Mais il est manifeste que le rajout de l’occurrence d’une «répartition d’actifs» (par transposition, à l’identique, de la réglementation des fonds communs de placement à risque), au demeurant dans les conditions librement déterminées par les statuts qui ont alors force de loi, révèle l’intention du législateur d’élargir les différentes formes possibles d’attribution aux investisseurs aux prélèvements opérés sur les sommes dont la contrepartie comptable est représentative du compte capital social ou assimilé (que celui-ci provienne des apports ou de la capitalisation des profits précédemment accumulés et non reportés à nouveau).

Certes, faute d’explications convaincantes dans les travaux préparatoires, les dispositions que l’on vient d’évoquer peuvent paraître conserver une part de mystère eu égard à la réglementation traditionnelle gouvernant les SCS. Mais ce mystère ne remet sans doute pas en cause la grande liberté dont doivent disposer les rédacteurs de statuts pour organiser une différenciation entre les droits des associés et qualifier, dans le respect des dispositions du CMF, les attributions opérées à leur profit.

1. I. Riassetto et N. Duguay, Parts traçantes et FCP, BJB 2011, p. 57.

2. Memento Sociétés commerciales Francis Lefebvre 2018, n° 51 531.


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Thierry Granier et Benoît Foucher

La société de libre partenariat (SLP) a été créée dans le but affiché d’attirer les investisseurs étrangers, avec un argument simple, un non-résident investissant dans une SLP dédiée au private equity serait exonéré à raison de son investissement. Si l’on s’en tient aux informations disponibles sur les sites de type Infogreffe, une trentaine de SLP ont été constituées à ce jour. Même si les informations qu’il est possible d’en déduire ne sont que parcellaires, il semble que la SLP soit principalement utilisée conformément à sa destination originelle, i.e. comme un véhicule de private equity.

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