Le grand Débat

Infrastructures : l’innovation et l’ESG portent les financements

Publié le 27 octobre 2023 à 11h00

Sandra Sebag    Temps de lecture 40 minutes

La hausse des taux d’intérêt a profité aux fonds de dette infrastructure. Les rendements se sont ajustés mécaniquement, tandis que les spreads ont souvent pu être maintenus par les gérants. L’ajustement est en revanche moins rapide concernant les investissements en fonds propres, cependant les gérants constatent de nombreuses opportunités sur le marché secondaire. L’optimisme des gérants est également porté par les besoins immenses en matière de transition énergétique et digitale. Ils nécessitent la mobilisation des investisseurs institutionnels, mais aussi de toutes les sources d’épargne, y compris celle des particuliers. Pour convaincre, les gérants mettent l’accent sur le développement durable, la lutte contre le réchauffement climatique et l’innovation.

Avec de gauche à droite : Bérénice Arbona, responsable de l’équipe dette infrastructure de LBP AM ; Philippe Garrel, directeur des fonds de transition énergétique de Sienna Private Credit ; Charlotte Lavit d’Hautefort, directrice des activités de dette infrastructure au sein de Schelcher Prince Gestion ; Jean-Francis Dusch, directeur de la gestion en dette d’infrastructure, membre du comité exécutif, chez Edmond de Rothschild Asset Management ; Thibault Richon, directeur des activités infrastructures chez SWEN Capital Partners.

Tendances de marché

Quel est l’impact de la hausse des taux d’intérêt et de l’inflation sur le financement des infrastructures ?

Charlotte Lavit d’Hautefort, directrice des activités de dette infrastructure au sein de Schelcher Prince Gestion : La conjoncture est positive pour les infrastructures et en particulier pour les instruments de dette. « Infrastructure is a winner » était une conclusion récente du salon IPEM qui s’est tenu à Paris entre le 18 et le 20 septembre. En effet, les stratégies de dette infrastructure qui privilégient le taux variable comme la nôtre bénéficient de la hausse des taux d’intérêt et même de celle des spreads pour la dette junior, tout en restant protégées contre l’inflation, du fait de la résilience propre à cette classe d’actifs. Le couple rendement/risque de la dette infrastructure s’en trouve aujourd’hui amélioré. En matière de levées de fonds, il faut toutefois être plus nuancé. Il existe un certain attentisme des investisseurs, compte tenu de l’incertitude macroéconomique. En matière de dette privée, cet attentisme est aussi lié à ce qui s’appelle l’effet dénominateur, produit par la baisse de valeur des actifs cotés, qui n’est pas résorbé. Le contexte récent a encore renforcé la prise de conscience des besoins massifs d’investissement en infrastructures qui sont des actifs essentiels pour apporter des solutions concrètes en matière de préservation de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. C’est l’un des vecteurs forts d’intérêt de la classe d’actifs pour les investisseurs qui peuvent ainsi flécher leurs investissements vers des emplois qui ont une contribution environnementale ou sociale positive, tout en bénéficiant de rendements élevés. Nous privilégions ainsi la dimension transition énergétique et digitale dans nos investissements.

Jean-Francis Dusch, directeur de la gestion en dette d’infrastructure, membre du comité exécutif, chez Edmond de Rothschild Asset Management : Cette année, nous avons bénéficié en tant que gérant de produits de dette de la hausse des taux d’intérêt, mais les investisseurs nous ont plutôt jugés sur notre capacité à maintenir un certain niveau de spreads. Nous avons réussi sur la dette senior à maintenir un spread de 250 points de base (pb), le rendement passant alors à 6 %. Sur les fonds juniors BB, le spread ressort à 550 pb, le rendement total dépassant les 10 %. Il faut être capable de conserver le même niveau de spreads, de continuer à structurer des actifs face à des sponsors qui souhaitent parfois imposer des garanties plus légères (cov-light). En ce qui nous concerne, nous n’avons pas modifié les exigences de nos fonds en termes de structure et qualité de crédit. Nous avons été aidés par le fait que, certains contrats étant indexés sur l’inflation, les sponsors ont pu continuer à générer des TRI (taux de rendement) parfois à deux chiffres. Le contexte de taux d’intérêt n’a finalement pas modifié notre activité, qu’il s’agisse d’opérations « greenfield » (avant construction) ou de refinancement, les emprunteurs n’ayant pas fondamentalement ralenti l’activité sur ce dernier volet. Il ne faut pas oublier non plus que même si nous sortons d’un cycle de dix ans de taux d’intérêt bas voire négatifs, nous avions précédemment l’habitude de travailler avec des niveaux de taux d’intérêt à 4 ou 5 %. Les niveaux actuels de taux d’intérêt correspondent à ce que nous avions connu avant 2014, au moment du lancement de notre activité. Nous avons ainsi déjà l’habitude de travailler avec de tels niveaux, ce qui nous a permis d’aborder ce changement de façon sereine. Concernant les levées de fonds, nous avons fini une levée en fin d’année dernière et nous sommes retournés sur le marché au mois d’avril. Nous constatons que les investisseurs se posent davantage de questions qu’il y a quelques mois, peut-être parce qu’ils ont à leur disposition des solutions de remplacement à la dette infrastructure. Mais l’appétit reste très fort et, concernant la première phase de notre dernière levée de fonds, nous sommes satisfaits. Nous constatons que les gérants d’actifs qui possèdent un bon historique de performance ne rencontrent pas de difficultés à lever des fonds. Nous parvenons à convaincre des investisseurs de renouveler leurs placements dans nos fonds, mais aussi de nouveaux investisseurs institutionnels qui s’intéressent à la classe d’actifs. Sur le volet dettes, nous sommes toujours sur un marché en croissance.

Bérénice Arbona, responsable de l’équipe dette infrastructure de LBP AM : Le changement de paradigme au niveau des taux d’intérêt n’a pas modifié l’appétit des investisseurs pour les infrastructures. En revanche, s’il est vrai que jusqu’à récemment les fonds infrastructure equity ont pu attirer des allocations très conséquentes, nous observons désormais une attractivité plus forte de la dette infrastructure. En effet, le rendement de la dette infrastructure se construit à partir du taux d’intérêt plus une marge de crédit. Aujourd’hui, avec la hausse des taux d’intérêt, le rendement offert sur de la dette infrastructure correspond à ceux servis il y a un an ou deux par certains fonds en infra equity core. La valeur relative de la sous-classe d’actifs dette dans la classe d’actifs infrastructure est meilleure aujourd’hui. Elle attire de ce fait de nouvelles catégories d’investisseurs. Avec un rendement à 6 % sur la dette senior et un rendement compris entre 8 et 10 % pour de la dette junior, les family offices s’intéressent à la classe d’actifs. Pour rappel, il s’agit d’une classe d’actifs défensive investie dans les actifs réels et qui, en plus, peut aider à la transition énergétique, avoir une utilité sociale… La conjoncture n’a jamais été aussi favorable, même si, en valeur absolue, le marché devient plus compliqué eu égard à l’effet dénominateur. Les investisseurs institutionnels ont moins d’argent à y consacrer et ont réinvesti dans des actifs liquides sur lesquels les rendements sont redevenus attractifs. Pour attirer les investisseurs institutionnels, il faut continuer à délivrer la promesse d’une prime de complexité et d’une prime d’illiquidité qui est la proposition de valeur sur notre classe d’actifs. Concernant les investissements, nous avons constaté moins d’opérations de refinancements opportunistes, un ralentissement sur les fusions et acquisitions (M&A) et, de manière générale, les opérations prennent plus de temps à sortir en raison de l’adaptation au nouvel environnement économique. En revanche, nos portefeuilles de projets restent très sains et le pipeline de nouvelles transactions est nourri.

Thibault Richon, directeur des activités infrastructures chez SWEN Capital Partners : J’ai pour formule : « infrastructure is the future ». Cette classe d’actifs est centrale pour nos économies. Tout en constatant le même environnement de marché que celui qui vient d’être décrit, je note que les taux d’intérêt réels restent assez bas. En ce qui concerne l’infrastructure equity, l’ajustement des valorisations au nouveau contexte de taux d’intérêt a été plus lent que sur la dette. Actuellement, dans le cadre des opérations avec sponsors, un écart se creuse entre les prix proposés par les acheteurs et ce que peuvent espérer les vendeurs. Cela crée un hiatus en termes d’activité et de liquidité sur le marché. Certains détenteurs d’actifs ne jugeant pas les conditions idéales pour sortir et qui ne sont pas pressés par les durées de détention préfèrent conserver leurs actifs. D’autres, ayant plus de pression pour démontrer un historique de performance ou pour rendre de la liquidité aux investisseurs, entrent dans des stratégies structurées pour créer de la liquidité via des opérations secondaires, notamment via des fonds de continuation. En matière de levées de fonds, nous assistons à une polarisation entre, d’une part, des fonds de taille toujours plus importante qui capturent une part croissante des allocations des investisseurs institutionnels qui en période d’incertitude considèrent qu’il reste plus sûr de sélectionner des acteurs établis et, d’autre part, les fonds émergents et/ou de taille plus petite qui peinent davantage à lever des capitaux dans cet environnement. Il y a aussi un effet embouteillage sur le marché, les durées de collecte se rallongent, avec des marges de manœuvre contraintes chez les institutionnels du fait de l’effet dénominateur. Seulement 9 milliards d’euros ont été levés par 27 fonds au premier semestre 2023, à comparer aux 175 milliards d’euros levés en 2022 (par 137 fonds) et 145 milliards d’euros levés en 2021 (par 191 fonds). Soulignons néanmoins que depuis 2008 la classe d’actifs a été particulièrement résiliente, elle a bien passé toutes les crises, cela devrait être de nature à convaincre les investisseurs institutionnels.

Philippe Garrel, directeur des fonds de transition énergétique de Sienna Private Credit : Nous nous positionnons sur un segment particulier, à savoir les financements sub-investment grade dédiés aux infrastructures de la transition énergétique, et essentiellement les énergies renouvelables. Ces actifs ont passé sans encombre le Covid, le conflit en Ukraine ; ils se sont avérés très résilients dans la période récente. Sur la partie taux, étant historiquement spécialisés en dettes subordonnées, nous octroyons souvent des financements de projets à taux fixes. En la matière, nous constatons que les ajustements en termes de pricing ont pris du temps. Il y a beaucoup de liquidité dédiée aux projets de type énergies renouvelables, ce qui a permis à la classe d’actifs de bénéficier de taux attractifs. Les premiers changements significatifs de valorisation sont intervenus il y a six mois, c’est-à-dire avec un certain décalage par rapport aux marchés cotés. Nous ne sommes pas encore tout à fait au bout du repricing. Aujourd’hui, les investisseurs considèrent que la dette infrastructure est intéressante par rapport aux autres classes d’actifs, notamment vis-à-vis des obligations gouvernementales qui ont fortement corrigé l’an dernier. Les financements d’infrastructures permettent aujourd’hui de bloquer des taux d’intérêt attractifs, y compris en dette senior dans un environnement très favorable pour la classe d’actifs. En matière d’investissement, les besoins sont en effet immenses. Nous assistons au développement de l’électrification des usages qui s’accélère depuis deux ans sous l’effet de la nécessité de lutter contre le dérèglement climatique et, pour l’Europe, de devenir indépendante du point de vue énergétique. L’électrification des usages va demander des investissements colossaux dans les vingt prochaines années dans la transition énergétique, et en particulier dans le renouvelable. Il est important que tous les investisseurs prennent conscience de l’importance des investissements à venir et qu’ils intègrent la composante impact au classique couple risque/rendement. La classe d’actifs infrastructures est certes peu liquide, mais elle est très résiliente et elle est indispensable pour mener à bien la transition énergétique.

Charlotte Lavit d’Hautefort, directrice des activités de dette infrastructure au sein de Schelcher Prince Gestion

Si on considère les chiffres en Europe, les volumes d’investissement nécessaires à la transition énergétique correspondent à 2 % du PIB par an, tandis que les Etats ne pourront y consacrer que 0,5 %.

Schelcher Prince Gestion - Données clefs 

  • Effectifs dans l’expertise : 7 professionnels
  • Encours dans l’expertise : 650 millions d’euros au 31/12/2022
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : La plateforme Infrastructure Transition offre aux investisseurs l’opportunité de profiter de revenus générés par des actifs de dette infrastructure, senior et junior, tout en bénéficiant d’un impact extra-financier en orientant leur épargne vers les secteurs de la transition énergétique et digitale. L’équipe, très expérimentée, a été parmi les premières à financer des actifs d’infrastructure dans des secteurs tels que les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la mobilité verte ou encore les infrastructures digitales.

Comment convaincre les investisseurs institutionnels ?

Thibault Richon : Dans ces moments délicats où les allocations des investisseurs sont sous contrainte, les sociétés de gestion doivent être en mesure de générer de la liquidité sur leurs fonds d’infrastructures. Si le marché M&A est ralenti, le marché secondaire, en plein boom depuis quelques années, peut prendre le relais via des opérations « GP-led » ou « LP-led ». Les solutions secondaires devraient contribuer à faire tomber les derniers freins des investisseurs institutionnels. Par ailleurs, je constate que les investisseurs conservent ou créent des allocations plus volontiers lorsqu’elles sont dédiées aux infrastructures durables et à la pleine intégration de l’ESG dans les investissements. Ces stratégies se démarquent donc particulièrement dans le contexte de marché actuel.

Jean-Francis Dusch : Nous observons une accélération ces deux dernières années autour des thématiques de développement durable et de la transition énergétique. Ces stratégies sont passées d’un « nice to have » à un « must to have ». L’Europe a fait le pari de la transition énergétique et de la digitalisation des infrastructures. Les investisseurs, poussés par le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure), vont investir dans les infrastructures à travers les deux volets : la dette et les fonds propres. Nous sommes, de notre côté, optimistes et constatons un alignement d’intérêt entre la volonté des institutions européennes, des investisseurs et la capacité des gérants à proposer des solutions. Notre vision de la transition énergétique porte sur tous les secteurs : les énergies renouvelables, le stockage, la mobilité verte, les infrastructures sociales, l’efficience énergétique, la décarbonation des services publics… L’univers devient très diversifié. Nous parvenons ainsi à construire une stratégie qui concerne tous les secteurs traditionnels des infrastructures.

Bérénice Arbona : Lors des rencontres InfraWeek qui se sont tenues le 10 octobre, le ministre de l’Industrie a indiqué que les besoins de financement en infrastructures de transition énergétique en France devraient s’élever à 60 milliards d’euros par an dans les années à venir. A mettre en perspective avec les 4 milliards d’euros qui ont été investis en infrastructures bas carbone en 2022. La transition énergétique constitue ainsi un immense défi, une nouvelle révolution industrielle. Les investisseurs sont conscients de ces enjeux et des opportunités qui s’y rattachent, mais pour leur décision d’investissement, ils ont besoin de rendements et d’un historique de performance. Si, en plus de ces deux conditions, un investisseur peut justifier d’un investissement dans des solutions a minima conformes avec l’article 8 du règlement SFDR, voire avec l’article 9, et avoir de l’impact, cela constituera un argument supplémentaire en faveur de cet investissement. Dans ce cadre, la société de gestion doit être crédible en matière d’ESG et avoir la capacité de produire un reporting extra-financier solide. Pour nous, cela passe par des moyens, du traitement de données sur l’ensemble du portefeuille, ainsi que par une analyse extra-financière fouillée intégrant également les externalités négatives, venant s’ajouter aux analyses juridiques et financières classiques.

Philippe Garrel : Les investisseurs institutionnels sont fortement mobilisés par les autorités pour donner une place importante à ce type de fonds dans leurs investissements. Les évolutions réglementaires en cours telle que la Loi Industrie Verte contribueront à ajouter des incitations en ce sens. Il y a aussi une prise de conscience grandissante des investisseurs particuliers servis par les investisseurs institutionnels qui sont en attente de sens donné à leur épargne, leur retraite, etc… Nous sommes convaincus que le triptyque performance, risque, impact sera à court terme au centre des préoccupations des institutionnels. Les fonds articles 9 prennent ainsi tout leur sens car ils apportent un engagement fort, dans la durée, sur la démarche impact des équipes de gestion.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Les investisseurs recherchent à la fois le rendement et la performance extra-financière (ESG). Nous considérons que ces deux notions ne doivent pas être opposées. Nous estimons au contraire que la performance extra-financière nourrit la performance financière. Les entreprises et les projets qui prennent aujourd’hui le pas de la transition énergétique seront les gagnants de demain. Notre groupe possède aussi une forte conviction dans ce domaine. Cette intégration ESG est aussi contrainte par la réglementation, qui cherche à diriger les flux de financement vers la transition énergétique et la décarbonation.

Bérénice Arbona, responsable de l’équipe dette infrastructure, LBP AM

Aujourd’hui, avec la hausse des taux d’intérêt, le rendement offert sur de la dette infrastructure correspond à ceux servis il y a un an ou deux par certains fonds en infra equity core.

La banque postale AM - Données clefs

  • Effectifs dans l’expertise : l’équipe actifs réels et privés infrastructure comprend 6 gérants avec de nombreuses années d’expérience en dette infrastructure
  • Encours sous gestion dans l’expertise : 2,6 milliards d’euros investis depuis 2013, dont plus de la moitié l’a été sur des projets potentiellement éligibles à la taxonomie européenne et en lien avec la transition énergétique
  • Philosophie d’investissement : Investissements de type « buy & hold » pour financer l’économie réelle avec un focus sur la dette senior sécurisée en euros, paneuropéenne, avec une forte sélectivité et une approche défensive. Une analyse crédit robuste, financière et extra-financière, basée sur une approche propriétaire. Une approche flexible en termes de formats d’investissement et d’instruments, diversité géographique et sectorielle. La recherche de la prime d’illiquidité, d’actifs non corrélés aux marchés publics et protégés de la volatilité.

La démocratisation peut-elle constituer un relais de croissance à la clientèle institutionnelle ?

Philippe Garrel : La démocratisation est certainement un relais de croissance, mais la gestion de la liquidité est un facteur clé. Nous le constatons actuellement avec les fonds immobiliers à destination des particuliers. Il existe certainement des enveloppes dédiées aux particuliers qui sont plus propices aux actifs non cotés de long terme, comme le PER (plan d’épargne retraite). Nous ne sommes qu’au tout début de la démocratisation des actifs réels. Les particuliers sont potentiellement très sensibles aux enjeux climatiques et écologiques. Les produits devront être adaptés, en associant par exemple des actifs cotés et non cotés.

Bérénice Arbona : Nous avons lancé l’an dernier une première unité de comptes en infrastructure qui a rencontré, effectivement, un certain succès auprès du grand public. Il y aura sans doute des prochains millésimes. Cette classe d’actifs est intéressante pour une clientèle de particuliers. Pour les gérants, elle implique au préalable de mettre en place un mécanisme permettant d’assurer la liquidité pour le client final.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Le mouvement de démocratisation est récent en Europe. Il s’agit d’une tendance de long terme. Les particuliers ont de l’appétit pour des fonds verts avec des thématiques concrètes liées à l’économie réelle. Nous allons prochainement annoncer une initiative pour rendre cet investissement très institutionnel accessible à certains particuliers.

Thibault Richon : Clairement, mais tous les investisseurs n’ont pas le même niveau de maturité et de connaissances sur ce marché. Il y a beaucoup de pédagogie à mener lorsque nous nous adressons à des particuliers. L’un des défis procède de la structuration d’une offre avec les contraintes juridiques et réglementaires qui s’imposent pour cette clientèle. Notre volonté est d’offrir la même qualité de gestion institutionnelle aux investisseurs privés en alignant les caractéristiques de nos stratégies d’investissement (performance attendue, ESG, liquidité, diversification, etc.). Nous avons justement construit un produit à destination d’une clientèle privée en fin de levée de notre fonds institutionnel et bénéficiant de l’ensemble du deal flow embarqué sur les opérations secondaires et de co-investissement. Cela nous permet de maintenir une duration d’une dizaine d’années, tout en maintenant un alignement d’intérêt entre les différents véhicules.

Jean-Francis Dusch : Nous essayons tous de capturer les différentes poches de liquidité. La dette infrastructure reste naturellement un produit institutionnel. Toutefois, la clientèle privée, dans le contexte de taux d’intérêt actuel, peut avoir un intérêt pour cette classe d’actifs. Il est possible de créer des produits spécifiques pour les particuliers avec différents types de format qui permettent d’augmenter la liquidité. Nous nous y intéressons aussi car les besoins en matière de financement sont immenses.

Bérénice Arbona : Nous sommes dans un moment rare où la réponse financière devance la réponse politique. La taxonomie permet d’orienter les investissements et les financements, mais les investisseurs, quels qu’ils soient, sentent bien que s’ils veulent que les modèles économiques changent, il faut y mettre les moyens. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme à mener dans un laps de temps très limité.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Si on considère les chiffres en Europe, les volumes d’investissement nécessaires à la transition énergétique correspondent à 2 % du PIB par an, tandis que les Etats ne pourront y consacrer que 0,5 %. L’investissement privé doit prendre le relais. Il faut orienter l’ensemble des sources d’épargne, celles des institutionnels, mais aussi celles des particuliers vers la transition pour y parvenir. 

Stratégie d’investissement

Quelles thématiques d’investissement privilégier (électrification, souveraineté énergétique…) ?

Charlotte Lavit d’Hautefort : Notre stratégie porte sur les projets small & mid market en Europe, bien structuré où nous parvenons à capturer une prime supplémentaire par rapport aux grandes transactions de Place où la liquidité est plus forte. Nous sommes positionnés sur deux thématiques : la transition énergétique et la transition digitale, qui sont aussi les secteurs les plus dynamiques du marché. La transition énergétique recouvre par exemple la production d’électricité à partir des énergies renouvelables, l’électrification des usages, comme la mobilité avec le besoin d’investir dans les bornes de recharge pour les véhicules électriques, le stockage, l’efficacité énergétique… Nous avons financé cet été un projet visant à la fois à réduire la consommation électrique lors des périodes de pointe tout en valorisant les économies d’énergie réalisées sur le marché de l’effacement. En matière de transition digitale, nous avons par exemple financé la construction du plus grand data center en Allemagne. Il peut s’agir à la fois d’infrastructures nouvelles et d’infrastructures traditionnelles qu’il faut reconvertir, décarboner afin de répondre aux nouveaux usages.

Jean-Francis Dusch : Nous avons toujours eu une approche globale des secteurs. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que la définition des infrastructures évolue au fil du temps. Les télécommunications n’étaient pas considérées il y a dix ans comme relevant des infrastructures, ce qui est le cas actuellement. En 2014, lorsque nous avons démarré nos investissements dans les infrastructures digitales, il s’agissait d’un pari. Les énergies renouvelables, quant à elles, faisaient déjà partie de la classe d’actifs, mais nous avons été les premiers à proposer le financement d’éoliennes en mer (mer du Nord) en structurant une tranche institutionnelle dédiée en 2015. Nous investissons aussi dans les services publics et leur décarbonation : les réseaux de chaleur, le stockage de ressources naturelles, l’accès « last mile », les efficiences énergétiques concernant les infrastructures sociales, la mobilité verte, l’interconnectivité des infrastructures… Nous n’avons pas de limites de taille. Nous pouvons regarder des opérations à plusieurs milliards comme des plus petites, de dizaines ou centaines de millions. Notre objectif principal consiste à avoir un impact sur la structuration de la dette dans laquelle nous investissons afin de protéger les investisseurs. La transition énergétique et digitale concerne tous les secteurs. Et il s’agit également d’une transition. Nous avons par exemple récemment financé une entreprise qui s’est installée sur une ancienne mine de charbon en précisant que notre stratégie d’investissement exclut totalement le charbon. Celle-ci capture le méthane et le transforme en énergie renouvelable et chaleur en plein alignement avec la transition énergétique française. Ce type de solution fait aussi partie de la transition. Un portefeuille de dettes infrastructures comprend 15 à 20 lignes, parfois bien davantage pour des grands comptes dédiés que nous gérons. Il faut construire des fonds diversifiés en termes de secteurs. En 2018, lorsque nous avons lancé le premier fonds de dette infrastructure du marché labellisé transition énergétique (Greenfin), nous l’avons fait labelliser par Novethic. Cela nous a conduits à construire un fonds concentré sur les énergies renouvelables, mais nous avons su diversifier le portefeuille à d’autres secteurs verts de l’univers des infrastructures. Ce qui a permis un engagement précurseur sur des fonds de type article 8/9 et plus diversifiés.

Philippe Garrel : Les sous-jacents financés évoluent : l’éolien, le photovoltaïque, le stockage et bientôt l’hydrogène… Nous nous attachons à financer des projets Greenfin ayant obtenu l’ensemble de leurs autorisations. Cela a pour objectif de bénéficier des qualités intrinsèques des actifs infrastructures et d’avoir un impact environnemental significatif. Chaque euro investit se traduit en tonnes de CO2 évitées. L’enjeu d’un fonds infrastructure à impact consiste à financer de nouveaux types de projets, de comprendre les évolutions techniques des sous-jacents et d’intégrer les spécificités pays (réglementation, fonction du marché). Le triptyque rentabilité/risque/impact varie entre la France, l’Allemagne, l’Espagne, la Pologne… En France, par exemple, le nucléaire occupe une place dominante. Il faut ainsi adapter les financements aux actifs sous-jacents et au contexte dans lequel évoluent ces actifs. C’est ainsi que l’on constitue un portefeuille diversifié.

Bérénice Arbona : La diversification reste primordiale pour les investisseurs. Pour y parvenir, il faut combiner différents critères géographiques, sectoriels et de profils de risque afin de trouver les opérations présentant le meilleur couple risque/rendement du marché, tout en étant en ligne avec les stratégies souscrites par les investisseurs. Nous avons lancé un fonds article 9 à impact qui finance des projets proposant des solutions de décarbonation, d’électrification et d’efficacité énergétique. Plus récemment, nous avons lancé un fonds article 8 à impact d’un milliard d’euros qui investira aussi bien dans des projets pure players que dans des infrastructures traditionnelles avec un engagement sur une trajectoire de décarbonation. C’est également comme cela que nous générons de l’impact.

Thibault Richon : Nous partageons la nécessité de moderniser et d’adapter les infrastructures existantes afin d’accompagner la transition. Pour nous, il est nécessaire d’avoir une approche diversifiée car tous les secteurs doivent être transformés. Nous avons vu aussi pendant les crises récentes que la diversification permet d’amortir les chocs à la baisse. Notons par ailleurs qu’il y a un besoin encore plus pressant qu’avant d’être un investisseur actif dans la gestion de ses participations. Les stratégies majoritaires core-plus et value-add présentent davantage d’opportunités en la matière à travers l’engagement avec les équipes de management. L’environnement actuel apparaît moins favorable aux fonds equity core.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Nous retrouvons aussi ce type de configuration dans la dette. Il faut transformer, innover. Le travail du gérant, sa capacité à structurer correctement les transactions est clé. Il faut bien sélectionner les projets, les structurer. L’expérience de l’équipe est, dans ce cadre, importante.

Philippe Garrel, directeur des fonds de transition énergétique de Sienna Private Credit

Nous assistons au développement de l’électrification des usages qui s’accélère depuis deux ans sous l’effet de la nécessité de lutter contre le dérèglement climatique et, pour l’Europe, de devenir indépendante du point de vue énergétique.

Sienna Private Credit  - Données clefs

  • Effectifs dans l’expertise : 8 personnes
  • Encours dans l’expertise : Plus de 400 millions d’euros d’investissements dans les projets d’infrastructures énergétiques en Europe (solaire PV, éolien, hydraulique, méthanisation, efficacité énergétique…)
  • Historique de performance dans l’un des fonds phares : spreads moyens compris dans une fourchette entre 450 et 550 points de base versus swap sur les financements octroyés
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Sourcer pour des investisseurs institutionnels, des investissements dans des projets en dette d’infrastructure offrant des flux de trésorerie stables et prévisibles. En outre, la société de gestion concentre ses efforts sur le secteur de la transition énergétique dont la croissance est forte et durable et sur lequel elle possède des facteurs différenciants permettant d’offrir un premium de rendement aux investisseurs. Ces facteurs reposent sur une expertise technique sectorielle ainsi que sur un réseau propriétaire et granulaire.

Parvenez-vous à financer l’innovation ? Etes-vous présents sur les nouveaux sujets comme l’hydrogène, la géothermie, etc. ?

Philippe Garrel : Nous sommes focalisés sur des projets complexes autour de la transition énergétique, des énergies renouvelables et tous les sujets plus récents comme le stockage, les batteries, potentiellement l’hydrogène. Cela nécessite d’être très spécialisé. En revanche, nous ne souhaitons pas nous exposer à un risque technologique qui concerne davantage les intervenants en fonds propres (ou equity). Notre rôle en tant que gérants de fonds infrastructures est de financer des technologies qui sont matures. En ce qui concerne la géothermie profonde, en fonction des localisations, celle-ci doit plutôt être financée via des fonds propres.

Thibault Richon : La géothermie fonctionne très bien en Islande. Nous avons par exemple réalisé une opération secondaire sur un fonds qui possède un actif dans ce pays, financé en dette et en equity, qui contribue à décarboner toute la chaîne de production de l’aluminium. Cette technologie est bien maîtrisée dans certains pays.

Philippe Garrel : La géothermie fonctionne bien de façon générale, mais cette filière a rencontré des difficultés comme en Alsace, par exemple.

Thibault Richon : La localisation des projets est effectivement un sujet important. La réglementation peut aussi varier selon les pays. Il faut être vigilant sur les externalités et la bonne intégration de l’actif dans son environnement.

Philippe Garrel : Cela dépend en effet de l’écosystème. Prenons l’exemple de la méthanisation. Ce secteur fonctionne très bien de longue date en Allemagne, mais cette filière a mis du temps à se développer en France. La maîtrise des technologies n’en est pas au même stade dans tous les pays. Les filières mettent souvent du temps à se mettre en place. La capacité à établir des financements d’infrastructures dépend ainsi de nombreux facteurs.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Nous avons toujours joué un rôle de pionniers en matière de financement d’infrastructures. Il y a une dizaine d’années, nous avons financé les premiers projets de fibre en France, secteur qui fait partie intégrante des infrastructures aujourd’hui. Nous cherchons à identifier les secteurs prometteurs de demain où nous pouvons trouver de la valeur pour nos investisseurs, tout en restant très vigilants quant aux risques pris et à leur bonne maîtrise. Par exemple, nous ne prenons pas de risques technologiques, car c’est le rôle de l’actionnaire. La fibre a très bien fonctionné en France, mais ailleurs en Europe, elle a moins de succès. L’expérience du gérant est clé pour bien analyser les investissements sur les plans juridique, technique, de marché et liés aux acteurs.

Bérénice Arbona : C’est par l’innovation que nous pouvons construire de la valeur pour l’investisseur. Mais pour parvenir à financer l’innovation, les gestionnaires doivent être bien outillés. Ils doivent analyser en profondeur les complexités techniques, réglementaires et financières liées à cette innovation.

Thibault Richon : Il est intéressant d’observer dans quelle mesure des financements de type infrastructure peuvent être mis en place sur des actifs innovants ou plus technologiques, étant donné l’évolution des contours de la classe d’actifs. Les cash-flows doivent toujours s’appuyer sur des mécanismes de revenus contractualisés ou structurés afin d’apporter du confort au prêteur. Les investisseurs en equity ont un rôle clé auprès des prêteurs pour codévelopper des financements qui démontrent la « bancabilité » des projets et permettent de réduire le risque.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Sur ces nouveaux secteurs de l’infrastructure, comme l’hydrogène, nous devons retrouver les caractéristiques clés du financement d’infrastructure qui sont par exemple la visibilité sur les cash-flows adossés à des contrats de long terme ou bien de fortes barrières à l’entrée. Sur ces bases, les fonds de dette infrastructure peuvent proposer des solutions de financement adaptées et flexibles, et faire preuve d’innovation.

Une place prépondérante de l’ESG et de la problématique du climat

Comment s’oriente le marché ? Les fonds infra relèvent-ils plutôt des fonds article 8 ou article 9 du règlement SFDR ?

Bérénice Arbona : La majorité des fonds d’infrastructure relèvent de l’article 8, mais nous avons tenu à lancer un fonds article 9 à impact. Il correspond au plus haut niveau d’exigence en ligne avec les convictions du groupe et de notre société de gestion. Malgré tout, ce fonds est diversifié : seule une transaction pour l’instant correspond à un projet d’énergie renouvelable, les autres s’inscrivent dans les différents axes de la transition énergétique. Elles relèvent par exemple de l’efficacité énergétique, de l’électrification des usages ou encore de l’économie circulaire. Par ailleurs, la notion d’impact demande de définir des KPI (indicateurs de performance) qui puissent être suivis dans le temps et qui s’appuient donc sur des données fiables, ce qui n’est pas un mince défi. Nous avons ainsi beaucoup travaillé sur les outils nécessaires afin de piloter les KPI d’impact. Dans cette perspective, nous ne pouvons pas nous limiter au déclaratif de nos emprunteurs, nous devons être en mesure de maîtriser les KPI sur la base de la data collectée.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Nous gérons deux stratégies distinctes qui permettent de diversifier les investisseurs potentiels et d’élargir le champ des investissements : un fonds article 8 et un fonds article 9 à impact, avec un objectif d’alignement à la taxonomie européenne. Ces engagements et objectifs se reflètent dans notre sélection et à tous les stades de notre gestion. Notre fonds article 9 à impact est plus exigeant car il faut démontrer que tous les investissements sont des investissements durables. Nous avons la chance en matière d’infrastructures d’investir dans des projets concrets sur lesquels nous pouvons disposer de données ESG pour nos analyses et qui vont nourrir nos reportings aux investisseurs. Nous avons ainsi tenu à construire une méthode d’analyse propriétaire avec notre équipe ESG interne de six personnes et avec l’aide d’un consultant externe. Nous nous appuyons sur le référentiel taxonomie qui est relativement exigeant et permet d’engager un dialogue intéressant avec les emprunteurs et les investisseurs.

Jean-Francis Dusch : Nous possédons également différentes catégories de fonds. Certains relèvent de l’article 8, d’autres, dans le cadre de comptes dédiés, de l’article 9. Il est important de souligner que les méthodologies utilisées sont en progression permanente. La réglementation n’est pas encore finalisée et les interprétations divergent d’un pays à l’autre. Nous participons à notre niveau au processus de stabilisation de la réglementation afin de la rendre de la rendre dans une certaine mesure plus plus opérationnelle. Le règlement SFDR est de son côté en pleine évolution. Concernant les investisseurs, certains avaient dans un premier temps sélectionné uniquement des fonds article 9, mais les points de vue sont en train de changer. Ils considèrent maintenant qu’il faut aussi financer la transition et avoir un impact plus global. Par ailleurs, il est clair que le reporting est déterminant et requiert des ressources humaines et techniques que nous engageons au bénéfice de nos investisseurs. Il est d’ailleurs parfois possible pour les comptes dédiés de réaliser des reportings plus détaillés et ad hoc qui correspondent à la vision et la sensibilité des investisseurs. Pour cela, Il faut être équipés. Nous possédons une équipe spécialisée dans le développement durable. Notre équipe de gestion comporte des experts dont certains étaient des opérationnels du monde des infrastructures (sponsors industriels), d’autres du secteur public. Nous faisons aussi appel à des consultants. Nous intégrons de nombreux critères, notamment les objectifs du développement durable des Nations unies (ODD), nous mesurons pour chaque actif les émissions de carbone évitées, l’alignement par rapport aux objectifs de réchauffement climatique. Un rapport ESG annuel est produit pour nos fonds de dette infrastructure afin de disposer d’une communication transparente de notre impact auprès de nos investisseurs. Il convient dès la sélection d’un actif de travailler sur la question des données ESG requises avec les émetteurs, de bien comprendre les technologies utilisées, la construction, l’exploitation… Il n’est pas forcément toujours nécessaire d’intégrer des critères ESG dans la structure de la dette, mais il est clair qu’il faut apporter la preuve de l’impact à des investisseurs de plus en plus exigeants.

Philippe Garrel : Nos fonds infrastructures ont un objectif en matière d’investissement durable. Ils sont labelisés Greenfin et, depuis l’apparition de la réglementation SFDR, ils sont classés article 9. Nous associons cette classification avec notre volonté d’impact. Tous les financements réalisés contribuent ainsi à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). La contribution de chaque financement est mesurée en termes de tonnes de CO2 évitées, évaluées au niveau de chaque projet, et, pour nos fonds les plus récents, nous nous fixons un objectif en matière de tonnes de CO2 évitées sur la durée de vie du fonds. Nous poursuivons également quatre objectifs de développement durable (ODD), tels que définis par l’Onu : énergie propre et d’un coût abordable (ODD 7), travail décent et croissance économique (ODD 8), industrie, innovation et infrastructure (ODD 9), mesures relatives à la lutte contre le changement climatique (ODD 13).

Jean-Francis Dusch, directeur de la gestion en dette d’infrastructure, membre du comité exécutif, chez Edmond de Rothschild Asset Management

Il n’est pas forcément toujours nécessaire d’intégrer des critères ESG dans la structure de la dette, mais il est clair qu’il faut apporter la preuve de l’impact à des investisseurs de plus en plus exigeants.

Edmond de Rothschild AM - Données clefs

  • Effectifs dans l’expertise : 15 professionnels
  • Encours dans l’expertise et pourcentage des encours totaux : 5,5 milliards d’euros / 88 milliards d’euros d’encours totaux, soit 6,4 %
  • Historique de performance dans l’un des fonds phares : 250 points de base + taux de base (fixe ou flottant) pour les investissements seniors ; 550 points de base + taux de base (fixe ou flottant) pour les investissements dans la catégorie yield plus
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : La stratégie offre aux investisseurs la possibilité de bénéficier des revenus générés par une sélection d’investissements dans des actifs d’infrastructure, senior et yield plus. L’équipe a été parmi les premières à financer des actifs d’infrastructure dans des secteurs tels que la mobilité verte, les infrastructures sociales, l’efficacité énergétique des infrastructures sociales, la transition énergétique ou encore les infrastructures digitales.

Constatez-vous un plus fort niveau d’exigence des investisseurs institutionnels ?

Bérénice Arbona : Nous constatons en effet que les investisseurs institutionnels mènent des due diligences extra-financières de plus en plus poussées, en ligne avec les exigences de la réglementation SFDR. Nous devons démontrer l’outillage des fonds, fournir des exemples de rapport d’impact… Nous considérons dans ce cadre que l’ISR doit vraiment infuser dans toute la société de gestion et ne pas se limiter à un département dédié. Nous avons développé nos propres outils et chaque gérant doit être en mesure de les maîtriser, car il est le premier filtre dans la sélection et la discussion avec les emprunteurs. La sensibilisation des gérants sur les critères extra-financiers est essentielle.

Thibault Richon : Nous partageons cette approche d’exigence et de transparence. Tous les préceptes ESG doivent être portés par l’ensemble de la société de gestion. Nous employons une centaine de collaborateurs dont une dizaine de spécialistes de l’ESG, mais l’ESG est l’affaire de tous les professionnels de la société de gestion sur l’ensemble du cycle d’investissement. Les équipes d’investissement doivent s’outiller en concepts et en métriques afin d’analyser l’impact environnemental et social de leurs investissements. Nous réalisons des campagnes de collecte ESG destinées à l’intégralité de nos partenaires sociétés de gestion de notre univers d’investissement, concernant à la fois leur activité en tant que gérant, mais aussi leurs participations sous-jacentes. Jusqu’à récemment nous interrogions nos partenaires sur une base déclarative, mais nous auditons désormais les réponses. Je vous rejoins également sur l’aspect critique de la donnée ESG. En ce qui concerne les participations directes, nous utilisons un outil scientifique, la NEC (Net Environnemental Contribution) qui permet de réaliser un scoring environnemental global d’un actif sur l’ensemble du cycle de vie. Il s’appuie sur cinq critères environnementaux : climat/émissions de carbone, qualité de l’eau, qualité de l’air, déchets et biodiversité. Nous pouvons suivre tous ces critères dans le temps et mesurer par ce biais notre impact et sa trajectoire en tant qu’investisseur.

Philippe Garrel : En matière d’ESG, les investisseurs sont de plus en plus exigeants, tout comme la réglementation, notamment en matière de reporting. L’ensemble des acteurs, investisseurs, gestionnaires, emprunteurs ainsi que les conseils sont dans une trajectoire d’amélioration permanente. A titre d’exemple, les questionnaires ESG transmis à nos emprunteurs sont de plus en plus détaillés, notre méthodologie de comptabilisation des tonnes de CO2 évitées est régulièrement mise à jour.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Dans la mesure où les demandes de reporting et de transparence ESG des acteurs financiers comme les fonds sont de plus en plus fortes, les emprunteurs commencent à être habitués à ces requêtes, qui peuvent même être contractualisées dans le financement sous forme de KPI. Des progrès peuvent être mesurés chaque année et, pour les emprunteurs, ces outils peuvent aussi servir à la mobilisation de leurs équipes internes autour des projets de transition.

Thibault Richon, directeur des activités infrastructures chez SWEN Capital Partners

Nous notons qu’il y a un besoin toujours plus pressant d’être un investisseur actif dans la gestion de ses participations.

SWEN Capital Partners  -  Données clefs

  • Effectifs dans l’expertise :  7 + (1 recrutement en cours) / 9 analystes ESG
  • Encours dans l’expertise et pourcentage des encours totaux : 3 milliards d’euros sur 8 milliards d’encours totaux (37,5 %)
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Financer les infrastructures essentielles de demain pour promouvoir une économie viable et durable en transition vers un modèle bas carbone limitant l’impact du changement climatique.

Les intervenants

  • Charlotte Lavit d’Hautefort, directrice des activités de dette infrastructure au sein de Schelcher Prince Gestion

    Charlotte Lavit d’Hautefort dispose de plus de vingt-cinq ans d’expérience en financement d’infrastructures, dont douze ans au sein du groupe Crédit Mutuel Arkéa, où elle a été directrice des activités financement d’infrastructures chez Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels. Auparavant, elle a occupé différentes fonctions dans le conseil ou le financement de projets d’infrastructures au sein du ministère de l’Economie (2009-2011), de Dexia (1993-2009) et à la CDC.

  • Bérénice Arbona, responsable de l’équipe dette infrastructure de LBP AM

    Bérénice Arbona dispose de vingt ans d’expérience dans le domaine des financements de projets d’infrastructures au sein d’institutions bancaires et chez des sponsors industriels. Elle a commencé sa carrière en 2003 au sein du groupe Autoroutes du Sud de la France (maintenant intégré au groupe Vinci), puis à Eiffage, où elle était chargée de la structuration des financements des projets d’infrastructures autoroutières, ferroviaires et de PPP. Elle passe ensuite côté banque en 2007, dans l’équipe infrastructure de Dexia Crédit Local où elle avait la charge de l’arrangement de dossiers infrastructures en Europe et à l’international. En 2012, elle rejoint Alstom Transport et est responsable de la structuration des financements des projets de concessions et de PPP de lignes ferroviaires et de tramway. Elle a rejoint LBP AM en 2014 en tant que gérante et devient responsable d’équipe en 2020. Elle est diplômée de l’EM Lyon.

  • Philippe Garrel, directeur des fonds de transition énergétique de Sienna Private Credit

    Philippe Garrel a rejoint en 2008 Sienna Private Credit pour développer l’activité de financement d’infrastructures. Il a commencé sa carrière en 1996 en tant que responsable de projet chez Schlumberger. Il a ensuite rejoint en 1999 le groupe GDF Suez pour développer la construction et l’exploitation de projets d’infrastructure électrique (usine Airbus 380, laboratoires Sanofi). Il prend ensuite la responsabilité des agences INEO de Varsovie et Moscou. Philippe Garrel est titulaire du diplôme d’ingénieur de l’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers, complété par un mastère banque et ingénierie financière.

  • Jean-Francis Dusch, directeur de la gestion en dette d’infrastructure, membre du comité exécutif, chez Edmond de Rothschild Asset Management

    Basé à Londres depuis 1998, Jean-Francis Dusch a rejoint Edmond de Rothschild en 2004 au sein du département Infrastructure, Real Assets & Structured Finance. Il a trente ans d’expérience dans le domaine du financement de projets d’infrastructures. Il a contribué au développement réussi de l’activité de conseil financier en project finance et de structuration de fonds de capital-investissement. Ces multiples expériences ont contribué à la création de la plateforme de dette d’infrastructure d’Edmond de Rothschild Asset Management, Benjamin de Rothschild Infrastructure Debt Generation en 2014. Jean-Francis Dusch est diplômé de l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) et en droit de l’université Paris II.

  • Thibault Richon, directeur des activités infrastructures chez SWEN Capital Partners

    Thibault Richon a commencé sa carrière en 2006 en tant qu’analyste financier au sein du département fusions-acquisitions de Morgan Stanley à Paris et à Londres. Il rejoint en 2010 le fonds de pension canadien OPTrust, au sein du Private Markets Group, basé à Londres, chargé d’investir et de gérer un portefeuille d’investissements directs et indirects en infrastructure et en capital-investissement. Il rejoint ensuite SWEN Capital Partners en tant que directeur d’investissement et devient, en 2020, directeur de l’activité multistratégies infrastructure.

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