L’appellation GloBE synthétise parfaitement, par les truchements respectifs de son sigle et de son acronyme, ses deux fonctions essentielles. D’une part, lutter de manière globale contre les dispositifs d’érosion de la base d’imposition («Global anti-Base Erosion»). D’autre part, taxer les revenus mondiaux des grandes entreprises à un taux minimal mondial convenu entre les membres du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 («Globe»).
Par Delphine Bocquet, avocat associée, PwC Société d’Avocats et Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats.
Les pays s’entendent, pour l’essentiel, sur ces objectifs et les grands principes et paramètres clés animant les règles GloBE. En revanche, les points cardinaux de cette réforme de la fiscalité internationale (tels que son champ d’application personnel et les bornes auxquelles s’apprécie le taux effectif d’imposition – par groupe, par juridiction, par entité qui pourtant dessineront son architecture) demeurent, en l’absence d’accord politique et technique à ce stade, indéfinis. Le taux minimal d’imposition n’est pas non plus décidé à ce stade ; les exemples du dernier Blueprint en date du 12 octobre 2020 évoquent un taux minimal de 10 % à 12 %, ce qui peut donner une idée du niveau envisagé par l’OCDE.
Un consensus s’est tout de même formé sur les deux étapes fondamentales de détermination de l’impôt GloBE : le calcul du taux effectif d’imposition («TEI») – brut puis ajusté – suivi de celui de l’impôt complémentaire (ou «top-up tax»).
Dans le Blueprint, le Cadre inclusif privilégie une appréciation par juridiction (et non au niveau du groupe dans son ensemble ou par entité du groupe) du TEI avec néanmoins une allocation, par entité du groupe multinational, de l’impôt complémentaire. En d’autres termes, si un groupe multinational dont la société mère ultime A1 est résidente de l’Etat A, où il est taxé à un TEI supérieur au taux GloBE, exerce son activité par l’intermédiaire des filiales B1 et B2 dans l’Etat B lesquelles sont, ensemble, taxées à un TEI inférieur au taux GloBE, il fera l’objet d’une taxation complémentaire au titre des revenus dégagés par ces filiales dans l’Etat B avec une allocation individualisée de la top-up tax entre ces deux entités.
Le taux effectif d’imposition : clé de voûte des règles GloBE
Les règles GloBE s’articulent autour du TEI du groupe par juridiction, dont la formule de calcul n’a rien d’original : le TEI correspond au montant d’impôts attribués à la juridiction, divisé par le revenu GloBE alloué à cette même juridiction. Les termes de cette fraction font néanmoins l’objet de définitions spécifiques qui se départissent du TEI que les groupes calculent d’ores et déjà pour les besoins de leur consolidation. C’est donc un nouveau calcul spécifique que les groupes devront prévoir de réaliser pour les besoins de GloBE.
Le numérateur du rapport englobe ainsi, au titre d’une juridiction donnée :
(i) les impôts sur le revenu ou sur les bénéfices d’une entité, y compris les impôts sur les bénéfices distribués ;
(ii) les impôts qui remplacent un impôt sur le revenu généralement applicable (e.g. retenues à la source sur les intérêts, loyers, redevances, primes d’assurances, taxe au tonnage1, impôt sur le rendement présumé d’investissements à l’étranger) ; et
(iii) les impôts sur les bénéfices non distribués et les capitaux propres des sociétés.
Pour être éligibles, ces impôts (dits «impôts couverts») doivent encore se rapporter à des produits compris dans le revenu GloBE2.
Conformément à la philosophie qui sous-tend les règles GloBE, le traitement sous GloBE des subventions publiques et des crédits d’impôt suit en principe celui des règles comptables. L’OCDE étant néanmoins consciente du risque de modification des définitions comptables par les Etats et compte tenu des marges de manœuvre dont disposent parfois les groupes multinationaux dans le classement comptable, les crédits d’impôt remboursables font l’objet de dispositions dérogatoires. Il en résulte que les subventions publiques ainsi que les crédits d’impôt remboursables «qualifiés» (i.e. remboursables sous quatre ans sous réserve qu’ils n’entraînent pas de distorsion substantielle de concurrence – sur revue du Cadre inclusif) sont enregistrés en tant que produits du revenu GloBE alors que les crédits d’impôt remboursables «non qualifiés» et les crédits d’impôt non remboursables sont enregistrés en tant que réduction des impôts.
Le dénominateur du rapport du TEI agrège de son côté les montants de bénéfices et pertes du groupe multinational attribués à la juridiction au titre de la période, auxquels plusieurs retraitements spécifiques à GloBE sont appliqués3.
Dès lors que le TEI est défini par juridiction, il convient d’attribuer les revenus et les impôts du groupe aux différents Etats et territoires. Par principe, et sauf exception, le revenu est alloué à la juridiction de résidence ou de situs de l’entité (société ou établissement stable) qui l’a dégagé et l’impôt y afférent suit, en toute logique, l’attribution géographique du revenu.
Cette formule de calcul permet d’aboutir à un TEI dit «brut» dans la juridiction. Si ce TEI brut est égal ou supérieur au taux minimal d’impôt GloBE, alors les revenus du groupe attribués à cette juridiction ne feront pas l’objet d’un impôt complémentaire. Dans le cas contraire, ces revenus feront en principe l’objet d’une taxation complémentaire sous GloBE à moins que cet écart de taux d’imposition puisse être imputé à une différence temporaire (cf. ci-dessous).
Un taux effectif d’imposition à ajuster pour pallier les risques de volatilité
A défaut d’ajustements, l’emploi du seul TEI brut exposerait les groupes multinationaux à une application erratique et intermittente des règles GloBE dans des juridictions qui pourtant présentent, sur un cycle économique donné, un TEI supérieur au taux minimal.
Le Blueprint s’appuie, dans une logique de lissage du TEI, sur un dispositif familier aux fiscalistes : le report. Il aurait deux objets et objectifs distincts. D’une part, le report en avant des pertes GloBE par juridiction, qui serait illimité dans son montant et sa durée, garantirait qu’un groupe ne soit pas taxé au-delà de son bénéfice économique.
D’autre part, le report des excédents d’impôts locaux par juridiction (c’est-à-dire la fraction d’impôt acquitté au titre d’un exercice donné dans une juridiction définie qui excède l’impôt minimal sous GloBE), qui serait limité dans le temps, atténuerait le risque qu’une différence temporaire devienne permanente (et permettrait en outre à des différences permanentes de se compenser mutuellement)4.
Chacun de ces reports est donc, en principe, «tunnellisé» par juridiction.
Ainsi, un groupe multinational qui, au titre d’un exercice N, subit dans la juridiction B une charge fiscale supérieure à l’impôt minimal (TEI effectif de 28 % > taux minimal GloBE de 12 % par hypothèse) sur un revenu de 100, peut reporter, sur les exercices suivants, l’excédent d’impôt local de 16. Si, par exemple, son TEI brut, au titre de l’exercice N + 1, dans la juridiction B s’élève à 10, il pourra imputer 2 de son excédent d’impôt local de l’année précédente, ce qui portera ainsi son TEI ajusté à 12 % dans la juridiction B qui sera, partant, exclue du champ d’application des règles GloBE.
Il convient alors de confronter, de nouveau, ce TEI dit «ajusté» par juridiction au taux minimal d’impôt GloBE. S’il est inférieur à ce dernier, un impôt complémentaire («top-up tax») doit être alloué à chacune des entités du groupe rattachées à cette juridiction.
Un impôt complémentaire dont sont dispensés les revenus de routine marqués par un degré de substance
Bien que le mécanisme GloBE soit axé sur la lutte contre l’érosion de la base d’imposition, de sorte que les fonctions, risques et actifs les plus mobiles constituent ses cibles privilégiées (e.g. marques, brevets, franchise, etc.), des activités non exposées à ce risque, car assises sur des facteurs tangibles (tels que des salariés et des actifs corporels) peuvent tout de même se retrouver dans son champ d’application (et ce d’autant plus qu’elles bénéficient en pratique, à proportion égale de revenus, de davantage de crédits d’impôt et subventions publiques).
Le Cadre inclusif se propose donc d’exclure du calcul de l’impôt complémentaire GloBE, sur la base d’une formule arithmétique, un rendement fixe au titre d’activités ayant une substance menées dans la juridiction. Il est prévu que ce rendement corresponde à la somme (i) d’un pourcentage des charges salariales et (ii) de pourcentages de la valeur d’actifs corporels (i.e. immobilisations corporelles, terrains, ressources naturelles, droit d’utilisation du locataire d’un bien corporel) attribués à la juridiction5.
Détermination et paiement de l’impôt complémentaire
Partant, l’impôt complémentaire déterminé, par entité d’une juridiction dont le TEI ajusté est inférieur au taux minimal GloBE, correspond au revenu GloBE ajusté de cette entité multiplié par le taux de la «top-up tax» (sous réserve qu’elle ait un bénéfice net positif). En sachant que le taux de «top-up tax» reflète l’excédent du taux minimal GloBE par rapport au TEI ajusté de la juridiction sur la période.
A l’issue de ce processus complexe, chronophage et itératif, le quota de «top-up tax» est ainsi alloué entre entités appartenant à une juridiction faiblement imposée.
Comment est ensuite collectée cette «top-up tax» ? A titre principal, la règle d’inclusion des revenus (RIR) consiste à rendre la société mère ultime du groupe redevable de la «top-up tax». A titre de filet de sécurité, si la juridiction de la société mère ultime n’a pas adopté la RIR, la règle relative aux paiements insuffisamment taxés (RPII) consiste à rendre redevables de la «top-up tax» les entités du groupe qui effectuent des paiements vers les entités faiblement imposées.6
La démarche s’annonce donc fastidieuse pour les groupes multinationaux qui déploient leur activité, à travers le globe, sur une centaine de juridictions.