Les structurations des opérations de leveraged buy-out (LBO) ou de refinancement de dette, particulièrement en essor ces derniers mois, doivent tenir compte de certaines évolutions intervenues récemment en matière de déductibilité des charges financières. Revue de quelques problématiques appelant une attention particulière.
Par Jean-Charles Benois, avocat counsel en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity.
jean-charles.benois@cms-bfl.com et Sophie Delplancke, avocat en fiscalité. Elle intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés, que de leurs actionnaires et dirigeants.
Précisions jurisprudentielles sur le régime de lutte contre la sous-capitalisation
Outre les affaires SNC Saint-Gaudinoise et Ingram Micro rendues en matière de déductibilité des charges financières liées au financement d’opérations de rachat-annulation et de distribution de dividendes1, deux récentes décisions du Conseil d’Etat relatives au dispositif français de lutte contre la sous-capitalisation appellent plus particulièrement l’attention.
La première de ces décisions (CE, 19 juin 2017, n° 392543, société General Electric France) concerne l’appréciation du caractère normal (ou non) du taux d’intérêt porté par une dette vis-à-vis d’une entité liée à la société débitrice (voir à cet égard l’article infra «Présomption de garantie implicite intra-groupe : un débat enfin tranché par le Conseil d’Etat», par Thierry Granier et Johann Roc’h, p. 13).
La seconde apporte des précisions quant à la notion de «sommes laissées ou mises à disposition» par des entreprises liées (CE, 7 juin 2017, n° 388133, société LMG Finances), à laquelle renvoient les dispositifs français de limitation du taux d’intérêt et de lutte contre la sous-capitalisation.
En l’espèce, les associés de la société LMG Finances avaient apporté à celle-ci les titres d’une société et reçus en contrepartie de cet apport des obligations convertibles en actions (OCA). L’Administration a remis en cause la déductibilité d’une partie des charges financières supportées au titre de ces obligations, aux motifs notamment que le taux d’intérêt était supérieur au taux fiscal déductible et que les OCA représentaient plus d’une fois et demie le montant du capital social (situation dite de sous-capitalisation).
Le raisonnement de l’Administration avait été suivi par la Cour administrative d’appel. Devant le Conseil d’Etat, le contribuable soutenait que les OCA ayant été émises en contrepartie d’un apport et ayant vocation à être converties, ne constituaient pas une dette, mais davantage des quasi-fonds propres. Selon le contribuable, les OCA ne correspondaient donc pas à des sommes mises à la disposition de l’émettrice.
La Haute juridiction a cependant rejeté cette argumentation en rappelant que les charges financières supportées par la société émettrice venaient rémunérer une dette (i.e. les OCA) issue de «sommes mises à disposition», nonobstant les circonstances dans lesquelles cette dette avait pu être contractée. Ce faisant, le Conseil d’Etat retient une approche juridique au détriment de l’analyse économique que lui proposait le contribuable.
Cette décision participe d’un renforcement de la sécurité juridique en maintenant l’alignement du régime fiscal d’une charge supportée par une société sur la nature juridique des instruments émis par cette dernière. Il faut espérer que la même analyse juridique sera retenue s’agissant de contentieux en cours dans le cadre desquels certains services contrôleurs entendent, sur le fondement d’une prétendue analyse économique, requalifier en obligations des actions de préférence ouvrant droit à un dividende prioritaire afin de contester à l’actionnaire le bénéfice du régime mère-fille et de traiter lesdites actions comme une dette pour apprécier le levier financier de l’émettrice pour les besoins du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation. On ne manquera pas à cet égard de s’étonner de l’approche versatile de l’Administration faisant prévaloir, tel Janus, tantôt une analyse juridique, tantôt un raisonnement économique.
Le cadre normatif futur : une relative incertitude…
Si les décisions jurisprudentielles susvisées participent d’une clarification du régime actuel, la durée de vie de ce dernier reste cependant incertaine. En effet, les travaux BEPS (Base Erosion and Profit Shifting ou érosion de la base fiscale imposable et transfert de bénéfices) d’une part, et la directive ATAD (Anti Tax Avoidance Directive ou directive sur la lutte contre l’évasion fiscale) puis ATAD 2 d’autre part, sont susceptibles d’avoir une incidence à plus ou moins court terme sur les dispositifs connus du droit interne français en matière de limitation de la déduction des charges financières.
En particulier et pour mémoire, la directive ATAD prévoit notamment la mise en œuvre d’une règle de limitation de la déductibilité des «surcoûts d’emprunts» – cette notion pouvant se rapprocher du concept de charges financières nettes – en fonction de l’EBITDA de l’emprunteur, en plafonnant le montant des charges nettes ainsi déductibles à 30 % de ce ratio. Si la directive prévoit certains mécanismes d’atténuation (notamment la possibilité pour une société tête de groupe de se prévaloir de l’EBITDA, réalisé par le groupe, consolidé au sens comptable ainsi qu’une application limitée aux seuls emprunts contractés après le 16 juin 2016 et non amendés depuis cette date), elle reste susceptible d’avoir une incidence défavorable pour les sociétés holdings endettées qui ne réalisent en général pas ou peu d’EBITDA.
Par conséquent, on verra d’un œil favorable l’annonce de la Commission européenne selon laquelle la France a communiqué le 30 juin 2017 les éléments nécessaires pour demander la possibilité de différer la date à laquelle la directive ATAD devra être transposée dans le droit interne français. En effet, à défaut d’une telle communication, le dispositif relatif à la déductibilité des «surcoûts d’emprunts» aurait dû être transposé le 31 décembre 2018 au plus tard. Si la Commission européenne considère que le dispositif français actuel a des effets comparables à ceux induits par le dispositif de la directive, la France pourra différer la transposition de celle-ci jusqu’au moment où les Etats de l’OCDE seront parvenus à un accord sur un standard de règles, ou au plus tard jusqu’au 1er janvier 2024.
Les dispositifs hybrides de la directive ATAD 2 faisant intervenir des pays tiers à l’Union européenne, devraient par ailleurs avoir un impact sur le droit interne français. Cette directive vise un certain nombre de situations constitutives de dispositifs hybrides (un ensemble de procédés exploitant la différence de qualification d’un flux ou d’une entité retenue par deux Etats afin de bénéficier d’une double déduction ou double exonération d’impôts) et détermine des règles de neutralisation de leurs effets fiscaux favorables. Ces nouvelles règles doivent être transposées par les Etats membres au plus tard le 31 décembre 2019 pour une application au 1er janvier 2020. La directive ATAD 2 ne prévoyant pas de faculté de transposition tardive, ces règles seront applicables en droit interne à compter du 1er janvier 2020. Une telle transposition devrait à cet égard conduire à modifier la règle, d’ores et déjà prévue en droit français, de non-déductibilité des intérêts dus à un prêteur lorsque celui-ci est trop faiblement imposé à raison de ces intérêts.
Ces évolutions à venir doivent être anticipées dès maintenant par les groupes et fonds d’investissement dans le cadre de nouvelles opérations mais également pour s’assurer de la pérennité des structures de financement existantes.
1. Cf. notamment l’article «Distributions financées par emprunt : le juge fiscal veille au grain», par Laurent Hepp et Alexia Cayrel, Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity du 27 mars 2017.