La cour d’appel de Paris vient de statuer1, de manière inédite, sur le régime social applicable à des gains de bons de souscription d’actions (BSA) réalisés par des dirigeants-investisseurs. La solution rendue par cette juridiction inquiète autant qu’elle surprend.
Par Philippe Gosset, avocat en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des transactions et private equity que dans le domaine de la fiscalité des particuliers, actionnaires et dirigeants. philippe.gosset@cms-bfl.com et Maïté Ollivier, avocat en droit social. maite.ollivier@cms-bfl.com
Les faits remontent à 2004 quand, à l’occasion de l’entrée de Colony Capital au capital de la société Groupe Lucien Barrière, six dirigeants ont accepté de co‑investir en souscrivant des BSA de la société.
Colony Capital est par la suite sortie du groupe en 2009 et les dirigeants ont eu la possibilité, en vertu du contrat d’investissement, d’exercer leurs bons et de réaliser, lors de la cession des actions sous-jacentes, une plus-value de cession.
Dans le cadre d’un contrôle de la société Groupe Lucien Barrière, l’Urssaf d’Ile-de-France a considéré que les plus-values réalisées par les dirigeants constituaient des avantages octroyés en lien avec leurs fonctions et qu’elles devaient donc être soumises aux cotisations sociales sur l’intégralité de leur montant. Ce redressement a été contesté par la société, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris puis devant la cour d’appel de Paris.
La Cour d’appel a, dans son arrêt du 6 juillet 2017, confirmé le redressement et jugé que :
– l’attribution à un nombre réduit de personnes du droit de souscrire aux BSA constitue un avantage ;
– compte tenu des dispositions du contrat d’investissement (et notamment la présence d’une clause dite de «leaver»), l’avantage est considéré avoir été attribué en contrepartie d’un travail et ce, en dépit même du fait que les BSA représentent un investissement financier pour les dirigeants soumis aux aléas et aux risques inhérents à l’activité ;
– les cotisations peuvent en conséquence être appelées sur le montant total des plus-values réalisées, l’année de leur réalisation et non, comme le soutenait la société à titre subsidiaire, l’année de souscription des BSA qui était prescrite.
Cette décision est d’un intérêt tout particulier. En effet, si le juge de l’impôt a déjà eu plusieurs fois l’occasion de se prononcer sur des problématiques semblables, aucune décision n’avait, à notre connaissance, été rendue publique à ce jour en matière sociale.
Elle ne nous apparaît pour autant pas moins contestable.
La Cour fonde tout d’abord sa décision sur le fait que l’attribution à un nombre réduit de personnes du droit de souscrire aux BSA constitue en soi un avantage.
Or, la question qui devrait à notre avis se poser et qui n’a pas été tranchée par la Cour, est de savoir si la souscription a été réalisée à des conditions de marché ou à des conditions préférentielles. Si les BSA ont été payés à leur juste valeur, aucun avantage financier particulier ne devrait pouvoir être caractérisé, et ce même si la souscription a été limitée à un cercle restreint de personnes. Telle est schématiquement l’analyse qui a été adoptée en matière fiscale par le Comité de l’abus de droit fiscal et, par extension, par le juge de l’impôt en présence d’un investissement n’ayant pas un caractère «modique».
Par ailleurs, à supposer même que l’investissement ait été réalisé à des conditions préférentielles, il devrait être possible de soutenir que l’avantage se matérialise à la date de l’investissement et non, comme l’a jugé la Cour, à la date de cession des titres. Dès lors, les sommes soumises à cotisations sociales correspondraient à l’insuffisance de prix acquitté par le manager et non à la plus-value réalisée.
La décision à venir de la Cour de cassation est désormais très attendue.