«It’s the end of the world as we know it.» Le titre de cette chanson du groupe de rock américain REM sortie en 1987 pourrait opportunément être le thème d’une conférence dédiée à la fiscalité internationale tant le paysage a changé au cours des cinq dernières années et tant il changera au cours des mois et années à venir.
Par Renaud Jouffroy, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats
Tandis que le législateur français apporte les dernières touches aux dispositions législatives visant à mettre en œuvre les dispositifs et recommandations élaborés par l’OCDE en vue de lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices («base erosion and profit shifting» ou «BEPS»), l’OCDE poursuit avec détermination ses travaux en vue de résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. On ne pourra, à cet égard, que saluer la détermination et l’efficacité avec laquelle l’OCDE et le G20 ont fait progresser des sujets épineux et que beaucoup considéraient, il y a quelques mois encore, comme inextricables.
La présente lettre nous donnera l’occasion de faire un point sur la transposition en droit français de la directive (UE) 2017/952 du 29 mai 2017 relative à la lutte contre les dispositifs hybrides (dite «ATAD 2»). Cette directive, qui complète la directive (UE) 2016/1164 du 12 juillet 2016 (dite «ATAD 1»), a été adoptée en vue d’une mise en œuvre harmonisée au niveau européen des travaux BEPS de l’OCDE et en particulier de l’action 2 visant à neutraliser les effets des dispositifs hybrides pouvant notamment résulter d’une divergence quant à la qualification des instruments financiers et des entités. Nous présenterons les grandes lignes de la réforme dont l’ampleur pratique n’a sans doute pas encore été pleinement appréhendée par les entreprises. En effet, l’une des nouveautés majeures du nouveau dispositif est qu’il ne visera pas seulement les produits financiers mais tout «paiement». Cela signifie que la déductibilité d’un paiement effectué par une entreprise française au titre d’une redevance, d’un achat de marchandise ou de management fees devra être appréciée à l’aune de ces nouvelles dispositions. L’introduction de ces nouvelles règles aura également une incidence majeure sur les investisseurs immobiliers de toute nature et devra les conduire à s’interroger sur la déductibilité des charges d’intérêts dans le cadre des structures de financement actuelles et à venir. Une amorce de clarification, à l’aune d’une comparaison avec le dispositif actuel, apparaît opportune.
Dans le cadre de ses travaux visant à répondre aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie, le secrétariat du Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 a proposé, dans un document de consultation publique dévoilé le 9 octobre dernier, une «approche unifiée» visant à redéfinir la répartition des droits d’imposition en accordant aux juridictions de marché (c’est-à-dire aux Etats où se situent les consommateurs) le droit d’imposer une part accrue des profits des entreprises multinationales. Cette proposition ne vise pas les seuls acteurs de l’économie digitale, mais a vocation à s’appliquer à l’ensemble des multinationales engagées dans des activités à destination des consommateurs (B-to-C). Cette proposition, appelée «Pilier 1», doit être étudiée par les entreprises concernées avec la plus grande attention car elle est de nature à bouleverser les équilibres fiscaux en place, elle pose des questions innombrables en matière douanière et organisationnelle et elle engendrera à n’en pas douter d’épineuses questions de double imposition.
Nous évoquerons également la proposition de l’OCDE de lutte contre l’érosion de la base d’imposition (GloBE pour «Global anti-Base Erosion – «Pilier 2»). En effet, si les mesures issues du paquet BEPS ont permis de mieux aligner la fiscalité sur la création de valeur et de colmater un certain nombre de brèches qui étaient à l’origine de cas de double non-imposition, ces mesures n’offraient pas encore de solution complète face aux risques d’érosion ou de transfert de base fiscale vers des entités situées dans des juridictions à fiscalité nulle ou très faible. Cette proposition inspirée de la réforme fiscale américaine (Base Erosion and anti-Abuse Tax, Global Intangible Low-Taxed Income) rencontre aujourd’hui un soutien politique majeur. Ainsi, lors d’un discours à l’OCDE le 25 novembre 2019, le ministre des Finances français, Bruno Le Maire, a défendu l’instauration d’une imposition mondiale minimum de 12,5 % sur les bénéfices des entreprises.
Enfin nous évoquerons d’une part un arrêt rendu en octobre 2019 par le Conseil d’Etat dans une affaire Piaggo qui apporte un intéressant éclairage sur l’épineux sujet du transfert de clientèle en cas de réorganisation d’un groupe multinational et d’autre part les conventions fiscales concernées au 1er janvier 2020 par la prise d’effet progressive de l’instrument multilatéral de l’OCDE.