La lettre gestion des groupes internationaux

Décembre 2020

Pilier 1 – Quelles juridictions pourront imposer une fraction du profit consolidé du groupe (montant A) ?

Publié le 2 décembre 2020 à 10h33    Mis à jour le 3 décembre 2020 à 11h31

Les règles de territorialité relatives à Pilier 1 pour le calcul du montant A, que l’OCDE appelle «nexus», permettent l’imposition d’une activité sur un territoire donné sans nécessairement y avoir une présence physique, à la différence des règles de territorialité actuelles.


Par Pierre Escaut, avocat associé, PwC Société d’Avocats.


 

 

Le «nexus»

Ces nouvelles règles de nexus se superposent aux règles actuelles. Cela signifie qu’on continuera à qualifier des établissements stables au sens des conventions fiscales, mais on déterminera en outre s’il y a lieu ou non d’imposer une fraction du profit consolidé d’un groupe dans les Etats où des ventes sont réalisées (l’Etat de consommation).

Quelle est la signification pratique de ces nouvelles règles ? Supposons qu’un groupe donné soit dans le champ de Pilier 1. Il y aurait donc une allocation d’une fraction du profit consolidé de ce groupe aux différentes juridictions locales de marché où ce groupe génère du chiffre d’affaires. Cette fraction est le montant A qui sera réparti entre les juridictions de marché.

Mais ce ne sont pas toutes les juridictions de marché qui seraient impactées, et c’est là qu’intervient le nexus, qui établit un seuil de chiffre d’affaires minimum dans une juridiction donnée (globalement ou pour chaque segment considéré si Pilier 1 est appliqué par segment) pour qu’elle puisse y bénéficier de Pilier 1 et y imposer donc une partie du profit consolidé du groupe.

L’OCDE n’a pas encore déterminé quels seraient les seuils de chiffre d’affaires minimum. Ces seuils pourraient dépendre du PIB de l’Etat concerné ou de la taille des marchés.

Pour la détermination de ces seuils de chiffre d’affaires minimum, l’OCDE fait par ailleurs une différence entre les activités commerciales réalisées à distance (dites «ADS» soit «automated digital services»), et celles qui ne le sont pas (dites «CFB» soit «consumer-facing businesses»).

Pour les activités exercées à distance, il suffirait que ce seuil de chiffres d’affaires minimum soit atteint pour que Pilier 1 soit applicable dans une juridiction donnée qui pourrait donc imposer une fraction du profit consolidé du groupe.

Pour les activités qui ne sont pas exercées à distance, Pilier 1 s’appliquerait également mais sous des conditions plus strictes, tenant notamment compte du fait que les marges générées par ces activités sont généralement plus faibles, et pour ne pas générer de coûts de «compliance» trop élevés. Il y aurait en effet un seuil de chiffre d’affaires minimum plus élevé que celui concernant les activités exercées à distance, et l’OCDE n’exclut pas d’ajouter d’autres conditions telles que l’existence, dans la juridiction de marché, d’une filiale ou d’un établissement stable impliqués dans les ventes considérées.

L’OCDE envisage d’avoir une définition de l’établissement stable spécifique à Pilier 1, de telle manière que les mêmes critères s’appliquent dans tous les marchés, et d’éviter des discriminations en fonction des conventions fiscales applicables.

Sont à l’étude également un critère de présence physique de personnel pour une durée minimale et/ou un seuil de dépenses marketing relatives au marché local considéré, qu’elles soient engagées localement ou à l’étranger, par opposition à des dépenses globales ou régionales ; cela pourrait concerner en particulier des modèles de franchise ou de licence.

Par ailleurs, l’OCDE n’exclut pas d’ajouter pour toutes les activités un critère de durée ; ceci signifie que le chiffre d’affaires devrait atteindre un certain seuil plusieurs années de suite pour éviter d’appliquer Pilier 1 de manière ponctuelle du fait par exemple de certaines transactions exceptionnelles.


Les règles de «sourcing»

Pour définir quel chiffre d’affaires est réalisé dans une juridiction donnée, il faut définir par ailleurs des règles dites de «sourcing».

Elles ont une utilité double. D’abord, elles permettent de vérifier si les conditions de nexus qui viennent d’être décrites sont satisfaites, et donc de savoir si une juridiction donnée pourrait bénéficier d’un profit imposable supplémentaire au titre du montant A. 

Ensuite, une fois le périmètre des juridictions bénéficiant du montant A déterminé, le chiffre d’affaires serait utilisé pour répartir le montant A avec une clef d’allocation. Celle-ci serait basée sur le ratio chiffre d’affaires rattachable à une juridiction donnée divisé par la somme des chiffres d’affaires rattachables à toutes les juridictions.

Les règles de sourcing sont propres à chaque type d’activité. L’OCDE a ainsi établi une liste de critères, à prendre en compte dans un ordre prédéfini, pour déterminer le chiffre d’affaires à allouer à une juridiction de marché.

Nous n’allons pas entrer dans le détail des critères par activité mais donner un aperçu des principaux critères.

Pour les activités exercées à distance, il s’agit notamment de la géolocalisation de l’utilisateur sur la base de données GPS, ou de l’adresse IP dont une partie des chiffres renvoie à la localisation de l’utilisateur. Il est également possible de se référer au profil de l’utilisateur ; ce profil peut inclure des données relatives à sa localisation telles que son adresse, son numéro de téléphone ou la localisation de sa banque qui fera les paiements.

Pour les activités qui ne sont pas réalisées à distance, en cas de vente de marchandises aux clients, il s’agit de la localisation du magasin de détail qui vend directement aux clients ou de l’adresse de livraison au client ; en cas de ventes de services, il s’agit de l’adresse à laquelle le service est rendu ; en cas d’activités d’intermédiaire pour la vente de biens ou de services, il existe également des critères du même type pour localiser le vendeur et l’acheteur, et le chiffre d’affaires est partagé à égalité entre la juridiction du vendeur et celle de l’acheteur.

Il appartiendra aux groupes d’établir une documentation explicitant pour les différentes activités les critères de sourcing et les informations prises en compte, et les procédures de contrôle interne.

Les groupes ne seraient pas censés conserver les données afférentes à toutes les transactions compte tenu de leur volume et des règles de protection des données personnelles, mais ils devront pouvoir fournir des données agrégées en étant capables de démontrer, sur la base de leur contrôle interne, qu’elles prennent bien en compte toutes les données individuelles.

Pour éviter des litiges multiples dans les différents Etats où ils sont implantés, les groupes auraient la possibilité de se soumettre en amont à un contrôle de leurs procédures internes par un panel représentatif de plusieurs administrations fiscales.

En conclusion, sur la notion de nexus, on voit que de nombreux points restent à préciser, mais l’OCDE s’oriente vers un nexus prenant principalement en compte le chiffre d’affaires, avec éventuellement des conditions supplémentaires pour les activités qui ne sont pas exercées à distance. On s’éloignerait en toute hypothèse des règles de territorialité actuelles avec en particulier un droit d’imposer sans présence physique pour des activités réalisées à distance, et des critères différents de ceux des conventions fiscales.

S’agissant de la détermination du chiffre d’affaires soumis à Pilier 1, des règles de sourcing relativement complexes se dessinent. Ces règles donneraient lieu à des documentations spécifiques explicitant les critères retenus par activité. Les administrations fiscales feraient quant à elles des audits multilatéraux en amont, ou bien unilatéralement en aval dans le cadre de contrôles fiscaux.

Les entreprises verraient leurs résultats imposés pour partie dans de nouvelles juridictions, avec un impact sur leur taux effectif d’imposition. Elles devraient par ailleurs adapter leur système d’information et leurs règles de contrôle interne pour pouvoir appliquer les règles de sourcing


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