La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2020

La vie de directeur fiscal d’un groupe ayant une empreinte internationale peut aujourd’hui se rapprocher du cauchemar

Publié le 27 mars 2020 à 12h00

Renaud Jouffroy et Guillaume Glon

Par Renaud Jouffroy, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Lorsque la loi d’un Etat offre un régime favorable ou lorsque l’administration fiscale d’un territoire octroie un accord ou rescrit réduisant la charge fiscale de son groupe, le directeur fiscal peut, dans un premier temps, s’en réjouir. Cependant il devra, dans un second temps, se poser la question de savoir si ce régime ou cet accord n’est pas «trop» favorable et susceptible de tomber sous le coup des aides d’Etat. Depuis 2013, la Commission européenne a analysé plus de 1 000 rescrits fiscaux délivrés par les 28 Etats membres de l’Union à des entreprises multinationales. Son travail d’investigation s’est soldé à ce jour par quatre décisions ordonnant la récupération d’aides fiscales qui résultaient d’accords préalables sur les prix de transfert au motif que ceux-ci s’écarteraient du principe de pleine concurrence, qui toutes ont fait l’objet de recours en annulation. Après quatre années d’instruction, le Tribunal de l’Union européenne a rendu récemment son verdict dans les affaires Fiat et Starbucks et validé ce contrôle des prix de transfert par la Commission, sans nécessairement lui donner raison au fond.

Un autre sujet majeur qui aura une place de choix dans l’agenda des directeurs fiscaux sera celui de la déduction fiscale des charges à l’aune des nouvelles règles anti-hybrides. En effet, avant de déduire une charge, on doit désormais s’interroger sur le sort fiscal du produit correspondant entre les mains du créancier. Les nouvelles règles anti-hybrides, contenues dans les directives ATAD (pour Anti-Tax Avoidance), ont été transposées par l’article 45 de la loi de finances pour 2020 et peuvent avoir des conséquences non seulement sur la déduction des intérêts, mais également sur celle des redevances, achats de marchandises ou management fees.

La déduction fiscale des charges financières versées dans le cadre de financements intragroupes est également conditionnée à la démonstration de la conformité de ces charges au taux de marché. Plusieurs décisions récentes ont apporté des précisions sur les critères de recevabilité des comparables obligataires à cet égard. Cette matière demeure complexe et mouvante et il convient plus que jamais d’accorder une attention toute particulière à la justification du taux retenu dans ce type de transactions.

Nous verrons également que dans sa mise en place de règles anti-abus, le législateur doit s’attacher à ne pas instaurer, directement ou indirectement, de discriminations contraires aux libertés fondamentales du droit de l’UE. L’ancien article 212-I-b qui interdisait la déduction fiscale des charges financières par les entreprises établies en France lorsque l’entreprise prêteuse n’était pas soumise, sur les intérêts correspondants, à une imposition au moins égale au quart de l’impôt français pourrait entrer dans cette catégorie et justifier des réclamations de la part des contribuables.

La recherche d’une certaine stabilité des règles fiscales pour opérer sereinement avec une vision à long terme est vaine aujourd’hui. Le cadre inclusif sur le BEPS, qui rassemble 137 pays, a ainsi réitéré, à l’issue de sa réunion des 29 et 30 janvier derniers, son engagement à poursuivre les discussions pour mettre en œuvre une nouvelle approche (l’Approche Unifiée) visant à redéfinir la répartition mondiale des droits d’imposition (Pilier 1) en faveur des juridictions de marché, opérant ainsi un virage radical en matière de fiscalité internationale et de prix de transfert.

L’environnement est également plus contraignant et plus répressif. Outre les obligations documentaires et de «Reporting pays par pays», la directive européenne 2018/822 du 25 mai 2019 (dite «DAC 6») impose désormais aux contribuables et à leurs conseils de déclarer aux autorités fiscales les dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif lorsqu’ils remplissent certaines caractéristiques ou «marqueurs».

Pour se consoler, le directeur fiscal pourra se dire que la fiscalité des opérations des Etats eux-mêmes n’est pas toujours simple. Le 20 janvier 2020, le Conseil d’Etat a eu à connaître de trois affaires soulevant la question inédite de l’assujettissement à l’impôt français d’un Etat souverain, au cas particulier l’Etat du Koweït, à raison de ses investissements immobiliers situés en France. 


La lettre gestion des groupes internationaux

Imposition des Etats étrangers à raison de leurs investissements immobiliers français

Sébastien Delenclos, Alix Bréchet et Camille Diraison

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