Les investissements immobiliers en France des non-résidents font l’objet d’un certain nombre de dispositions fiscales spécifiques dont le prélèvement d’un tiers sur les plus-values immobilières(1) et l’imposition forfaitaire à l’impôt sur le revenu sur une base égale à trois fois la valeur locative(2). La légitimité de cette fiscalité propre est aujourd’hui remise en cause.
Par Bernard Liger, avocat, associé et Blanche de Labarre, avocat.
Plusieurs décisions récentes sanctionnent les différences de traitement fiscal des investissements patrimoniaux immobiliers en France des résidents et des non-résidents, au titre de leur incompatibilité avec le droit européen. Plus particulièrement, est tranchée la question suivante :
L’investissement immobilier patrimonial à titre privé constitue-t-il une activité économique susceptible de justifier une différence de traitement, en vertu du droit de l’Union Européenne ?
Dans l’affaire Welte du 17 octobre 2013(3), les juges européens ont estimé que l’investissement immobilier patrimonial ne constitue pas une activité économique qui pourrait bénéficier de l’application de la « clause de gel » de l’article 64 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne. En vertu de l’article 63 du TFUE, toute différence de traitement constituant une restriction à la liberté de circulation des capitaux est prohibée entre les Etats Membres mais également avec les Etats tiers.
La « clause de gel » constitue l’exception permettant de justifier une atteinte à cette liberté : la restriction en cause devait exister au 31 décembre 1993 et doit concerner des investissements directs, y compris immobiliers. Dans l’affaire Welte, la CJUE a jugé que les investissements immobiliers purement patrimoniaux, effectués à des fins privées sans lien avec l’exercice d’une activité économique ne constituent pas des investissements directs visés par la « clause de gel ». Par une décision Kramer(4) du 26 décembre 2013, le Conseil d’Etat prend acte de la décision de la CJUE et modifie ainsi sa jurisprudence(5), d’ailleurs malmenée par les juridictions du fond(6). Le Conseil d’Etat se prononce sur l’application de l’article 164 C à des contribuables résidents fiscaux monégasques. Dans la mesure où les nationaux français résidents fiscaux monégasques sont traités comme des résidents, l’article 164 C ne leur est pas applicable, l’inégalité de traitement en résultant constituant une entrave à la liberté de circulation de capitaux.
Le Conseil d’Etat juge que la clause de gel n’est pas applicable car l’acquisition d’une résidence secondaire en France par les requérants n’avait pas été effectuée en vue de l’exercice d’une activité économique. L’investissement immobilier en cause à usage purement privé ne constituait donc pas un investissement immobilier direct, entrant dans le champ d’application de la « clause de gel ».Si le sort de la résidence secondaire en France à usage privé est désormais scellé, il appartient maintenant de délimiter la frontière entre investissement immobilier purement patrimonial et investissement immobilier pouvant être qualifié d’«économique ». En outre, cette décision pourrait entraîner une révision de l’application du prélèvement d’un tiers de l’article 244 bis A sur les plus-values immobilières réalisées par les résidents d’un Etat tiers à l’Union Européenne.
En effet, il est admis, de jurisprudence certaine, que la différence de traitement que subissent les non-résidents hors Union Européenne et les non-résidents ressortissants d’un Etat Membre qui bénéficient du taux de 19%, constitue une entrave à la liberté de circulation des capitaux.Seul était susceptible de justifier cette différence de taux l’application de la « clause de gel ». Dès lors que les investissements immobiliers patrimoniaux sont hors de son champ d’application, plus rien ne justifie l’application du taux d’un tiers.La fronde contre le prélèvement d’un tiers était d’ailleurs déjà lancée. Le Conseil d’Etat vient d’écarter l’application du prélèvement d’un tiers pour les résidents fiscaux suisses qui doivent désormais être traités comme des résidents d’un Etat membre et bénéficier du taux de 19% (7). A l’appui de cette décision, l’application de la Convention fiscale franco-suisse.
A la suite de l’arrêt Kramer, le Conseil d’Etat ne devrait pas tarder à se prononcer, pour les résidents de tous les autres Etats, sur le fondement du droit de l’Union Européenne.Ces avancées jurisprudentielles en faveur des non-résidents sont malheureusement insuffisantes pour réduire l’impact négatif que notre fiscalité fait peser aujourd’hui sur les décisions de ces derniers d’acquérir en France des actifs immobiliers et notamment des immeubles de grande valeur, mais c’est là un autre débat.
(1). Article 244 bis A du Code général des impôts
(2). Article 164 C du Code général des impôts
(3). CJUE 17 octobre 2013 aff. C-181/12, Welte c/ Finanzamt Velbert
(4). CE 26 décembre 2013 n°360488, min c/ Kramer
(5). CE 28 juillet 2011 n° , min c/ Holzer
(6). Voir par exemple, CCA Marseille 24 avril 2012 n°08MA04100
(7). CE 20 novembre 2013 n°361167