Après une introduction chaotique à travers deux dispositifs votés mais jamais appliqués, la prise en compte de la durée de détention des titres pour le calcul de l’impôt sur les plus-values de cession de valeurs mobilières est devenue effective en 2013.
Par Philippe Durand, avocat associé, PwC Société d’Avocats
La logique en est incertaine, s’agissant de titres détenus en tant que simple placement financier : l’investisseur ou l’épargnant est surtout soucieux d’éviter la dépréciation de son patrimoine ; c’est dans cette perspective qu’il réalise des arbitrages. Vouloir l’influencer quant à la durée de détention des titres qu’il détient répond à un objectif qui n’est ni légitime ni rationnel, que ce soit de son point de vue ou de celui des sociétés émettrices. La raison d’être de la mesure n’a en fait résidé que dans le souci de trouver un moyen d’atténuer les conséquences politiques et financières dommageables de l’assujettissement des plus-values au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Elle a eu pour principal effet d’orienter l’épargne en actions vers des produits permettant de réaliser les arbitrages en franchise d’impôt, notamment les PEA et les contrats d’assurance-vie en unités de compte.
Ce dispositif d’abattement pour durée de détention a par ailleurs engendré une complexité dont on n’a pas encore appréhendé toute l’étendue. Est-il utile de rappeler qu’il existe par ailleurs des mesures particulières pour les titres détenus par l’intermédiaire d’OPCVM comme pour ceux détenus par les dirigeants de PME ou leur famille pour les besoins de leur activité, et que ces abattements ne s’appliquent pas pour la CSG, ce qui oblige à une double liquidation pour le calcul des impôts ? Mais la complexité évoquée ici n’est pas tant celle assumée par le législateur que celle que celui-ci n’avait pas anticipée et à laquelle les contribuables et l’administration se trouvent confrontés.
La meilleure illustration, mais non la seule, en est fournie par le traitement des moins-values sur lequel le Conseil d’Etat a rendu sa décision le 12 novembre 2015 (CE N° 390265). Il s’agissait de statuer sur un recours pour excès de pouvoir contre l’instruction de l’administration commentant le dispositif qui s’est appliqué depuis 2013 : ne sachant trop comment traiter les moins-values au regard de l’abattement en fonction de la durée de détention des titres, l’administration avait indiqué que ce mécanisme devait s’appliquer aux moins-values comme aux plus-values.
A sa décharge, même si la loi ne mentionnait que les plus-values, il faut reconnaître que, par le passé, le mot «plus-values» employé par le législateur a été interprété par le juge parfois strictement, c’est-à-dire comme ne visant que les gains, parfois largement, c’est-à-dire comme englobant les résultats de cession, qu’ils soient positifs ou négatifs. Mais au cas particulier, l’interprétation algébrique, autrement dit faisant abstraction du signe positif ou négatif, paraissait peu plausible dans la mesure où, dès lors que l’intention proclamée du législateur était d’inciter à une détention durable, il n’était guère cohérent de limiter l’incitation aux titres sur lesquels apparaissaient des plus-values et de favoriser au contraire une détention courte sur ceux sur lesquels existait une moins-value. C’est un des motifs qui a conduit à l’annulation de l’instruction administrative par le Conseil d’Etat.
Cela étant, s’il était patent que la lecture du texte retenue par l’administration allait à l’encontre de l’intention du législateur, il était difficile d’imaginer que celui-ci ait souhaité que les moins-values soient pleinement déductibles alors que les plus-values n’auraient été que partiellement imposables du fait de l’application de l’abattement. Aussi, le Conseil d’Etat ne s’est pas borné à annuler l’instruction : il a donné sa propre lecture du texte, laquelle consiste à considérer qu’il convient d’abord de déterminer une plus-value nette globale, par compensation des plus ou moins-values, puis d’appliquer l’abattement pour durée de détention à ce solde.
Si cette solution semble la seule envisageable à loi inchangée, elle demeure une source importante de complexité et n’est pas nécessairement plus favorable aux contribuables que celle de l’instruction administrative annulée par le Conseil d’Etat.
Prenons l’exemple d’un contribuable ayant réalisé des plus-values pour un montant de 200 à raison de 120 sur des titres A détenus depuis neuf ans et de 80 sur des titres B détenus depuis cinq ans. Il réalise par ailleurs 100 de moins-value sur des titres C détenus depuis moins de deux ans.
1/ Si on prend la méthode de l’instruction annulée, la base imposable sera la suivante : sur les titres A (abattement de 65 %) : 120. 0,35 = 42 ; sur les titres B (abattement de 50 %) : 80. 0,5 = 40; sur les titres C : - 100 sans abattement. La base d’imposition est donc de 42 + 40 - 100 = - 18.
2/ En appliquant la solution retenue par le Conseil d’Etat, on commencera par compenser les gains et les pertes avant abattement soit : 120 + 80 - 100 = 100. Ce gain net de 100 provient des titres A pour 100. (120/200), soit 60, et des titres B pour 100. (80/200) = 40. On applique ensuite l’abattement de 65 % aux 60, soit un gain net imposable de 21, et celui de 50 % aux 40, soit un gain net imposable de 20. Le gain net imposable total est donc de 41. Cette solution aboutit ainsi à payer un impôt là où la méthode retenue par l’administration conduisait à une moins-value.
En reprenant l’exemple et en faisant varier l’ancienneté relative de détention des titres, on constate qu’avec la méthode de l’instruction annulée le résultat était d’autant plus favorable au contribuable que les moins-values provenaient de titres acquis depuis peu de temps, ce qui ne correspondait pas à l’objectif du législateur et incitait à un pilotage discutable.
La méthode préconisée par le Conseil d’Etat est neutre au regard de la durée de détention des titres sur lesquels ont été réalisées des moins-values ; mais cela peut éventuellement jouer au détriment du contribuable, comme l’illustre l’exemple. Elle n’est pas nécessairement simple, dans la mesure où il faut ventiler le gain net global entre les plus-values réalisées sur chacun des titres ayant contribué à alimenter la plus-value nette globale afin de pouvoir appliquer les abattements. Cela étant, elle est moins complexe pour le suivi des moins-values dans le temps. La complexité affectera surtout les contribuables qui doivent faire eux-mêmes la ventilation de l’abattement entre les différentes cessions ayant alimenté la plus-value nette globale, notamment ceux qui ont des comptes titres dans plusieurs établissements financiers. L’assurance-vie et le PEA ont donc encore de beaux jours devant eux, au détriment des recettes budgétaires de l’Etat que le législateur avait cru favoriser.