La question de la gouvernance et des droits de contrôle des investisseurs financiers sur la gestion exercée par les managers fait toujours l’objet de discussions à l’occasion de la négociation de pactes d’associés.
Par Arnaud Hugot, avocat associé en Corporate/Fusions & Acquisitions. Il assiste des industriels, des fonds d’investissement et des managers dans le cadre de tous types d’opérations de fusion-acquisition et de private equity, tant nationales qu’internationales. arnaud.hugot@cms-bfl.comet Julie Bailly, avocat en Corporate/Fusions & Acquisitions. Elle intervient principalement sur des opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupe de sociétés, tant sur le plan national qu’international. julie.bailly@cms-bfl.com
L’objectif étant généralement de laisser largement les mains libres aux managers, tout en instituant un contrôle sur les décisions importantes, l’enjeu est alors de positionner le curseur de telle sorte que le fonds d’investissement ne puisse pas voir sa responsabilité engagée au titre de la gestion de fait. A cet égard, un arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 février 2016 illustre les précautions à prendre pour déterminer les droits de contrôle des investisseurs financiers.
Dans cette espèce, la Cour a appliqué la qualification de dirigeants à des investisseurs ayant la qualité de membres du comité de surveillance d’une société par actions simplifiée, lequel s’était vu attribuer, aux termes des statuts et d’un pacte d’associés, une mission de conseil et de surveillance du président de la société. La Cour d’appel retient en effet que l’intervention obligatoire dudit comité, en amont de toute opération dépassant un seuil de 15 000 euros, constitue une immixtion dans la gestion de la société en encadrant très étroitement les pouvoirs de direction du président qui se trouve, en conséquence, dénué de toute indépendance dans l’exercice de ses fonctions.
Cette décision incitera les juges à identifier, dans une SAS, les pouvoirs effectivement exercés par chacun, indépendamment de la dénomination retenue par les parties pour l’organe en charge de prendre les décisions. Le seul fait de conférer statutairement à un organe social une mission de surveillance ne pourra ainsi suffire à écarter le concept de direction s’il est démontré que cet organe est, en réalité, doté d’un pouvoir effectif de décision non ponctuel.
Fait intéressant, a ici été retenue, à l’encontre du comité de surveillance, la qualification de dirigeant de droit aux côtés du président, la Cour relevant en effet que les attributions du comité, telles qu’elles résultent des statuts et du pacte d’associés, excluent une gestion de fait.
Mais cette décision ne doit pas, en outre, faire oublier que toute personne s’immisçant de son propre fait dans la gestion d’une société, en particulier lorsque cette immixtion n’est pas justifiée statutairement par une quelconque mission de surveillance, peut voir sa responsabilité retenue en tant que dirigeant de fait.
C’est ce qu’a encore récemment rappelé la cour d’appel de Paris1 dans une affaire où le président du conseil de surveillance d’une société mère avait, d’une part, résilié un bail commercial conclu par la société fille et, d’autre part, s’était personnellement porté caution au moment de la signature de celui-ci, en garantie des obligations de la société fille (la résiliation dudit bail constituant un acte de nature à mettre fin à l’activité économique de la filiale). La Cour, relevant l’exercice d’une activité positive de gestion en toute indépendance a, dès lors, décidé de retenir à l’encontre dudit dirigeant de la société mère la qualité de dirigeant de fait.
Les dernières décisions incitent donc à la prudence lors de la définition des règles de gouvernance, la jurisprudence manifestant une volonté de sanctionner l’immixtion effective, que celle-ci se situe en dehors ou dans le cadre des règles statutaires ou extrastatutaires.
Il convient en revanche de relever qu’à l’égard des associés, la jurisprudence définit des conditions plus strictes pour reconnaître l’immixtion dans la gestion. Il ressort en effet de deux arrêts de principe (l’un rendu par l’Assemblée plénière le 9 octobre 20062 dans le cadre de la célèbre «affaire Tapie», l’autre par la Chambre commerciale le 12 juin 20123), que pour engager la responsabilité de la société mère, il ne suffirait plus de retenir uniquement l’immixtion de cette dernière dans la gestion de sa filiale, mais de démontrer que cette immixtion est fautive, en ce qu’elle crée une apparence trompeuse propre à permettre au créancier de ladite filiale de croire légitimement que la société mère était aussi son cocontractant.
1. CA Paris (pôle 05 ch. 08) 22 mars 2016 B. ; F. ; F. c/ SCP Brouard-Daudé.
2. Cass. Ass. plén. 9 octobre 2006
n° 06-11.056.
3. Cass. Com. 12 juin 2012