Deux ans après son introduction dans notre droit par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la société de libre partenariat (SLP) a trouvé sa place à côté des fonds professionnels spécialisés (FPS) et des fonds professionnels de capital investissement (FPCI) dans le paysage français de la gestion d’actifs.
Par Jérôme Sutour, avocat associé, responsable de l’équipe Services Financiers. jerome.sutour@cms-bfl.com
Ce succès, s’il était certain tant la flexibilité offerte par ce véhicule ne pouvait que retenir l’intérêt des professionnels, peut surprendre par la rapidité avec laquelle certaines sociétés de gestion et leurs investisseurs ont su faire leur cette nouvelle forme de fonds d’investissement alternatif (FIA) visés aux articles L.214-162-1 et suivants du Code monétaire et financier (CMF). En effet, les acteurs auraient pu être réticents à recourir à ce «mutant juridique» à la fois société en commandite simple (SCS) émettant des titres financiers, société dont les statuts empruntent plus au droit des contrats qu’au droit des sociétés, et FIA de droit1 transparent fiscalement. Cela n’a pas été le cas.
En effet, comme de nombreux auteurs et praticiens l’avaient relevé, l’adjectif le plus adapté pour décrire cette forme sociale est «la souplesse» :
– s’agissant de sa constitution, la SLP peut être créée ex nihilo ou à la suite de la transformation d’un FPCI ou d’un FPS (article L.214-162-12, al. 1 du CMF) ;
– de par sa nature de FPS, son champ d’investissement couvre tout actif pouvant faire l’objet d’une valorisation et dont la propriété peut être établi par un acte sous seing privé ;
– pareillement, à moins de chercher à bénéficier du régime fiscal de faveur applicable aux FPCI, elle n’est soumise qu’aux seules règles d’investissement librement fixées par ses statuts ;
– s’agissant justement de son fonctionnement, ses statuts laissent une grande liberté pour organiser la dynamique de gouvernance entre ses associés commanditaires et commandités, son ou ses gérants et, bien entendu, sa société de gestion intervenant comme gestionnaire de FIA (Alternative Investment Fund Managers - AIFM) ; etc.
On pourrait continuer à l’envie pour présenter tous les avantages de cet hybride, plus proche finalement de la société par actions simplifiée que de la SCS, d’autant que les évolutions ayant affecté le cadre français de la gestion d’actifs ont permis, soit de clarifier soit d’étendre le champ des interventions possibles de la SLP, notamment avec l’entrée en vigueur du règlement (UE) n° 2015/760 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 sur les fonds européen d’investissement à long terme (FEILT).
L’expression de cette flexibilité se retrouve également dans la forme de la documentation adoptée dans le marché pour les SLP. Ainsi, s’agissant de ses statuts, la SLP n’a pas encore atteint, selon nous, le niveau de standardisation que l’on connaît sur les FPCI : on observe un formalisme soit quasi identique à celui d’un FPCI, une structure proche de celle de limited partnership anglo-saxons, soit équivalent aux statuts classiques, un formalisme qui a notre faveur en ce qu’il se rapproche de la forme des prospectus de fonds caymannais ou luxembourgeois.
Ainsi, qu’elle soit structurée pour conduire des stratégies mono-actif ou, au contraire, avec plusieurs compartiments déployant des stratégies différentes, qu’elle ne soit qu’un fonds nourricier d’un véhicule étranger ou qu’elle dispose de la dénomination «ELTIF2», la SLP offre une gamme impressionnante de possibilités en termes de structuration. Quant aux stratégies pouvant être conduites, comme anticipées, elles vont du capital-investissement classique à l’immobilier en passant par l’infrastructure et même, actuellement, par des projets sur des actifs digitaux.
A cet égard, nous avons pu noter son recours pour la conduite de stratégies où des FPS ou des FPCI, plus simples à structurer, auraient été suffisants. En effet, la SLP reste un FIA relativement complexe à structurer compte tenu de la dualité de ses associés (commanditaires et commandités) et, le cas échéant, de sa gouvernance (qui peut distinguer son gérant de son AIFM, sans compter éventuellement l’intervention de comités ad hoc).
Du point de vue de son organisation, les structurations adoptées laissent généralement à la société de gestion, en plus de son rôle d’AIFM, celui de gérant du véhicule pour concentrer sur une seule personne les responsabilités d’organisation du véhicule et éviter une construction délicate des relations entre le gérant et l’AIFM. Par exemple, laisser au gérant le pouvoir discrétionnaire d’appeler les engagements peut priver la société de gestion de la possibilité de conduire sa politique d’investissement de manière indépendante et donc, être constitutif en cas d’abus d’une atteinte au principe d’autonomie de l’AIFM.
Cela étant, la complexité inhérente à cette forme sociale n’est pas en elle-même un élément rédhibitoire pour le choix de recourir à ce type de véhicule puisque que les FPS et les FPCI peuvent également se caractériser par des organisations internes complexes.
S’il restait plutôt des critiques à formuler, elles auraient trait à des facteurs tant inhérents aux SLP qu’à d’autres communs aux FIA français.
Tout d’abord, la pratique conduit à regretter que le droit français ne tire pas toutes les conséquences de la spécificité des compartiments, constitutifs de patrimoines d’affectation au sein d’une même entité, de sorte que restent encore appréhendées au niveau du véhicule, et non du compartiment, des obligations qui sont dès lors partagées par l’ensemble des compartiments d’un même véhicule.
Par exemple, le fait que le droit fiscal envisage, pour bénéficier d’un régime fiscal, la réunion de certaines conditions au niveau de la structure et non du compartiment pourrait conduire à envisager le respect des conditions propres au dit régime sur l’ensemble des compartiments et non sur celui concerné.
Pareillement, à la différence des véhicules luxembourgeois pour lesquels le prospectus des véhicules «umbrella» se compose du document général applicable à tous les compartiments et d’une annexe par compartiment qui n’est remise qu’aux seuls porteurs dudit compartiment, la réglementation française ne permet pas cette approche. En effet, si le CMF laisse une grande liberté en matière de rédaction des statuts, l’instruction de l’Autorité des marchés financiers (AMF) applicable aux SLP3 requiert des statuts qu’ils incluent l’ensemble des informations concernant les caractéristiques spécifiques des compartiments. Cette règle conduit à ce que les statuts des SLP à compartiments soient particulièrement longs et ne permet pas de préserver la confidentialité de certaines caractéristiques d’un compartiment à l’égard des porteurs de parts d’autres compartiments de la SLP4.
Enfin, contrairement à ce qui pouvait être espéré, l’AMF ne semble pas disposée à reconnaître aux SLP la faculté d’émettre des titres financiers représentatifs d’une créance contre ce FIA. Cette carence pourra conduire certains acteurs à préférer à la SLP les organismes de financement spécialisés (OFS5) qui peuvent eux en émettre…, à moins que la forme sociale de la SLP soit elle-même étendue aux OFS.
1. Dès lors que ses caractéristiques sont visées aux articles L.214-162-1 et suivants du CMF.
2. ELTIF ou FEILT : fonds européen d’investissement à long terme.
3. Annexe III.4 de l’instruction AMF - Modalités de déclaration, de modifications, établissement d’un prospectus et informations périodiques des fonds professionnels spécialisés et des fonds professionnels de capital investissement – DOC-2012-06.
4. Le règlement général de l’AMF requérant dans son article 423-18 que préalablement à la souscription ou à l’acquisition des parts ou actions d’un fonds professionnel spécialisé, un prospectus, et donc les statuts s’agissant d’une SLP, est remis à l’investisseur.
5. Voir l’article «Et pendant ce temps, la modernisation du cadre de la gestion d’actifs continue…», par Alexandre Bordenave et Jérôme Sutour, paru dans le magazine Option Finance, le 30 octobre 2017.