L’appellation GloBE synthétise parfaitement, par les truchements respectifs de son sigle et de son acronyme, ses deux fonctions essentielles. D’une part, lutter de manière globale contre les dispositifs d’érosion de la base d’imposition («Global anti-Base Erosion»). D’autre part, taxer les revenus mondiaux des grandes entreprises à un taux minimal mondial convenu entre les membres du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 («Globe»).
Par Delphine Bocquet, avocat associée, PwC Société d’Avocats et Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats.
Après avoir déterminé le taux de l’impôt complémentaire, qui est la différence entre d’une part le taux d’imposition effectif calculé à partir de la base imposable GloBE et des impôts couverts des entités d’une juridiction et, d’autre part, le taux minimal qui sera prévu par la règle GloBE, l’impôt complémentaire à acquitter est calculé puis alloué au prorata aux différentes entités des juridictions concernées. Reste la dernière étape : quel Etat prélèvera et bénéficiera de cet impôt ?
L’impôt complémentaire (ou «top-up tax») n’abondera pas un budget mondial mais les budgets des Etats. Le Cadre inclusif propose à ses membres d’adopter, dans leurs législations nationales, deux règles : la règle d’inclusion des revenus (RIR) et la règle relative aux paiements insuffisamment taxés (RPII). Afin d’éviter que de multiples impositions se substituent à la sous-imposition, la coordination entre les juridictions est assurée par une règle de priorité : l’application de la RIR précédant et excluant celle de la RPII1.
La règle d’inclusion des revenus : une simple technique d’allocation de l’impôt complémentaire vers l’entité mère ultime du groupe
La RIR, qui s’inspire des traditionnelles règles CFC (que nous trouvons déjà en France à l’article 209 B du CGI), constitue la règle principale, prioritaire et primaire. Elle est, pour ainsi dire, le cœur des règles GloBE. Sa relative simplicité, comparée à la RPII, explique sans nul doute la préférence du Cadre inclusif pour cette règle.
En application de la RIR, toute société mère du groupe multinational qui possède, directement ou indirectement, une participation dans une entité étrangère à faible TEI est soumise à la «top-up tax» à hauteur de sa part au bénéfice de cette entité étrangère.
Pour éviter l’imposition en chaîne, i.e. par plusieurs juridictions de ces mêmes bénéfices, le Blueprint propose d’appliquer une approche descendante («top-down approach»). Ainsi, il appartiendra sauf exception (e.g. existence de joint-venture) à l’entité mère ultime du groupe de mettre en œuvre cette règle et de prélever la «top-up tax» au bénéfice exclusif de son Etat de résidence. Si ce dernier n’applique pas ladite règle, il incombera alors à la société mère suivante, c’est-à-dire à l’entité étrangère détenue directement par l’entité mère ultime, d’appliquer la RIR, et ainsi de suite.
Afin de lever l’obstacle juridique que constitue l’exonération (souvent prévue par le droit conventionnel) des établissements stables qui pourrait faire échec à l’application de la RIR, une clause de substitution (ou switch-over rule) est prévue. L’exonération devrait alors céder la place à la méthode d’imputation.
Cette règle, simple, se heurte à la souveraineté fiscale des Etats : il est impossible de leur imposer d’imposer !
La règle relative aux paiements insuffisamment taxés : une règle secondaire visant les paiements déductibles à un bénéficiaire insuffisamment imposé
La règle relative aux paiements insuffisamment taxés (RPII) est un «filet de sécurité». Elle s’appliquerait aux situations dans lesquelles des bénéfices réalisés dans une juridiction ayant un taux inférieur au taux minimum échapperaient à l’emprise de la RIR. En pratique, cette règle trouvera à s’appliquer, pour l’essentiel, à trois catégories d’entités à faible TEI : 1° celles établies dans l’Etat de résidence de l’entité mère ultime ; 2° celles contrôlées exclusivement, directement ou indirectement, par d’autres entités du même groupe qui sont établies dans des juridictions n’ayant pas adopté la RIR et 3° celles dans lesquelles une ou plusieurs entités du groupe détiennent une participation minoritaire à proportion de laquelle elles sont assujetties dans leur Etat de résidence à la RIR (le contrôle étant détenu par des sociétés du groupe non assujetties à une RIR)2.
La RPII impose aux entités dénommées «contribuables RPII» (i.e. aux entités du groupe établies dans des juridictions ayant transposé en droit interne la RPII) de limiter la déduction (ou de procéder à un ajustement d’un montant équivalent à la «top-up tax» qui lui revient) des paiements réalisés au bénéfice d’entités du groupe à faible TEI.
La «top-up tax» afférente à une entité étrangère à faible TEI est répartie essentiellement entre les contribuables RPII en proportion de leurs paiements déductibles à l’entité faiblement taxée par rapport à l’ensemble des paiements déductibles perçus par celle-ci. Si un reliquat existe, il est réparti entre ces mêmes contribuables en fonction d’une seconde clé de répartition (basée sur les charges nettes intragroupes). Des plafonds sont prévus à chaque étape.
La complexité de la RPII n’échappera à personne. D’autant qu’elle requiert un haut niveau de coordination au sein des groupes ainsi qu’entre administrations fiscales étrangères, à défaut duquel des impositions multiples du même revenu surviendront. A toutes fins utiles, le Cadre inclusif avance tout de même des pistes pour simplifier sa mise en œuvre. La solution la plus radicale, qui ne satisfera probablement pas les groupes, repose sur la création d’un nouvel impôt calqué sur la GloBE qui garantira, dans la juridiction qui l’instaure, un TEI au moins égal au taux minimal. D’autres pistes d’auto-certification par le groupe multinational de l’inapplicabilité de la RPII sont à l’étude.
Bien qu’animées d’un but commun, la RIR et la RPII se distinguent par leurs fonctions respectives desquelles découlent leurs périmètres réciproques. A cet égard, contrairement à la RIR qui ne constitue qu’une pure méthode de recouvrement de la «top-up tax», la RPII poursuit un objectif parallèle et spécifique de lutte contre l’érosion de la base d’imposition résultant de paiements intragroupes déductibles. De ce fait, ce filet de sécurité est imparfait puisqu’il laisse la possibilité de se soustraire à des «top-up taxes», notamment lorsque les entités faiblement imposées ne reçoivent pas de paiements intragroupes.