La lettre gestion du patrimoine

Mai 2015

Transfert du siège social : un régime facilité mais pas totalement neutre

Publié le 22 mai 2015 à 14h37

Patricia Emeriau, Blanche De Labarre, et Ji-Soo Kim, PwC Société d’Avocats

Au sein de l’Union européenne, le droit communautaire consacre le principe de la liberté d’établissement. Ainsi, «les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites»1.

Par Patricia Emeriau, avocat, Blanche De Labarre, avocat et Ji-Soo Kim, PwC Société d’Avocats

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a accordé une liberté d’établissement totale aux personnes physiques au fur et à mesure de sa jurisprudence, ainsi qu’aux personnes morales, en vertu de l’article 54 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, qui assimile les sociétés constituées dans un Etat membre aux personnes physiques. Ce principe trouve ainsi à s’appliquer dans le cadre d’un transfert de siège social d’une société de la France vers un autre pays de l’Union européenne.

En cas de transfert de siège au sein de l’Union européenne, la liberté d’établissement permet à la société de réaliser le transfert de son siège sans perdre sa personnalité morale, sous réserve de respecter les règles de transfert françaises et les formalités de constitution du pays d’accueil. C’est ce qui ressort de l’arrêt Vale Epitési du 12 juillet 20122. En l’espèce, la société de droit italien Vale avait demandé une radiation des registres italiens afin de transférer son siège social en Hongrie, et, aussitôt après, elle avait déposé une demande auprès des autorités hongroises dans le but d’enregistrer la société. Cette demande a été rejetée par le tribunal hongrois, qui a opposé que les dispositions du droit interne empêchaient d’enregistrer une société créée en Italie dans les registres hongrois. Ce refus a été par la suite maintenu par la juridiction de renvoi, qui a énoncé que, en droit hongrois, seules les transformations internes des sociétés peuvent être inscrites au registre. Or, cette hypothèse exclut la possibilité d’enregistrer la société née d’une transformation transfrontalière, comme l’était en l’espèce la société Vale.

La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 12 juillet 2012, rappelle la primauté du principe de la liberté d’établissement sur le droit national et affirme qu’une telle différence de traitement entre transformation interne et transformation transfrontalière constitue une restriction non justifiée à l’exercice de la liberté d’établissement.

Elle énonce ainsi qu’une société constituée dans un État membre doit être accueillie, sans perdre sa personnalité juridique, dans un autre État membre, à la suite du transfert de son siège social, sous la seule condition que sa forme sociale soit reconnue par l’Etat d’accueil.

Cependant, si le transfert de siège social est désormais admis sans que la société ne perde sa personnalité juridique, il nécessite tout de même l’accomplissement de certaines formalités.

Formalisme inhérent au transfert de siège

Lorsque la société transfère son siège à l’étranger et ne conserve pas d’établissement en France, il convient de procéder à sa radiation du Registre du Commerce et des Sociétés et à son immatriculation dans le pays d’accueil.

Le transfert de siège social doit être en principe décidé de manière unanime par les associés (C. com., art. L. 223-30), sauf en ce qui concerne les SA et les sociétés en commandite par actions, pour lesquelles une décision de l’AGE est suffisante dès lors que le pays d’accueil a conclu avec le pays d’origine une convention spéciale permettant l’immatriculation dans le pays d’accueil sans perte de la personnalité morale (C. com., art. 225-97). Cependant, cette possibilité reste théorique jusqu’à maintenant.

Lors de cette assemblée d’actionnaires, il conviendra, le cas échéant, de prendre les décisions nécessaires afin de rendre la société compatible avec les exigences du droit étranger qui s’applique.

S’ensuivent la signature des nouveaux statuts ainsi que la publication dans un journal d’annonces légales du projet de transfert de siège et son dépôt au greffe du tribunal de commerce français compétent. La société devra enfin être immatriculée dans le pays d’accueil et radiée du Registre du Commerce et des Sociétés du pays d’origine après dépôt d’une demande de radiation au greffe du tribunal de commerce compétent.

Suite à ces formalités, la société sera immatriculée dans le pays d’accueil, sans perdre sa personnalité juridique.

Le transfert de siège social, même au sein de l’Union européenne, s’accompagne donc de formalités relativement lourdes. Les greffes se montrent d’ailleurs assez réticents à réaliser de tels transferts de siège social.

En outre, le régime fiscal qui s’applique au transfert de siège social s’avère complexe, du fait de la distinction qui est opérée entre le transfert vers un Etat membre de l’Union européenne et celui vers un Etat tiers.

Aspects fiscaux du transfert de siège : état des lieux d’un régime fiscal complexe

En droit fiscal français, le transfert du siège social hors de France d’une société passible de l’impôt sur les sociétés entraîne traditionnellement toutes les conséquences fiscales de la cessation d’entreprise3.

Cependant, le législateur a modifié ce principe, en raison de la mise en conformité nécessaire de la fiscalité française avec le droit de l’Union européenne4.

Depuis le 14 novembre 2012, le régime fiscal applicable au transfert de siège social est différent selon que la société s’installe dans un Etat membre de l’Union européenne ou dans un Etat tiers5.

En cas de transfert intracommunautaire (ou en Islande ou en Norvège), le principe est désormais celui de la neutralité fiscale du simple transfert de siège social au sein de l’Union européenne. Mais cette neutralité fiscale n’est que partielle dès lors que le transfert de siège s’accompagne du transfert partiel ou total d’actifs de la société, quant à lui fait générateur d’imposition.

En effet, le transfert d’actifs hors du territoire français emporte des conséquences fiscales, l’imposition immédiate des plus-values latentes et des plus-values en report ou en sursis d’imposition constatées sur les immobilisations transférées. L’assujettissement à l’impôt sur les sociétés de ces plus-values peut cependant faire l’objet d’un paiement fractionné sur une période de cinq ans, sur option de la société, sauf pour la quote-part imposable de la plus-value sur les titres de participation.

Lorsque le transfert porte sur l’intégralité des actifs de la société, il entraîne la fin de l’assujettissement de l’impôt sur les sociétés en France et, ainsi, les conséquences fiscales de la cession d’entreprise.

En cas de transfert du siège social dans un Etat tiers à l’Union européenne, celui-ci entraîne les conséquences d’une cessation d’entreprise et l’imposition immédiate des bénéfices d’exploitation de l’exercice en cours, des bénéfices en sursis d’imposition et des plus-values latentes constatées sur les actifs immobilisés de la société. La société perd également tout droit au report des déficits antérieurs au transfert.

Pour les actionnaires de la société délocalisée, le régime fiscal est en revanche binaire

Lorsque le transfert du siège social est effectué vers un Etat membre de l’Union européenne (Islande et Norvège), celui-ci est fiscalement neutre pour les associés et n’entraîne ainsi l’exigibilité d’aucune imposition.

Contrairement aux règles applicables en matière d’impôt sur les sociétés, la neutralité fiscale est applicable, que le transfert de siège soit concomitant ou non avec un transfert des actifs immobilisés de l’entreprise. En effet, dans le silence législatif, l’administration fiscale a précisé que le transfert n’entraîne pas les conséquences fiscales de la cessation d’entreprise pour les associés, même en cas du transfert de la totalité des actifs de la société6, permettant ainsi l’uniformisation du régime applicable.

Lorsque le transfert du siège social s’effectue vers un Etat tiers, le régime fiscal de la cessation d’entreprise s’applique également à l’égard des associés. Les bénéfices et réserves de la société sont réputés distribués aux associés, au prorata de leurs droits, lorsque le transfert d’actifs entraîne la fin de l’assujettissement de la société à l’impôt sur les sociétés en France7.

Pour les associés personnes morales bénéficiant du régime mère-fille, cette imposition pourra sembler tolérable, avec un taux effectif d’imposition des sommes à 1,72 %. Lorsque les associés sont des personnes physiques, l’absence de neutralité fiscale entraîne l’assujettissement des sommes réputées distribuées à la fiscalité des dividendes, soumis à un taux effectif marginal d’imposition de 44 % (en incluant la contribution sur les hauts revenus8 et la part déductible de la CSG).

La complexité du régime fiscal du transfert de siège ne doit pas cependant occulter d’autres aspects juridiques et fiscaux liés à celui-ci en France. Ainsi, le transfert du siège social doit correspondre à un réel transfert du siège de direction effectif de la société, afin que la réalité de l’implantation de la société à l’étranger ne puisse être remise en cause par l’administration fiscale française.

En outre, en cas de départ de France des associés postérieur au transfert de siège, leur participation dans la société sera suivie et tracée, pendant au moins quinze ans, par l’administration fiscale, par l’«exit tax». Une fois non résidents, ils échapperont à l’ISF en France, sur leur participation dans la société désormais étrangère, sauf sur la valeur des actifs immobiliers français inscrits au bilan (sous réserve de l’application d’une convention fiscale). La délocalisation de la société et de ses associés à l’étranger n’empêche donc en rien le droit de regard de l’administration fiscale.

1. Article 49 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne

2. CJUE, 12 juill. 2012, aff. C-378/10, Vale Epitesi Kft.

3. Article 30 de la troisième loi de finances rectificative pour 2012 du 29 décembre 2012

4; Arrêt de la CJUE National Grid Indus BV, 29 novembre 2011, aff. 371/10 Gr. ch.

5. Article 221, 2 du Code Général des impôts

6. BOI-IS-CESS-30 n°100

7. Article 111 bis du Code général des impôts

8. Taux de 4% lorsque le revenu net imposable d’un couple est supérieur à 1 000 000 euros


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